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ne pouvez comme eux vous occuper sans cesse du Gouvernement: mais par cela même que vous pouvez moins y veiller de suite, il doit être institué de maniere qu'il vous soit plus aisé d'en voir les manoeuvres et de pourvoir aux abus. Tout soin public que votre intérêt exige, doit vous être rendu d'autant plus facile à remplir, que c'est un soin qui vous coûte et que vous ne prenez pas volontiers. Car vouloir vous en décharger tout-àfait, c'est vouloir cesser d'être libres. Il faut opter, dit le Philosophe bienfaisant, et ceux qui ne peuvent supporter le travail, n'ont qu'à chercher le repos dans la servitude.

Un Peuple inquiet, désœuvré, remuant, et, faute d'affaires particulieres, toujours prêt à se mêler de celles de l'Etat a besoin d'être contenu, je le sais; mais encore un coup, la Bourgeoisie de Geneve est-elle ce Peuple- là? Rien n'y ressemble moins; elle en est l'antipode. Vos Citoyens, tout absorbés dans leurs occupations domestiques et toujours froids sur le reste, ne songent à l'intérêt public que quand le leur propre est attaqué.

Trop peu soigneux d'éclairer la conduite de leurs Chefs, ils ne voient les fers qu'on leur prépare que quand ils en sentent le poids. Toujours distraits, toujours trompés, toujours fixés sur d'autres objets, ils se laissent donner le change sur le plus important de tous, et vont toujours cherchant le remede, faute d'avoir su prévenir le mal. A force de compasser leurs démarches, ils ne les font jamais qu'après coup. Leurs lenteurs les auroient déjà perdus cent fois, si l'impatience du Magistrat ne les eût sauvés, et si, pressé d'exercer ce pouvoir suprême auquel il aspire, il ne les eût lui-même avertis du danger.

Suivez l'historique de votre Gouvernement; vous verrez toujours le Conseil ; ardent dans ses entreprises, les manquer le plus souvent par trop d'empressement à les accomplir, et vous verrez toujours la Bourgeoisie revenir enfin sur ce qu'elle a laissé faire sans y mettre opposition.

En 1370, l'Etat étoit obéré de dettes et affligé de plusieurs fléaux. Comme il étoit mal aisé dans la circonstance d'assembler souvent le Conseil général, on y

propose d'autoriser les Conseils de pourvoir aux besoins présens: la proposition passe. Ils partent de-là pour s'arroger le droit perpétuel d'établir des impôts, et pendant plus d'un siecle on les laisse faire sans la moindre opposition.

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En 1714 on fait par des vues secretes (k), l'entreprise immense et ridicule des fortifications, sans daigner consulter le Conseil général, et contre la teneur des Edits. En conséquence de ce beau projet, on établit pour dix ans des impôts sur lesquels on ne le consulte pas davantage. Il s'éleve quelques plaintes, on les dédaigne, et tout se tait.

En 1725, le terme des impôts expire, il s'agit de les prolonger. C'était pour la Bourgeoisie le moment tardif, mais nécessaire, de revendiquer son droit négligé si long-temps. Mais la peste de Marseille et la Banque royale ayant dérangé le commerce, chacun, occupé des dangers de sa fortune, oublie ceux de sa liberté. Le Conseil, qui n'oublie pas ses vues

(k) Il en a été parlé ci-devant.

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renouvelle en Deux-Cent les impôts, sans qu'il soit question du Conseil général.

A l'expiration du second terme les Citoyens se réveillent, et après cent soixante ans d'indolence it's réclament enfin tout de bon leur droit. Alors, au lieu de céder ou temporiser, on trame une conspiration (1). Le complot se découvre; les Bourgeois sont forcés de prendre les armes, et par cette violente entreprise le Conseil perd en un moment un siecle d'usurpation.

(1) Il s'agissoit de former, par une enceinte barricadée, une espece de Citadelle autour de l'élévation sur laquelle est l'Hôtel-de-Ville, pour asservir de-là tout le Peuple. Les bois déjà préparés pour cette enceinte, un plan de disposition pour la garnir, les ordres donnés en conséquence aux Capitaines de la garnison, des transports de munitions et d'armes de l'Arsenal à Í'Hôtel-de-Ville, le tamponnement de vingt-deux pieces de canon dans un boulevard éloigné, le transmarchement clandestin de plusieurs autres, en un mot tous les apprêts de la plus violente entreprise faits sans l'aveu des Conseils par le Syndic de la garde et d'autres Magistrats , ne purent suffire, quand tout cela fut découvert, pour obtenir qu'on fît le procès aux coupables, ni même qu'on improuvât nettement leur projet. Cependant la Bourgeoisie, alors maîtresse de la Place, les laissa paisiblement sortir sans troubler leur retraite, sans

faire la moindre insulte, sans entrer dans leurs maisons, sans inquiéter leurs familles, sans toucher à rien qui leur appartint. En tout autre pays le Peuple eût commencé par massacrer ces Conspirateurs, et mettre leurs maisons au pillage.

A peine tout semble pacifié que, ne pouvant endurer cette espece de défaite, on forme un nouveau complot. Il faut derechef recourir aux armes; les Puissances voisines interviennent, et les droits mutuels sont enfin réglés.

En 1650, les Conseils inférieurs introduisent dans leurs Corps une maniere de recueillir les suffrages, meilleure que celle qui est établie, mais qui n'est pas conforme aux Edits. On continue en Conseil général de suivre l'ancienne où se glissent bien des abus, et cela dure cinquante ans et davantage, avant que les Citoyens songent à se plaindre de la contravention, ou à demander l'introduction d'un pareil usage dans le Conseil dont ils sont membres. Ils la demandent enfin ; et ce qu'il y a d'ineroyable, est qu'on leur oppose tranquillement ce même Edit qu'on viole depuis un demi-siecle.

En 1707, un Citoyen est jugé clandestinement contre les Loix, condamné, arquebusé dans la prison, un autre est pendu sur la déposition d'un seul fauxtémoin connu pour tel, un autre est trouvé mort. Tout cela passe, et il n'en est plus parlé

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