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ratio..s. Dévoué sincèrement à la révolution, mais sans idées morales, sans croyance religieuse, déprimé par l'arriéré de honte que lui avaient laissé les désordres de sa jeunesse, « il faisait tout supposer de ses talents, de son ambition, de ses vices, du mauvais état de sa fortune, et autorisait, par le cynisme de ses propos, tous les soupçons et toutes les calomnies (1). »

A côté de ces rois de la parole étaient une foule d'hommes remarquables par les lumières, la générosité des sentiments, l'habitude des travaux de la pensée; audacieux à entreprendre et à détruire, intrépides à résister, pleins de foi pour leur grande mission, enfin mêlant à l'énergie et à l'activité révolutionnaire un caractère d'abstraction rêveuse et de généralité métaphysique qui tenait à la disposition des esprits du dix-huitième siècle, à cette origine littéraire et philosophique que la réforme sociale avait parmi nous, à l'influence de ces théories dont Rousseau avait été le tribun éloquent (2). Ainsi, après avoir rasé par le pied, en quelques heures, tout l'édifice féodal, l'Assemblée consacra de longues séances à une déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui devait servir de préface à la constitution, œuvre métaphysique, empruntée au Contrat social et pourtant empreinte de matérialisme. C'était une imitation des Américains, toute naturelle à des esprits systématiques, qui, séduits par les idées d'une société primitive, devaient vouloir en poser les fondements, à des hommes « qui, suivant Mirabeau, travaillaient pour le monde entier, et pensaient que l'espèce humaine les compterait au nombre de ses bienfaiteurs. » Nul ne songea que les législateurs font des lois, non des abstractions philosophiques, qu'ils prescrivent et ne définissent pas. C'était pourtant une grande faute que de poser des maximes inflexibles qui soulevaient toutes les imaginations sans mettre à côté leur application; que de déclarer à un peuple si ardent à traduire en faits les théories, qu'il avait des droits, sans lui parler de ses devoirs; que de lui dire, sans restriction et sans commentaire, que la résistance à l'oppression était dans le droit naturel. Enfin, il aurait fallu songer qu'en posant comme principe social la souveraineté du peuple, on posait un principe de droit des gens hostile à celui de toutes les nations voisines, et

(1) Thiers, t. 1, p. 125.

(2) Villemain, Littérature du dix-huitième siècle, t. iv, p. 85.

qui tôt ou tard devait mettre la France en guerre avec elles. Aussi la déclaration des droits, destinée par les constituants à donner aux citoyens l'idée de leur dignité et de leur importance, fut le code qu'on invoqua plus tard pour détruire la constitution elle-même.

L'adoption de la déclaration des droits fut suivie de longues discussions sur les formes du gouvernement. D'après les recommandations des cahiers, unanimes pour demander l'établissement d'une monarchie représentative, la constitution anglaise semblait le modèle qui devait se présenter à tous les esprits. Néanmoins cette constitution eut très-peu de partisans ; et c'était une conséquence toute simple des causes et du but de la révolution. En effet, la révolution avait été faite socialement contre l'aristocratie, politiquement contre la royauté: on réclamait contre la première l'égalité, contre la seconde la liberté; on voulait détruire la noblesse et lier les mains au pouvoir. C'étaient là les principes qui inspiraient l'Assemblée dans ses actes, le peuple dans ses insurrections; et il semble que dès le premier jour de la révolution on avait passé de plain-pied de la monarchie absolue à la république démocratique. Il était donc impossible de constituer une aristocratie, et l'idée que tout le monde se faisait du gouvernement à établir était : la nation ordonne, le roi exécute; la nation est souveraine, le roi est son premier mandataire. C'était l'idée de Syeyès, et il la développait avec une implacable rigueur : aussi paraissait-il absurde d'établir une chambre haute, qu'elle fût nommée par le roi ou par le peuple; de donner à un seul homme le droit d'arrêter la volonté de toute une nation. « La multitude, qui ignore la nature et les limites des pouvoirs, voulait que l'Assemblée, en qui elle se confiait, pût tout, et que le roi, dont elle se défiait, ne pût rien (1). » On peut donc dire que lorsque les questions suivantes furent posées le pouvoir législatif sera-t-il composé d'une ou de deux chambres? le droit de sanction accordé au roi sera-t-il absolu ou suspensif? elles étaient résolues à l'avance. Pourtant l'Assemblée n'était pas républicaine, ou du moins elle ne croyait pas l'être; mais elle ignorait que pour qu'un État reste monarchique, ce n'est pas au prince qu'il faut donner le veto, mais à la nation. Aussi il fut décidé [10 septembre], à

(1) Mignet, t. 1, p. 121.

une très-forte majorité, que le pouvoir législatif serait composé d'une seule assemblée, que cette assemblée serait permanente, qu'elle aurait seule l'initiative des lois. La question du veto fut plus vigoureusement débattue; et Mirabeau, qui n'était pas seulement le plus grand orateur, mais le plus grand homme d'État de l'Assemblée, se prononça pour le veto absolu : « Sans cela, dit-il, j'aimerais mieux vivre à Constantinople qu'à Paris. » Mais tout le parti constitutionnel fut obligé de se rejeter sur le veto suspensif, tant cette discussion excitait de tumulte parmi le peuple. Le peuple ne comprenait pourtant rien ni au mot ni à la chose; mais il n'en criait pas moins: «A bas le veto!» Pour lui, le veto, c'était l'ancien régime; car, s'il n'entendait rien au gouvernement représentatif, il avait au plus haut degré l'instinct révolutionnaire. Aussi l'on fit au Palais-Royal les motions les plus violentes contre l'Assemblée : on menaçait les députés royalistes de les révoquer, de faire leur procès, « d'éclairer leurs châteaux; » on demandait la convocation générale des districts; on proposa et on essaya même de marcher sur Versailles. La Fayette fit les plus grands efforts pour arrêter le tumulte; des rixes violentes éclatèrent entre le peuple et la garde nationale, et l'on commença à déclamer contre le «< despotisme bourgeois. » Enfin, à la majorité de six cent soixantetreize voix contre trois cent quinze, le veto fut déclaré suspensif pendant deux législatures [21 septembre].

Ce vote ne rendit pas le calme à la capitale, où il y avait deux causes permanentes de désordre: la disette, qui augmentait sans cesse, l'absence de toute autorité respectée. La municipalité envoyait au loin chercher des blés qu'elle revendait à perte; et comme les campagnes étaient affamées, il fallait faire escorter les convois par des corps entiers de garde nationale. On vivait au jour le jour, dans de mortelles inquiétudes pour le lendemain. Bailly était dévoré de soucis et de travail, pendant que la Fayette attendait à chaque instant une émeute. D'un autre côté, les districts avaient fait comme la municipalité, et celle-ci comme l'Assemblée : ils avaient dû empiéter sur tous les pouvoirs et se charger de toutes les affaires ; et la capitale se trouvait divisée en soixante républiques indépendantes. Chacun d'eux agissait comme étant une commune séparée, rendait des arrêts opposés aux arrêts de la commune, avait des comités de police, de surveillance, de force armée,

qui entraient en lutte avec ceux de la commune : peu s'en fallut même que plusieurs ne se missent en guerre ouverte avec elle.

L'avenir paraissait sombre et effrayant : l'anarchie et la défiance étaient partout; on soupçonnait les projets de vengeance de l'aristocratie; on parlait des menées des princes à l'étranger; on s'inquiétait des intentions du roi, qui n'avait accepté que certains articles de la déclaration des droits, disant qu'il ne pouvait approuver les autres avant que la constitution ne fût faite. Le peuple croyait à une conspiration nouvelle de la cour, dans laquelle, disait-on, le roi devait s'enfuir à Metz et marcher sur Paris avec une armée; on parlait de signatures demandées à toute la noblesse, de lettres de la reine au comte d'Artois et à l'empereur; on s'alarmait d'un régiment dont la garnison de Versailles venait de se grossir, de deux mille officiers et gardes du corps dont le château se garnissait. Le Palais-Royal prétendait qu'il fallait arracher le roi à son entourage, l'amener à Paris, et assurer ainsi les approvisionnements de la capitale et l'achèvement de la constitution. «Il faut un second accès de révolution, » disaient Marat, Camille Desmoulins, Loustalot, dans leurs journaux pleins de fougue et de violence.

§ VII. JOURNÉE DU 5 OCTOBRE.

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LES PARISIENS A VERSAILLES. Dans cette disposition des esprits, on apprit que les gardes du corps venaient de donner un banquet aux officiers de la garnison de Versailles [3 octobre], que la reine et le roi s'y étaient présentés et avaient été accueillis avec des transports d'enthousiasme ; que la fête ayant dégénéré en orgie, les convives, exaltés par le vin, avaient foulé aux pieds la cocarde tricolore, insulté l'Assemblée nationale et les Parisiens, fait le simulacre d'une charge contre eux. Tout cela confirma les soupçons sur la conspiration de la cour; et comme la disette augmentait, on prétendit que le plan des aristocrates était d'affamer Paris. Des attroupements se formèrent de tous côtés; et le matin du 5 octobre, une femme saisissant un tambour, parcourut les rues en criant: «Du pain! du pain! » Elle rassembla ainsi des milliers de femmes qui se portèrent à l'Hôtel de ville. Les postes de la garde nationale s'ouvrirent devant leur attaque furieuse, et elles se précipitèrent dans l'hôtel, suivies par des hommes armés de haches qui pillèrent le magasin d'armes. Alors Maillard, l'un des vainqueurs de la Bastille, leur proposa d'aller à Versailles. « A Versailles ! » crièrent-elles; et aussitôt elles se mirent en

marche, emmenant des charrettes, des armes, des canons, et entraînant avec elles toutes les femmes qu'elles rencontraient.

Pendant ce temps, les représentants de la commune étaient accourus, et le tocsin rassembla la garde nationale sur la place de Grève. Mais la bourgeoisie partageait tous les sentiments de la multitude; et un grenadier, au nom de ses camarades, dit à la Fayette: « Le peuple est malheureux; la source du mal est à Versailles. Il faut aller chercher le roi, l'amener à Paris, et exterminer ceux qui ont outragé la cocarde nationale. » La Fayette représenta vainement les malheurs qui suivraient une telle résolution. « A Versailles! » criait-on de toutes parts. Les faubourgs avaient déjà lancé à la suite des femmes leurs bandes d'hommes farouches, qui prenaient la route de Versailles en poussant d'horribles menaces contre la cour et surtout contre la reine; les districts envoyaient leurs canons; le mouvement était universel. Après huit heures de résistance inutile, la Fayette se fit donner par la commune, qui envoya même avec lui deux de ses membres, l'ordre de mener la garde nationale à Versailles, et tout se mit en marche avec des cris de joie.

A la nouvelle de l'approche des femmes, la cour fut pleine de stupeur. On garnit de troupes la place d'armes de Versailles, et la municipalité donna l'ordre à la garde nationale de protéger le départ du roi, s'il voulait quitter la ville. Pendant ce temps, l'Assemblée avait envoyé au château une députation pour demander l'acceptation pure et simple de la déclaration des droits; mais elle éprouva un refus qui fut accueilli par de violents murmures. Ce fut l'occasion de dénoncer le banquet des gardes; et comme le côté droit criait à la calomnie: « Je désapprouve, dit Mirabeau, ces dénonciations impolitiques; mais, puisqu'on insiste, je dénoncerai moi-même, et je signerai quand on aura déclaré qu'il n'y a d'inviolable en France que le roi. » En ce moment, les hordes de femmes arrivèrent et se précipitèrent dans la salle avec de grands cris. Maillard harangua l'Assemblée et lui exposa la misère du peuple. On décida qu'une députation serait envoyée au roi ; mais les femmes voulurent l'accompagner, et il fallut en admettre douze à la suite du président. Le roi accueillit ces femmes avec sa bonté ordinaire, donna des ordres pour diriger des blés sur Paris, et promit d'accepter sans restriction la déclaration des droits. Mais pendant ce temps

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