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Je

qui tenta de l'assassiner : « Qui vous a poussé à ce crime? lui dit l'empereur. Personne; c'est l'intime conviction qu'en vous tuant je rendrai le plus grand service à mon pays et à l'Europe, qui m'a mis les armes à la main. Un crime n'est donc rien pour vous? Vous tuer n'est pas un crime, c'est un devoir. Si je vous fais grâce, m'en saurez-vous gré? ne vous en tuerai pas moins. » Napoléon fut stupéfait : il avait la mesure de l'irritation des peuples. Le jeune Stabs fut livré à une commission militaire qui le condamna à mort; et, en tombant sous les balles, il cria : « Vive la liberté! vive la Germanie! >> Les mots glorieux de patrie et de liberté, que la France avait fait sortir du néant, lui étaient donc maintenant, et par les fautes de son empereur, jetés comme une sanglante menace et un cri de guerre!

CHAPITRE IV.

Dernières institutions et réunions de l'empire.

Campagne de Russie. Du 15 octobre 1809 au 9 mars 1813

Guerre d'Espagne de 1810 à 1812.

SITUATION INTÉRIEURE DE
La révolution fran-

§ I. PROGRES DE LA RÉVOLUTION. L'EMPIRE. SYMPTÔMES DE DÉCADENCE. çaise n'avait encore que vingt ans d'existence, et déjà l'Europe se trouvait presque entièrement bouleversée. Les Bourbons avaient été chassés de trois trônes; la maison de Savoie était réduite à la Sardaigne, celle de Naples à la Sicile, celle de Bragance au Brésil, celles d'Orange, de resse, de Brunswick entiè rement dépossédées: il n'y avait plus de duchés de Parme, de Modène, de Toscane; plus de républiques de Gênes, de Venise, de Hollande; plus d'empire germanique, plus d'État de l'Église: la maison d'Autriche, devenue puissance de second ordre, venait à peine d'échapper à une ruine complète; la maison de Brandebourg était si bas tombée qu'il eût suffi d'un mot pour faire de Berlin une préfecture française: l'orgueilleuse prédiction de Napoléon semblait sur le point de s'accomplir: « Dans dix ans, ma dynastie sera la plus vieille de l'Europe. » La féodalité était partout détruite ou entamée; la Hollande, l'Italie, la Westphalie, la Bavière, Naples, Varsovie avaient des constitutions françaises, les codes français, l'administration française; l'action révolutionnaire de la France s'étendait même dans les

pays qui lui étaient ennemis en Autriche, où l'on captait l'affection des peuples par des libertés locales; en Prusse, où la servitude de la glèbe était abolie, les entraves à l'industrie supprimées, des municipalités établies, l'égalité civile admise; en Espagne, où les cortès allaient faire une constitution modelée sur celle de 91.

L'empire français comprenait une population de quarante millions d'habitants, autour de laquelle se groupaient les quarante millions d'âmes des États fédératifs. « L'empereur, dit Thibeaudeau, paraissait solidement assis et inébranlable. L'action libre, régulière du gouvernement inspirait la sécurité et la confiance; l'éclat de la cour, où l'on voyait se succéder les grands, les princes, les rois de l'Europe, éblouissait; les souffrances intérieures se taisaient ou disparaissaient devant la gloire; l'absence de la liberté était compensée par la grandeur et la suprématie de la nation; on s'enorgueillissait du respect ou de la crainte qu'inspirait le nom français: tout se façonnait de plus en plus à un despotisme qui soumettait les rois comme les peuples. La prodigieuse activité du chef de l'empire ne se ralentissait pas (1): » il menait de front les affaires de l'État et les plaisirs; il donnait des fêtes, il tenait des conseils, il faisait des voyages où chaque pas était marqué par des améliorations et des travaux utiles; il avait la cour la plus magnifique de l'Europe, et en s'occupant avec tant de soin des détails de sa maison, il ne dépensait que la moitié de sa liste civile; il restaurait les palais impériaux ; il faisait des projets de monuments qui auraient exigé plus d'un siècle de travaux ; il protégeait les lettres, les arts et surtout les sciences. Esprit éminemment pratique et positif, il n'aimait pas la philosophie spéculative, les systèmes généraux, les théories qui ne s'appliquent pas immédiatement à des faits sociaux: aussi la littérature de son règne ne fut-elle qu'une misérable copie de la littérature du siècle de Louis XIV; les arts, qui avaient à éterniser tant de grandes actions, furent plus heureux, et les noms de David, de Gros, de Girodet, de Chaudet, de Lemot, de Fontaine, de Percier sont inséparables de la gloire de Napoléon. Mais ce furent surtout les sciences positives et d'application qui firent des prodiges. De nouvelles industries sortirent des nécessités du blocus conti

(1) T. vin, p. 310.

nental: on remplaça le sucre de canne par le sucre de betterave, on cultiva la garance et le pastel, on trouva des machines à filer et tisser le coton; et l'histoire doit conserver, à côté des noms des savants Fourcroy, Berthollet, Chaptal, etc., ceux des manufacturiers Richard-Lenoir, Oberkampf, Ternaux, etc. On consacra aux travaux publics 138 millions en 1810, et 154 en 1811; cet argent fut dépensé aussi bien à Rome et à Amsterdam qu'à Paris, et «< il n'est pas un territoire ayant appartenu à la France qui ne conserve encore quelques ouvrages du gouvernement impérial, dont le bienfait n'eût jamais existé pour aucun d'eux sous leurs anciens maîtres. » L'empereur se vantait avec un juste orgueil « de ce qu'au milieu des guerres, des dépenses que nécessitaient des armées immenses, de la création et de l'organisation de flottes nombreuses, ce qui se dépensait en travaux d'utilité publique était tel que cela dépassait, dans une année, tout ce que l'ancienne monarchie avait fait dans une génération. >>

Toute cette grandeur manquait de base; un ordre social nouveau ne s'implante pas si violemment et si brusquement sur un ordre social ancien sans que la cause du passé n'ait des moments de victoire: chacun sentait que la nouvelle France n'avait pas de conditions de durée. A l'extérieur, pas un allié; aux deux extrémités de l'Europe et de la civilisation, l'Espagne et la Russie menaçantes; le blocus continental exécré par tous les peuples; la coalition se cachant sous le masque des alliances, d'autant plus haineuse qu'elle avait été plus humiliée, et toujours résolue à ramener la France aux limites de 92; à l'intérieur, la conscription épuisant la nation, les finances commençant à s'embrouiller, l'armée, maîtresse de la société, prenant des allures despotiques, et achevant cette séparation entre les citoyens et les soldats, commencée au 18 brumaire, et qui est encore aujourd'hui l'une des plaies de la France; enfin l'édifice entier ne reposant que sur un homme qui en avait fait son œuvre personnelle.

· Pour con

§ II. MARIAGE DE NAPOLÉON ET de Marie-Louise. solider à jamais sa puissance, ruiner les espérances de ses ennemis, s'assurer l'avenir et couronner son œuvre dynastique, Napoléon résolut de rompre son union avec Joséphine, et de prendre une nouvelle épouse qui lui donnât une postérité. C'était la conséquence, depuis longtemps prévue, des mariages

princiers qu'il avait faits dans sa famille: Eugène avait épousé la fille du roi de Bavière; deux nièces de Joséphine, l'une le fils du grand-duc de Bade, l'autre le duc d'Aremberg; Jérôme, une fille du roi de Wurtemberg. Tous les princes recherchaient l'alliance de ses parents, et, à défaut des frères et sœurs de Bonaparte, ils prenaient ses généraux: ainsi Berthier avail épousé une nièce du roi de Bavière, et une nièce de Murat avait été mariée à un prince de Hohenzollern. Un sénatus-consulte prononça la dissolution du mariage civil de l'empereur et de l'impératrice, et l'officialité de Paris la dissolution du mariage religieux [1809, 16 déc.]. Joséphine, accablée de chagrin, se retira à la Malmaison: « C'est pour l'empereur que je tremble, disaitelle. Qui sait où va le porter son ambition ? C'est à qui lui donnera une femme. Encore s'il prenait une Française! La denière des bourgeoises serait plus agréable à la nation qu'une princesse étrangère... Je ne puis me défendre de tristes pressentiments. Une étrangère livrera les secrets de l'État, le trahira peut-être !... »

Napoléon chercha une alliance politique en même temps qu'une alliance d'ambition, qui, en ajoutant à l'illustration de sa race, complétât la fusion entre elle et les maisons régnantes, et il hésita entre une sœur d'Alexandre et une fille de François. L'alliance semblait également mauvaise des deux côtés, puisqu'elle devait lui faire une ennemie de la puissance qu'il ne choisirait pas; mais, comme toute la politique de Napoléon reposait sur l'amitié d'Alexandre, il demanda d'abord la princesse russe. Le czar en témoigna une grande joie; mais un ukase de Paul 1er donnait à sa veuve la libre disposition de ses filles, et l'impératrice-mère allégua la grande jeunesse de la princesse, pour faire acheter son consentement. « Les idées de ma mère, écrivit Alexandre, ne sont pas toujours d'accord avec mes vœux, ni avec la politique, ni même avec la raison. » Et il demanda du temps. Napoléon fut blessé d'un atermoiement qu'il regarda comme un refus, et il se tourna du côté de l'Autriche. Dès les premiers mots, la cour de Vienne s'empressa d'offrir son archiduchesse: M. de Metternich, qui avait pris la direction des affaires, se rappelait que la maison d'Autriche avait fait sa fortune par des mariages. En quelques jours l'accord fut conclu: la princesse Marie-Louise partit pour la France, et les fêtes les plus pompeuses célébrèrent l'union de l'héritier de la révolu

tion avec la descendante des maisons de Hapsbourg et de Lorraine [1810, 2 avril]. Le peuple y resta froid : il aimait Joséphine, femme spirituelle, gracieuse et dévouée, qui n'avait point été au-dessous de sa merveilleuse fortune, et qu'il appelait le bon ange de l'empereur; il regarda sa répudiation, le choix d'une Autrichienne, l'entrée de Napoléon dans la famille des rois absolus, comme une apostasie de son chef, comme un appât perfide de la coalition, comme le signal des plus grands malheurs. La nouvelle impératrice était une jeune femme de dix-neuf ans, sans beauté, sans grâce, sans esprit, qui resta une étrangère pour l'empereur et pour la France. Elle ne plut qu'à Napoléon, heureux de mettre dans sa couche la fille des Césars; qu'aux anciens nobles, qui s'empressèrent autour de la nièce de Marie-Antoinette; qu'aux nouveaux ducs d'origine révolutionnaire, qui qualifièrent ce mariage une «< magnifique expiation d'un grand crime.» Les aristocraties européennes furent indignées; et les Bourbons, dans leur exil, se regardèrent comme perdus faire asseoir Marie-Louise sur le trône sanglant de sa tante semblait la consécration de la révolution. Mais la famille impériale de Lorraine-Autriche était plus clairvoyante: elle avait sacrifié au démon de la démocratie la victime qui devait l'endormir dans la confiance de sa fortune. « Ils l'ont avoué, disait Napoléon à Sainte-Hélène : c'est sous le masque des alliances, du sang même et sous celui de l'amitié qu'ils ont ourdi ma chute! »

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§ III. PRESSE, JUSTICE, FINANCES, AFFAIRES RELIgieuses. fut, en effet, pour lui, une époque fatale: à l'extérieur, se croyant assuré de l'Autriche, il meprisa les ressentiments de la Russie, ne regarda plus la paix avec l'Angleterre que comme une affaire de temps et de patience, enfin laissa la conduite de la guerre d'Espagne à ses généraux; à l'intérieur, il rendit sa dictature plus franche et plus complète; il répéta le mot de Louis XIV: « L'état, c'est moi!» il entacha d'arbitraire toutes ses œuvres, bonnes ou mauvaises, et principalement celles qui regardaient la presse, la justice, les finances, les affaires religieuses.

Le pouvoir réduisit le nombre des journaux, s'attribua la propriété de ceux qu'il laissait vivre, et en distribua les actions à des gens de lettres [1810, 5 févr.]; la censure fut établie même sur les livres faute immense, qui laissa les infâmes calomnies

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