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l'espèce humaine est dégradée, et où le nom | gain qu'à votre liberté, et vous craignez bien d'homme est en déshonneur. Dans les ancien- moins l'esclavage que la misère. nes républiques, et même dans les monarchies, jamais le peuple n'eut de représentans; on ne connoissoit pas ce mot-là. Il est très-singulier qu'à Rome, où les tribuns étoient si sacrés, on n'ait pas même imaginé qu'ils pussent usurper les fonctions du peuple, et qu'au milieu d'une si grande multitude ils n'aient jamais tenté de passer de leur chef un seul plébiscite. Qu'on juge cependant de l'embarras que causoit quelquefois la foule, par ce qui arriva du temps des Gracques, où une partie des citoyens donnoit son suffrage de dessus les toits.

Quoi! la liberté ne se maintient qu'à l'appui de la servitude? Peut-être. Les deux excès se touchent. Tout ce qui n'est point dans la nature a ses inconvéniens, et la société civile plus que tout le reste. Il y a telles positions malheureuses où l'on ne peut conserver sa liberté qu'aux dépens de celle d'autrui, et où le citoyen ne peut être parfaitement libre que l'esclave ne soit extrêmement esclave. Telle étoit la position de Sparte. Pour vous, peuples modernes, vous n'avez point d'esclaves, mais vous l'êtes; vous payez leur liberté de la vôtre. Vous avez beau vanter cette préférence, j'y trouve plus de lâcheté que d'humanité.

Je n'entends point par tout cela qu'il faille avoir des esclaves, ni que le droit d'esclavage soit légitime, puisque j'ai prouvé le contraire : je dis seulement les raisons pourquoi les peu

présentans, et pourquoi les peuples anciens n'en avoient pas. Quoi qu'il en soit, à l'instant qu'un peuple se donne des représentans, il n'est plus libre; il n'est plus.

Où le droit et la liberté sont toutes choses, les inconvéniens ne sont rien. Chez ce sage peuple tout étoit mis à sa juste mesure : il laissoit faire à ses licteurs ce que ses tribuns n'eussent osé faire; il ne craignoit pas que ses licteurs voulussent le représenter. Pour expliquer cependant comment les tri-ples modernes qui se croient libres ont des rebuns le représentoient quelquefois, il suffit de concevoir comment le gouvernement représente le souverain. La loi n'étant que la déclaration de la volonté générale, il est clair que, dans la puissance législative, le peuple ne peut être représenté; mais il peut et doit l'être dans la puissance exécutive, qui n'est que la force appliquée à la loi. Ceci fait voir qu'en examinant bien les choses on trouveroit que très-peu de nations ont des lois. Quoi qu'il en soit, il est sûr que les tribuns, n'ayant aucune partie du pouvoir exécutif, ne purent jamais représenter le peuple romain par les droits de leurs charges, mais seulement en usurpant sur ceux du

sénat.

Chez les Grecs, tout ce que le peuple avoit à faire il le faisoit par lui-même ; il étoit sans cesse assemblé sur la place. Il habitoit un climat doux; il n'étoit point avide; des esclaves faisoient ses travaux; sa grande affaire étoit sa liberté. N'ayant plus les mêmes avantages, comment conserver les mêmes droits? Vos climats plus durs vous donnent plus de besoins ('): six mois de l'année la place publique n'est pas tenable; vos langues sourdes ne peuvent se faire entendre en plein air; vous donnez plus à votre

(*) Adopter dans les pays froids le luxe et la mollesse des Orientaux, c'est vouloir se donner leurs chaines, c'est s'y soumettre encore plus uécessairement qu'eux.

Tout bien examiné, je ne vois pas qu'il soit désormais possible au souverain de conserver parmi nous l'exercice de ses droits, si la cité n'est très-petite. Mais si elle est très-petite, elle sera subjuguée ? Non. Je ferai voir ciaprès (') comment on peut réunir la puissance

(*) C'est ce que je m'étois proposé de faire dans la suite de cet ouvrage, lorsqu'en traitant des relations externes, j'en serois venu aux confédérations. Matière toute neuve, et où les principes sont encore à établir (*).

(*) Jean-Jacques Rousseau avoit eu la volonté d'établir, dans un ouvrage qu'il destinoit à éclaircir quelques chapitres du Contrat social, par quels moyens de petits états pouvoient exister à côté des grandes puissances, en formant des confédérations. Il n'a pas terminé cet ouvrage, mais il en avoit tracé le plan, posé les bases, et placé à côté des seina chapitres de cet écrit quelques-unes de ses idées, qu'il comptoit développer dans le corps de l'ouvrage. Ce manuscrit de trente-deux pages, entièrement écrit de sa main, me fut remis par lui-même, et il m'au torisa à en faire, dans le courant de ma vie, l'usage que je croirois utile.

du génie qui l'avoit composé, je crus (j'étois encore dans le délire de l'es perance) qu'il pouvait être infiniment utile à mon pays et aux États

Au mois de juillet 4789, relisant cet écrit, et frappé des idées sublimes

générani, et je me déterminai à le publier.

J'ens le bonheur, avant de le livrer à l'impression, de consulter le meilleur de mes amis, que son expérience éclairoit sur les dangers qui nous entouroient, et dont la cruelle prévoyance devinoit quel usage funeste on feroit des écrits du grand homme dont je voulois publier les nouvelles idées. Il me prédit que les idées salutaires qu'il offroit servient méprisées, mais que ce que ce nouvel écrit pouvoit contenir d'impraticable,de dangereux pour une monarchie, seroit précisément ce que l'on voudrott réaliser, et que de coupables ambitions s'étaieroient de cette grande autorité pour saper, et peut-être détruire l'autorité royale.

Combien je murmurai de ces réflexions! combien elles m'affligèren''

extérieure d'un grand peuplé avec la police | sous lesquelles l'une s'obligeoit à commander

aisée et le bon ordre d'un petit état.

CHAPITRE XVI.

Quз l'institution du gouvernement n'est point un contrat.

Le pouvoir législatif une fois bien établi, il s'agit d'établir de même le pouvoir exécutif; car ce dernier, qui n'opère que par des actes particuliers, n'étant pas de l'essence de l'autre, en est naturellement séparé. S'il étoit possible que le souverain, considéré comme tel, eût la puissance exécutive, le droit et le fait seroient tellement confondus, qu'on ne sauroit plus ce qui est loi et ce qui ne l'est pas ; et le corps politique, ainsi dénaturé, seroit bientôt en proie à la violence contre laquelle il fut institué.

Les citoyens étant tous égaux par le contrat social, ce que tous doivent faire, tous peuvent le prescrire, au lieu que nul n'a droit d'exiger qu'un autre fasse ce qu'il ne fait pas lui-même. | Or c'est proprement ce droit, indispensable pour faire vivre et mouvoir le corps politique, que le souverain donne au prince en instituant le gouvernement.

Plusieurs ont prétendu que l'acte de cet établissement étoit un contrat entre le peuple et les chefs qu'il se donne, contrat par lequel on stipuloit entre les deux parties les conditions

et l'autre à obéir. On conviendra, je m'assure, que voilà une étrange manière de contracter. Mais voyons si cette opinion est soutenable.

Premièrement, l'autorité suprême ne peut pas plus se modifier que s'aliéner; la limiter, c'est la détruire. Il est absurde et contradictoire que le souverain se donne un supérieur; s'obliger d'obéir à un maître, c'est se remettre en pleine liberté.

De plus, il est évident que ce contrat du peuple avec telles ou telles personnes seroit un acte particulier; d'où il suit que ce contrat ne sauroit être une loi ni un acte de souveraineté, et que par conséquent il seroit illégitime.

On voit encore que les parties contractantes seroient entre elles sous la seule loi de nature et sans aucun garant de leurs engagemens réciproques, ce qui répugne de toutes manières à l'état civil: celui qui a la force en main étant toujours le maître de l'exécution, autant vaudroit donner le nom de contrat à l'acte d'un homme qui dicoit à un autre : Je vous donne tout mon bien, à condition que vous m'en rendrez ce qu'il vous plaira.

Il n'y a qu'un contrat dans l'état, c'est celui de l'association; et celui-là seul en exclut tout autre. On ne sauroit imaginer aucun contrat public qui ne fût une violation du premier.

Je respectai l'ascendant de l'amitié unie à l'expérience, et je me soumis. Ah! que j'ai bien reçu le prix de cette déférence! Grand Dieu! que n'auroient-ils pas fait de cet écrit! comme ils l'auroient souille, ceux qui, dedaignant d'étudier les écrits de ce grand homme, ont dénaturé et avili ses principes; ceux qui n'ont pas vu que le Contrat social, ouvrage isolé et abstrait, n'étoit applicable à aucun peuple de l'univers; ceux qui n'ont pas vn que ce même J. J. Rousseau, forcé d'appliquer ces préceptes à un peuple existant en corps de nation depuis des siècles, plioit aussitôt ses principes aux anciennes institutions de ce peuple, ménageoit tous les préjugés trop enracinés pour être détruits sans déchiremens; qui disoit après avoir tracé le tableau le plus déplorable de la constitution dégénérée de la Pologne: Corrigez, s'il se peut, les abus de votre constitution, mais ne méprisez pas celle qui vous a faits ce que vous êtes ! »

Quel parti d'aussi mauvais disciples d'un si grand homme auroient tiré de l'écrit que son amitié m'avoit confié s'il pouvoit être utile!

Cet écrit que la sagesse d'autrui m'a préservé de publier ne le sera jamais; j'ai trop bien vu et de trop près le danger qui en résulteroit pour ma patrie. Après l'avoir communiqué à l'un des plus véritables amis de J. J. Rousseau, qui habite près du lieu où je suis, il n'existera plus que dans nos souvenirs.

(Cette note termine nne brochure que le comte d'Antraigues, député du Vivarais à l'Assemblée constituante, et qui émigra en 1790, fit imprimor cette année même à Lausanne sous ce titre : Quelle est la situation de l'Assemblée nationale? (In-8 de 60 pages.) Nous reproduisens ici sa note tout entière, en nous dispensant de toute réflexion sur son contenu.) G. P.

CHAPITRE XVII.

De l'institution du gouvernement.

Sous quelle idée faut-il donc concevoir l'acte par lequel le gouvernement est institué? Je remarquerai d'abord que cet acte est complexe ou composé de deux autres; savoir, l'établissement de la loi, et l'exécution de la loi.

Par le premier, le souverain statue qu'il y aura un corps de gouvernement établi sous telle ou telle forme; et il est clair que cet acte est une loi.

Par le second, le peuple nomme les chefs qui seront chargés du gouvernement établi. Or cette nomination étant un acte particulier n'est pas une seconde loi, mais sculement une suite

de la première et une fonction du gouverne

ment.

La difficulté est d'entendre comment on peut avoir un acte de gouvernement avant que le gouvernement existe, et comment le peuple, qui n'est que souverain ou sujet, peut devenir prince ou magistrat dans certaines circonstan

ces.

C'est encore ici que se découvre une de ces étonnantes propriétés du corps politique par lesquelles il concilie des opérations contradictoires en apparence; car celle-ci se fait par une conversion subite de la souveraineté en démocratie, en sorte que, sans aucun changement sensible, et seulement par une nouvelle relation de tous à tous, les citoyens, devenus magistrats, passent des actes généraux aux actes particuliers, et de la loi à l'exécution.

Ce changement de relation n'est point une subtilité de spéculation sans exemple dans la pratique : il a lieu tous les jours dans le parlement d'Angleterre, où la chambre basse, en certaines occasions, se tourne en grand comité, pour mieux discuter les affaires, et devient ainsi simple commission, de cour souveraine qu'elle étoit l'instant précédent; en telle sorte qu'elle se fait ensuite rapport à ellemême, comme chambre des communes, qu'elle vient de régler un grand comité, et délibère de nouveau sous un titre de ce qu'elle a déjà résolu sous un autre.

de ce

Tel est l'avantage propre au gouvernement démocratique, de pouvoir être établi dans le fait par un simple acte de la volonté générale. Après quoi ce gouvernement provisionnel reste en possession, si telle est la forme adoptée, ou établit au nom du souverain le gouvernement prescrit par la loi; et tout se trouve ainsi dans a règle. Il n'est pas possible d'instituer le gouvernement d'aucune autre manière légitime et sans renoncer aux principes ci-devant établis.

CHAPITRE XVIII.

Moyens de prévenir les usurpations du gouvernement.

Dans ces éclaircissemens il résulte, en confirmation du chapitre xvi, que l'acte qui instituc

| le gouvernement n'est point un contrat, mais une loi; que les dépositaires de la puissance exécutive ne sont point les maîtres du peuple, mais ses officiers; qu'il peut les établir et les destituer quand il lui plaît, qu'il n'est point question pour eux de contracter, mais d'obéir; et qu'en se chargeant des fonctions que l'état leur impose ils ne font que remplir leur devoir de citoyens, sans avoir en aucune sorte le droit de disputer sur les conditions.

Quand donc il arrive que le peuple institue un gouvernement héréditaire, soit monarchique dans une famille, soit aristocratique dans un ordre de citoyens, ce n'est point un engagement qu'il prend; c'est une forme provisionnelle qu'il donne à l'administration, jusqu'à ce qu'il lui plaise d'en ordonner autre

ment.

Il est vrai que ces changemens sont toujours dangereux, et qu'il ne faut jamais toucher au gouvernement établi que lorsqu'il devient incompatible avec le bien public: mais cette circonspection est une maxime de politique, et non pas une règle de droit; et l'état n'est pas plus tenu de laisser l'autorité civile à ses chefs, que l'autorité militaire à ses généraux.

Il est vrai encore qu'on ne sauroit en pareil cas observer avec trop de soin toutes les formalités requises pour distinguer un acte régulier et légitime d'un tumulte séditieux, et la volonté de tout un peuple des clameurs d'une faction. C'est ici surtout qu'il ne faut donner au cas odieux que ce qu'on ne peut lui refuser dans toute la rigueur du droit; et c'est aussi de cette obligation que le prince tire un grand avantage pour conserver sa puissance malgré le peuple, sans qu'on puisse dire qu'il l'ait usurpée; car, en paroissant n'user que de ses droits, il lui est fort aisé de les étendre, et d'empêcher, sous le prétexte du repos public, les assemblées destinées à rétablir le bon ordre : de sorte qu'il se prévaut d'un silence qu'il empêche de rompre, ou des irrégularités qu'il fait commettre, pour supposer en sa faveur l'aveu de ceux que la crainte fait taire, et pour punir ceux qui osent parler. C'est ainsi que les décemvirs, ayant été d'abord élus pour un an, puis continués pour une autre année, tentèrent de retenir à perpétuité leur pouvoir en ne permettant plus aux comices de s'assem

bler; et c'est par ce facile moyen que tous les gouvernemens du monde, une fois revêtus de la force publique, usurpent tôt ou tard l'autorité souveraine.

Les assemblées périodiques dont j'ai parlé ci-devant sont propres à prévenir ou différer ce malheur, surtout quand elles n'ont pas besoin de convocation formelle; car alors le prince ne sauroit les empêcher sans se déclarer ouvertement infracteur des lois et ennemi de l'état.

L'ouverture de ces assemblées, qui n'ont pour objet que le maintien du traité social, doit toujours se faire par deux propositions qu'on ne puisse jamais supprimer, et qui passent séparément par les suffrages.

La première : S'il plaît au souverain de conserver la présente forme de gouvernement.

La seconde : S'il plaît au peuple d'en laisser · l'administration à ceux qui en sont actuellement chargés.

Je suppose ici ce que je crois avoir démontré, savoir, qu'il n'y a dans l'état aucune loi fondamentale qui ne se puisse révoquer, non pas même le pacte social; car si tous les citoyens s'assembloient pour rompre ce pacte d'un commun accord, on ne peut douter qu'il ne fût très-légitimement rompu. Grotius pense même que chacun peut renoncer à l'état dont il est membre, et reprendre sa liberté naturelle et ses biens en sortant du pays ('). Or il seroit absurde que tous les citoyens réunis ne pussent pas ce que peut séparément chacun

d'eux.

LIVRE IV.

CHAPITRE PREMIER.

Que la volonté générale est indestructible.

Tant que plusieurs hommes réunis se considèrent comme un seul corps, ils n'ont qu'une

(') Bien entendu qu'on ne quitte pas pour éluder son devoir et se dispenser de servir la patrie au moment qu'elle a besoin de nous. La fuite alors seroit criminelle et punissable, ce ne seroit plus retraite, mais désertion.

volonté qui se rapporte à la commune conservation et au bien-être général. Alors tous les ressorts de l'état sont vigoureux et simples, ses maximes sont claires et lumineuses; il n'a point d'intérêts embrouillés, contradictoires; le bien commun se montre partout avec évidence, et ne demande que du bon sens pour être aperçu. La paix, l'union, l'égalité, sont ennemies des subtilités politiques. Les homines droits et simples sont difficiles à tromper à cause de leur simplicité : les leurres, les prétextes raffinés ne leur en imposent point; ils ne sont pas même assez fins pour être dupes. Quand on voit chez le plus heureux peuple du monde des troupes de paysans régler les affaires de l'état sous un chêne, et se conduire toujours sagement, peut-on s'empêcher de mépriser les raffinemens des autres nations, qui se rendent illustres et misérables avec tant d'art et de mystères?

Un état ainsi gouverné a besoin de très-peu de lois; et, à mesure qu'il devient nécessaire d'en promulguer de nouvelles, cette nécessité se voit universellement. Le premier qui les propose ne fait que dire ce que tous ont déjà senti; et il n'est question ni de brigues ni d'éloquence pour faire passer en loi ce que chacun a déjà résolu de faire, sitôt qu'il sera sûr que les autres le feront comme lui.

Ce qui trompe les raisonneurs, c'est que, ne voyant que des états mal constitués dès leur origine, ils sont frappés de l'impossibilité d'y maintenir une semblable police, ils rient d'imaginer toutes les sottises qu'un fourbe adroit, un parleur insinuant, pourroit persuader au peuple de Paris et de Londres. Ils ne savent pas que Cromwell eût été mis aux sonnettes par le peuple de Berne, et le duc de Beaufort à la discipline par les Genevois.

Mais quand le nœud social commence à se relâcher et l'état à s'affoiblir, quand les intérêts particuliers commencent à se faire sentir et les petites sociétés à influer sur la grande, l'intérêt commun s'altère et trouve des oppola volonté générale n'est plus la volonté de sans; l'unanimité ne règne plus dans les voix; tous; il s'élève des contradictions, des débats; et le meilleur avis ne passe point sans disputes.

Enfin, quand l'état, près de sa ruine, ne

peut donner un indice assez sûr de l'état actuel des mœurs et de la santé du corps politique Plus le concert règne dans les assemblées, c'est

subsiste plus que par une forme illusoire et vaine, que le lien social est rompu dans tous les cœurs, que le plus vil intérêt se pare effrontément du nom sacré du bien public, alors la vo-à-dire plus les avis approchent de l'unanimité, lonté générale devient muette; tous, guidés par plus aussi la volonté générale est dominante; des motifs secrets, n'opinent pas plus comme mais les longs débats, les dissensions, le tucitoyens que si l'état n'eût jamais existé; et multe, annoncent l'ascendant des intérêts par-l'on fait passer faussement sous le nom de lois ticuliers et le déclin de l'état. des décrets iniques qui n'ont pour but que l'intérêt particulier.

deux états en un; ce qui n'est pas vrai des deux ensemble est vrai de chacun séparément. Et en effet, dans les temps même les plus orageux, les plébiscites du peuple, quand le sénat ne s'en mêloit pas, passoient toujours tranquillement et à la grande pluralité des suffrages: les citoyens n'ayant qu'un intérêt, le peuple n'avoit qu'une volonté.

Ceci paroît moins évident quand deux ou plusieurs ordres entrent dans sa constitution, S'ensuit-il de là que la volonté générale soit comme à Rome les patriciens et les plébéiens. anéantie ou corrompue? Non : elle est toujours dont les querelles troublèrent souvent les coconstante, inaltérable et pure; mais elle est mices, même dans les plus beaux temps de la subordonnée à d'autres qui l'emportent sur république mais cette exception est plus apelle. Chacun, détachant son intérêt de l'inté-parente que réelle; car alors, par le vice inhérêt commun, voit bien qu'il ne peut l'en séparent au corps politique, on a pour ainsi dire rer tout-à-fait; mais sa part du mal public ne lui paroît rien auprès du bien exclusif qu'il prétend s'approprier. Ce bien particulier excepté, il veut le bien général pour son propre intérêt, tout aussi fortement qu'aucun autre. Même en vendant son suffrage à prix d'argent il n'éteint pas en lui la volonté générale ; il l'élude. La faute qu'il commet est de changer l'état de la question et de répondre autre chose que ce qu'on lui demande : en sorte qu'au lieu de dire, par un suffrage: Il est avantageux à l'état, il dit: Il est avantageux à tel homme ou à tel parti que tel ou tel avis passe. Ainsi la loi de l'ordre public dans les assemblées n'est pas tant d'y maintenir la volonté générale, que de faire qu'elle soit toujours interrogée et qu'elle réponde toujours.

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A l'autre extrémité du cercle l'unanimité revient : c'est quand les citoyens, tombés dans la servitude, n'ont plus ni liberté ni volonté. Alors la crainte et la flatterie changent en acclamations les suffrages; on ne délibère plus, on adore ou l'on maudit. Telle étoit la vile manière d'opiner du sénat sous les empereurs. Quelquefois cela se faisoit avec des précautions ridicules. Tacite observe (*) que, sous Othon, les sénateurs, accablant Vitellius d'exécrations, affectoient de faire en même temps un bruit épouvantable, afin que, si par hasard il devenoit le maître, il ne pùt savoir ce que chacun d'eux avoit dit.

De ces diverses considérations naissent les maximes sur lesquelles on doit régler la manière de compter les voix et de comparer les avis, selon que la volonté générale est plus ou moins facile à connoître et l'état plus ou moins déclinant.

Il n'y a qu'une seule loi qui, par sa nature, exige un consentement unanime; c'est le pacte social car l'association civile est l'acte du monde le plus volontaire; tout homme étant ne

(*) Histor. I, 83.

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