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l'Assemblée nationale enlevée par trois régiments; le roi devait se transporter au parlement, y faire enregistrer sa déclaration du 23 juin, et pourvoir aux besoins du trésor par la banqueroute. La prise de la Bastille fit manquer ce plan.

A la nouvelle de l'attaque de cette forteresse, l'Assemblée envoya successivement deux députations au roi, qui leur fit de vagues réponses le lendemain; et quand elle cut appris la victoire du peuple, elle se disposait à en envoyer une troisième chargée des imprécations de Mirabeau « contre les princes et princesses qui ont gorgé de vin les satellites étrangers; » mais tout à coup l'on annonça l'arrivée du roi. Ce prince avait appris dans la nuit la prise de la Bastille par le duc de Liancourt, et il en fut terrifié : « Quelle révolte ! s'écria-t-il. - Dites quelle révolution, sire! » Sur les instances de ce fidèle serviteur, il écrivit au comte d'Artois pour lui annoncer qu'il révoquait ses ordres : « Résister en ce moment, lui dit-il, ce serait perdre la monarchie, ce serait nous perdre tous. » Puis il se rendit à l'Assemblée à pied et sans escorte, et il la rassura dans un discours simple et touchant, où il annonça qu'il avait ordonné l'éloignement des troupes, « Vous avez craint, dit-il aux députés : ch bien! c'est moi qui me fie à vous... » Il fut vivement applaudi, entouré et reconduit par toute l'Assemblée, aux acclamations de la foule. Alors une députation de cent membres se rendit à Paris, qui s'apprêtait à soutenir un siége, pour lui annoncer la réconciliation du roi et de l'Assemblée, et elle fut accueillie avec le plus grand enthousiasme. Bailly et la Fayette faisaient partie de cette députation: on offrit au premier la mairie de Paris, au second le commandement de la garde bourgeoise ou nationale. Tous deux acceptèrent, et, à leur retour, ils conseillèrent au roi de sceller, par sa présence dans la capitale, la paix avec son peuple. Louis y consentit malgré la reine et les princes, mais si bien convaincu qu'il ne reviendrait pas, qu'il fit, en s'en allant, ses dispositions pour la régence. Il partit, accompagné d'une députation de l'Assemblée, et arriva à l'Hôtel de ville au milieu d'une multitude armée, sombre et silencieuse [17 juillet]. Le peuple ne se dérida qu'en lui voyant prendre la cocarde parisienne, à laquelle on ajouta la couleur royale ce fut alors cette cocarde tricolore qui, suivant la prophétie de la Fayette, devait faire le tour du monde. Louis acheva la réconciliation en confirmant la formation de la garde

nationale et de la municipalité provisoire, en approuvant les nominations du général et du maire, enfin en légitimant toute la révolution que la force venait de faire. § V. COMMENCEMENT DE L'ÉMIGRATION. - DÉSORDRES A PARIS ET DANS LES PROVINCES. NUIT DU 4 Aout. Les journées de juillet furent le complément des journées de juin : au 17 et au 23 juin, l'Assemblée s'était emparée de la puissance législative; au 12 et au 14 juillet, le peuple s'empara de la puissance publique. L'autorité ainsi que la force se trouvèrent entièrement déplacées, et la nation eut désormais tous les moyens d'accomplir la révolution. Les partisans de l'ancien régime en furent terrifiés, et ils se partagèrent dès lors en deux grandes fractions : celle qui voulait faire la contre-révolution par l'intérieur, celle qui voulait la faire par l'extérieur. Dans la première étaient ces députés de la noblesse et du clergé qui jusqu'alors avaient protesté contre les travaux de l'Assemblée : ceux-ci, dans l'espoir d'entraver par leur vote la marche législative de la révolution, déclarèrent que, vu les circonstances impérieuses où l'État se trouvait, ils prendraient part dorénavant à tous les actes de l'Assemblée. Dans la seconde fraction étaient les instigateurs de la conspiration déjouée par l'insurrection, le comte d'Artois, le prince de Condé, le maréchal de Broglie, le duc de Polignac, le baron de Breteuil, etc. : ceux-là, qui avaient manœuvré de telle sorte qu'en deux mois et demi ils avaient usé toutes les ressources de l'ancien régime, craignant les vengeances populaires, et laissant le roi se tirer de l'abîme où ils l'avaient poussé, s'en allèrent lâchement à l'étranger éveiller l'attention des couronnes sur la révolution française [16 juillet].

Cependant Louis avait rappelé Necker, qui fut porté en triomphe jusqu'à Paris; il avait fait entrer dans son conseil des députés pris dans la majorité de l'Assemblée; il semblait marcher franchement dans le sens révolutionnaire: mais tout cela ne rendait pas le calme et la prospérité au royaume. L'insurrection avait brisé toutes les idées d'obéissance et de subordination. Paris était dans une agitation perpétuelle, et la famine en était la principale cause. Les électeurs s'étaient démis de leurs fonctions et les avaient transmises à cent vingt administrateurs élus par les districts; mais la nouvelle municipalité n'ayant aucune loi pour la guider, entourée d'obstacles, obligée de tout régler, police, subsistances, justice, armée, succombait à l'immensité

de ses fravaux. La garde nationale, où l'on avait incorporé des compagnies soldées composées de gardes-françaises, était sans cesse sur pied pour escorter les farines, dissiper les émeutes; et son chef acquit la popularité la mieux méritée par son dévouement, sa fermeté, sa vigilance infatigable. Mais ses efforts ne furent pas toujours capables d'arrêter les fureurs populaires, excitées, à ce qu'on croit, par des agitateurs dont le but et les menées sont restés inconnus. C'est ainsi que deux anciens administrateurs, qu'on accusait d'être les chefs du pacte de famine, Foulon et Berthier, ayant été arrêtés en province, furent conduits à Paris, et, malgré la résistance désespérée de la Fayette, massacrés devant l'Hôtel de ville [22 juillet].

Le mouvement de la capitale s'était communiqué à toutes les provinces; et plusieurs villes avaient imité la prise de la Bastille en s'emparant des citadelles qui les dominaient. Tout à coup le bruit se répandit que les brigands qu'on voyait dans toutes les émeutes dévastaient les granges et coupaient les blés. Aussitôt toutes les campagnes s'armèrent, et les paysans commencèrent une nouvelle jacquerie contre les nobles: ils attaquèrent les châteaux, brûlèrent les archives seigneuriales, refusèrent de payer les impôts, et même en quelques lieux tuèrent leurs anciens maîtres. Les gardes nationales et les municipalités, qui se formèrent partout à l'exemple de Paris, étaient plus enclines à protéger ces désordres qu'à les arrêter. Les nobles résistèrent; et dans plusieurs provinces il y eut de vrais combats, où des deux côtés on se livra à d'horribles représailles.

L'Assemblée nationale, entre un gouvernement discrédité, mal intentionné, et un peuple affamé et insurgé, était le seul pouvoir qui pût arrêter l'anarchie, et elle avait dû, dès le premier jour, se mêler d'administration, créer un comité de subsistances, donner des ordres directs aux autorités civiles et militaires. A la nouvelle de l'incendie des châteaux et des fureurs des paysans, une vive discussion s'engagea sur les mesures à prendre pour faire respecter les propriétés [4 août]. Alors le vicomte de Noailles proposa d'arrêter l'effervescence populaire en déclarant que tous les droits féodaux étaient rachetables, que les corvées seigneuriales et autres servitudes personnelles étaient abolies sans rachat. Aussitôt le duc d'Aiguillon demanda que les corps, villes, communautés et individus qui jouissaient de priviléges particuliers et d'exemptions personnelles supportassent

à l'avenir toutes les charges publiques. Ces deux propositions sont accueillies par des acclamations, et l'Assemblée proclame « qu'elle détruit le régime féodal, qu'elle abolit à jamais les priviléges personnels ou rée's en matière de subsides, enfin que tous les citoyens sont admissibles à tous les emplois et dignités ecclésiastiques, civils et militaires. » L'enthousiasme s'empare de tout le monde; chacun veut offrir un sacrifice; une lutte de générosité s'engage, dans laquelle un évêque propose l'abolition des dîmes, un magistrat l'administration gratuite de la justice, toute la noblesse la suppression du droit exclusif de chasse. La tribune est envahie; les secrétaires n'ont pas le temps d'écrire; on vote par acclamation la révision des pensions, la réforme des corporations des métiers, l'abolition des justices seigneuriales sans indemnité, de la vénalité des offices, des droits casuels des curés, des annates, de la pluralité des bénéfices, etc. Puis les députés des pays d'états viennent offrir la renonciation aux priviléges de leurs provinces; les villes privilégiées demandent que leurs libertés locales soient confondues dans le droit commun des Français; tous veulent être régis par une même loi, une même justice, une même administration. Enfin l'Assemblée, avec des transports d'enthousiasme, proclame Louis XVI restaurateur de la liberté française, et se sépare aux cris de: Vive le roi !

Cette séance mémorable détruisit de fond en comble l'ancienne société, et c'est à ce jour que nous aurions dû rigoureusement terminer l'histoire du régime féodal. Mais quand il fallut transformer en décrets ces résolutions générales et discuter les détails d'exécution, les difficultés apparurent, les égoïsmes se montrèrent, le clergé et la noblesse firent des réclamations et parlèrent de leurs mandats dépassés et de la volonté de leurs commettants. Louis XVI fut effrayé de cette révolution législative, autrement redoutable que l'insurrection du 14 juillet, et qu'un royaliste appela la Saint-Barthélemy des propriétés. « J'admire le sacrifice, dit-il; mais je ne consenfirai jamais à dépouiller ma noblesse et mon clergé..... Si la force m'obligeait à sanctionner, je céderais; mais alors il n'y aurait plus en France ni monarchie ni monarque. » En effet, quand les décrets furent présentés à sa sanction, il les repoussa, disant que ce n'étaient que des textes pour des lois futures. Alors l'Assemblée déclara que ces décrets étaient constitutifs, qu'ils

n'avaient pas besoin de la sanction royale, et le roi n'eut plus

qu'à les promulguer.

§ VI. SITUATION DES PARTIS DANS L'ASSEMBLÉE.

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DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME. DISCUSSION SUR LE POUVOIR LEGISLATIF ET LE veto. ANARCHIE DANS PARIS. PROJETS DE LA COUR. Les partis commençaient à se dessiner, et l'Assemblée à se diviser clairement en côté gauche, composé des constitutionnels, côté droit, composé des partisans de l'ancien régime, centre, composé de ceux qui cherchaient à accorder ces deux grandes divisions. Jamais carrière plus vaste n'avait été ouverte à l'éloquence; mais aussi jamais assemblée n'avait réuni tant de grands talents. Le côté droit comptait parmi ses orateurs Cazalès et Maury: l'un simple, ardent et facile; l'autre sophiste, discoureur, érudit. On remarquait au centre Mounier, Mallouet, Lally-Tollendal, partisans de la constitution anglaise, et voulant arrêter la révolution à cette forme de gouvernement. Le côté gauche se glorifiait de Barnave, Duport, Lameth, association de talents brillants, jeunes, pleins d'avenir et de patriotisme; puis de Syeyès, esprit systématique et absolu, mais doué d'une prodigieuse puissance de conception et de déduction; sa renommée était immense, même parmi le peuple; et la constitution presque entière fut son œuvre ou celle de ses disciples. Au-dessus de tous ces hommes dominait Mirabeau, le tribun et le vrai représentant du peuple, parce qu'il en avait toutes les passions, toute la colère contre le despotisme, tout le génie révolutionnaire; parce que, seul peut-être de toute l'Assemblée, il ne mêlait pas à l'énergie de la destruction et de la liberté des rêveries spéculatives; parce que son esprit lumineux et pratique trouvait d'inspiration ce qui était possible, positif et vrai. Ce transfuge de l'aristocratic, se mettant en quête de tous les projets, profitant de toutes les idées des autres et s'en faisant l'ardent promoteur, donna une telle impulsion à la révolution, qu'on peut douter que, sans ce terrible guide, elle eût marché si vite. C'était dans les circonstances difficiles, dans les temps de danger, quand il fallait prendre de grandes résolutions, que tout son génie éclatait : alors son esprit faisait en un instant le travail des années; sa pensée jaillissait rapide comme l'éclair, substantielle et serrée comme la méditation; la raison, le sophisme, le sublime, l'invective, coulaient à flots de sa bouche, et il emportait d'assaut les acclamations et les délibé

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