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rapport qui était en même temps un manifeste contre les indulgents et les athées [1794, 5 févr.]. « Au dehors, tous les tyrans nous cernent, dit-il; au dedans, tous les amis de la tyrannie conspirent. Il faut étouffer les ennemis intérieurs et extérieurs de la république ou périr avec elle; or, dans cette situation, la première maxime de notre politique doit être que l'on conduit le peuple par la raison, et les ennemis du peuple par la terreur. Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur. La terreur n'est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible: elle est donc une émanation de la vertu. Punir les oppresseurs de l'humanité, c'est clémence; leur pardonner, c'est barbarie... Les ennemis intérieurs du peuple se sont divisés en deux factions qui marchent par des routes diverses au même but, la désorganisation du gouvernement populaire et le triomphe de la tyrannie. L'une de ces deux factions nous pousse à la faiblesse, l'autre aux excès; l'une veut changer la liberté en bacchante, l'autre en prostituée. »>

Ce manifeste fut suivi de quelques arrestations dans les deux partis: d'un côté, on saisit Ronsin, général de l'armée révolutionnaire; Vincent, secrétaire général du ministre de la guerre; de l'autre côté, Fabre, Chabot, Delaunay, qui avaient falsifié, pour une somme de 500,000 livres, le décret d'abolition de la compagnie des Indes. Enfin on leur adjoignit quelques étrangers pour faire croire à la complicité des uns et des autres avec la coalition. A cette attaque les indulgents ne répondirent que par des sarcasmes; mais les athées cherchèrent à soulever le peuple; une section se mit en insurrection; le club des Cordeliers déclara la patrie en danger; l'on crut qu'un 31 mai allait éclater. Cependant la commune n'osa se prononcer; l'armée révolutionnaire ne bougea pas; le peuple ne répondit point au cri d'insurrection, et tous les chefs de la conspiration furent arrêtés. Saint-Just vint demander à la Convention leur mise en jugement [13 mars]: « Il est temps, dit-il, que tout le monde retourne à la morale, et l'aristocratie à la terreur; il est temps de faire un devoir de toutes les vertus, de faire la guerre à toute espèce de perversité, de mettre la révolution dans l'état civil, d'immoler sans pitié sur la tombe du tyran tout ce qui regrette la tyrannie, tout ce qui est intéressé à la venger, tout ce qui

peut la faire revivre parmi nous... Il y a dans la république une conjuration ourdie par l'étranger pour empêcher par la corruption que la liberté ne s'établisse; c'est la ligue de tous les vices armés contre la vertu. Que la justice et la probité soient mises à l'ordre du jour ! » Et la Convention déclare traître à la patrie quiconque aura favorisé dans la république le plan de corrup tion des citoyens, de subdivision des pouvoirs et de l'esprit public; quiconque excitera des inquiétudes sur les denrées, donnera asile à un émigré, tentera d'ébranler la forme du gou vernement, etc. Les prévenus de conspiration qui se seron! soustraits à leur jugement seront mis hors la loi. Quiconque recèlera un individu mis hors la loi sera puni de mort, etc.

Hébert, Ronsin, Vincent, Clootz, quelques chefs de l'armée révolutionnaire qui s'étaient signalés par leurs atrocités, plusieurs étrangers qui connaissaient à peine les hébertistes, en tout dix-neuf individus, furent traduits au tribunal révolutionnaire comme complices de la conjuration de l'étranger, condamnés à mort et menés à l'échafaud [24 mars].

§ XIII. SUPPLICE DES DANTONISTES. Le supplice des hébertistes fit une vive sensation : c'était la première fois depuis cinq ans que le gouvernement l'emportait sur l'insurrection, que la résistance était victorieuse du mouvement, que la révolution s'arrêtait. On crut partout à un changement de politique; les dantonistes s'imaginèrent que le comité entrait dans leurs idées; les détenus furent pleins d'espoir; tous les partis vaincus relevèrent la tête avec une folle confiance; il y eut même des tentatives de réaction royaliste dans les départements. Un tel mouvement justifiait, pour ainsi dire, le système de la terreur: aussi le comité, convaincu que le moindre retour à l'indulgence amènerait la contre- révolution, résolût-il de faire rentrer dans le néant toutes les espérances des vaincus, en frap. pant les patriotes imprudents qui avaient poussé le premier cri de modération. L'opposition des indulgents était moins dangereuse que celle des athées, mais Danton était un homme autrement redoutable que Hébert; d'ailleurs les membres du comité avaient à satisfaire contre lui des vengeances d'orgueil, à rassurer leur ambition privée, à garantir leur vie. Robespierre seul avait désiré la destruction du parti sans celle de son chef, et l'on essaya de le réconcilier avec Danton; mais il n'y avait plus d'accord possible entre le sectaire envieux et dissimulé qui, avec

une réserve sauvage, une austérité presque monacale, sans familiarité, sans tolérance, sans plaisirs, vivait sous le toit et à la table d'un menuisier, et le révolutionnaire bouillant et expansif, accessible à toutes les passions généreuses, adoré de ses amis, à qui il fallait des hôtels, des festins, la compagnie des aristocrates et des débauchés : «Ma vie entière, dit Robespierre, n'a été qu'un sacrifice de mes affections. Si mon ami est coupable, je le sacrifierai à la république. »>

Danton fut avertit du danger et refusa de se mettre en défense. Il n'avait ni raison ni prétexte de tenter une insurrection dans laquelle il aurait trouvé contre lui le peuple et la Convention, pendant que la force et le droit étaient du côté de ses adversaires. Comme il n'avait jamais songé à faire prévaloir ses idées que par l'opinion publique, il ne pouvait imaginer que le comité voulût faire de son opposition un motif d'accusation contre lui : « Il n'oserait, » disait-il avec une confiance insouciante dans sa renommée et ses services; et comme on lui conseillait de fuir : « Emporte-t-on, dit-il, sa patrie à la semelle de son soulier?» Pendant ce temps, le comité prenait ses mesures, et, six jours après la mort des hébertistes, Danton, Desmoulins, Philippeaux, Lacroix, Bazire, furent arrêtés [30 mars].

A cette nouvelle, la Convention fut pleine de stupeur; et quelques députés avaient fait entendre des paroles de résistance, quand Robespierre arriva : « Au trouble depuis longtemps inconnu qui règne dans cette assemblée, dit-il, il est aisé de s'apercevoir qu'il s'agit ici d'un grand intérêt... Quiconque tremble en ce moment est coupable... Nous verrons si dans ce jour la Convention saura briser une prétendue idole, pourrie depuis si longtemps, ou si dans sa chute elle écrasera la Convention et le peuple français. » Puis Saint-Just vint demander le décret d'accusation contre les cinq députés, dans un rapport plein de la subtilité la plus haineuse, où les faits les mieux connus étaient dénaturés Danton, selon lui, était vendu à Mirabeau, au duc d'Orléans, à Dumouriez; ce Catilina cupide et débauché était d'accord avec les Girondins, conspirait avec Hébert, voulait traiter avec l'étranger pour rétablir Louis XVII. La Convention tremblante vota à l'unanimité le décret d'accusation contre les hommes dont la mort allait désormais la livrer sans défense au despotisme du comité. On adjoignit aux cinq députés HéraultSéchelles Westermann, qui partageaient leurs idées, Fabre,

Chabot, Delaunay, plusieurs étrangers et fournisseurs, afin de faire croire à la complicité des modérés avec les faussaires, les émigrés, les agioteurs.

Danton, en entrant à la Conciergerie, s'écria : « C'est à pareille époque que j'ai fait instituer le tribunal révolutionnaire. J'en demande pardon à Dieu et aux hommes. Mon but n'était que de prévenir un nouveau septembre. » Tout Paris fut dans l'agitation lorsqu'on vit apparaître devant le tribunal ces députés si célèbres, tous âgés de trente-trois à trente-quatre ans, dans toute la vigueur du talent et du caractère. Danton ne put contenir sa fougueuse indignation: Que les lâches qui m'accusent paraissent, et je les couvrirai d'ignominie... Que les comités se rendent ici, je ne répondrai que devant eux: il me les faut pour accusateurs et pour témoins. « Le tribunal fut épouvanté; les comités s'alarmèrent; Saint-Just et Billaud dirent à l'accusateur public, Fouquier-Tinville, de ne pas répondre à la demande des accusés, d'arriver, à force de délais, à la fin des trois jours, et de clore les débats. Mais Danton continua ses emportements, ses mépris, ses invectives; Fouquier était au bout de ses ruses, et le peuple commençait à s'émouvoir, quand le comité eut connaissance de quelques propos du général Dillon, enfermé au Luxembourg, qui semblaient annoncer un projet de délivrer les accusés. On fit de ces vagues propos une conspiration des prisons Saint-Just apporta à la Convention la nouvelle de ce prétendu complot, en ajoutant que les accusés étaient en pleine révolte contre le tribunal.La Convention, hébétée de terreur, autorisa le tribunal à mettre hors des débats les accusés qui manqueraient de respect à la justice, et à prononcer sans désemparer sur leur sort. Armé de ce décret, Fouquier mit fin aux débats, ordonna d'emmener les accusés furieux, et fit prononcer leur condamnation. Ils furent conduits, au nombre de quinze, à l'échafaud [5 avril]. Quelques jours après, on envoya au supplice, sous le prétexte de la conspiration des prisons, les restes des deux partis, Chaumette, Gobel, le général Dillon, les veuves d'Hébert et de Desmoulins, etc.

Alors, la dernière résistance étant vaincue, aucune voix ne se fit plus entendre contre la dictature de la terreur; tout ce qui avait fait un semblant d'opposition se hâta de s'humilier et de se soumettre; de tous les coins de la France il arriva des félicitations au comité, qui régna sans rival et avec plus de puissance

qu'aucun monarque n'en avait jamais possédé. «< Onze armées à diriger, disait Robespierre à la Convention, le poids de l'Europe entière à porter, partout des traîtres à démasquer, des émissaires soudoyés par l'or des puissances étrangères à déjouer, des adminisnistrateurs infidèles à surveiller, à poursuivre; partout à aplanir des obstacles et des entraves à l'exécution des plus sages mesures; tous les tyrans à combattre, tous les conspirateurs à intimider telles sont nos fonctions. » Alors le comité put se donner tout entier à l'œuvre qui affaiblira dans la postérité le souvenir de sa tyrannie sanguinaire, le salut du pays. La campagne de 1794 était commencée, campagne qui compléta celle de 93, et donna à la révolution l'attitude conquérante qu'elle devait garder pendant vingt ans.

§ XIV. CAMPAGNE D'ÉTÉ DE 1794.

BATAILLES DE TROISVILLE,

DE COURTRAY, DE LA SAMBRE, DE TURCOING, DE PONT-A-Chin, de FLEURUS. CONQUÊTE DE La Belgique.

Il n'y avait que deux États à qui la guerre eût encore profité : c'étaient ceux-là même qui doivent à cette guerre leur grandeur actu elle, ceux que gouvernaient les deux pouvoirs les plus habiles, les plus complets qui soient sortis de l'ancienne société, et par conséquent les deux plus grands ennemis de la révolution : c'étaient l'Angleterre et la Russie. La question démocratique se débattait depuis cinq. ans, principalement en France, accessoirement en Pologne, deux Etats voués par la coalition des rois et des nobles à la destruction. La Russie s'était chargée de dompter la Pologne, « où deux démembrements n'avaient pas empêché l'expansion des principes français, » et qui, à cette époque, allait jouer dans une dernière insurrection les restes de sa glorieuse vie [1794, mars]. L'Angleterre se trouvait seule, pour ainsi dire, chargée de la guerre contre la France; car la Prusse et l'Espagne étaient disposées à se retirer d'une coalition où elles se voyaient les dupes de leurs alliés, et la Hollande, le Piémont, l'Autriche commençaient à se lasser de leurs défaites; mais Pitt déploya toutes les ressources de son génie pour ranimer une guerre qui, în sauvant l'aristocratie britannique, venait de donner à l'Angleterre, sans qu'elle eût tiré un coup de canon, cet empire des mers, objet de tous ses vœux et de ses efforts! Malgré les troubles démocratiques qui agitaient plusieurs comtés, malgré les déclamations des clubs, qui demandaient la convocation d'une convention nationale; malgré l'opposition élopuente de Fox et de

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