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Extrait d'une Lettre de M. Barillon au Roy.

7 Juin, 1685, à Londres.

ON eut hier des nouvelles d'Irlande qui portent que le Comte d'Argile avoit descendu dans l'île d'Yle, qui est à lui; les 500 hommes qui y avoient été mis par le Marquis d'Atol s'étoient déjà retirés. Plusieurs des habitants en sont aussi sortis pour ne se pas déclarer en faveur du Comte d'Argile. On croit ici qu'il lui seroit impossible de demeurer long temps dans cette île, à moins qu'il ne soit secouru par les gens du Nord de l'Irlande: il n'y paroît aucune disposition. Les troupes de sa Majesté Britannique se sont avancées, et ont occupé les endroits propres à empêche les peuples de s'assembler ni de rien entreprendre : cela fait dire ici que l'entreprise du Comte d'Argile n'aura aucun succès. On ne sait pourtant point encore ce qui se passe dans la terre ferme d'Ecosse où il a d'abord mis pied à terre, et où le bruit est. qu'il a laissé un de ses enfants pour assembler les gens du pays qui sont pour lui. Personne ne doute que son dessein ne soit fondé sur l'espérance que M. le Duc de Monmouth essayeroit en même temps d'exciter une révolte en Angleterre ; mais on croit que M. le Duc de Monmouth n'a osé hazarder d'y venir. On a commencé en Ecosse à lui faire son procès. L'acte de la concession des revenus sera passé dans trois ou quatre jours; il à été lu pour la seconde fois à la Chambre des Pairs. Le Parlement ne s'assemble point aujourdhui, parce qu'il est le jour de l'Ascension, ni demain, parce que c'est le jour du Rétablissement du feu Roy d'Angleterre, et qu'on veut en célébrer la fête.

Il se passe avant-hier une chose de grande conséquence dans la Chambre Basse : il fut proposé le matin que la chambre se mettroit en comité l'après-diner pour considérer la harangue du Roy sur l'affaire de la religion, et savoir ce qui devoit être entendu par le terme de religion Protestante. La résolution fut prise unanimement, et sans contradiction, de faire une adresse au Roy pour

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le prier de faire une Proclamation pour l'exécution des loix contre tous les Nonconformistes généralement, c'est-à-dire, contre tous ceux qui ne sont pas ouvertement de l'Eglise Anglicane; cela enferme les Presbitériens et tous les sectaires, aussi bien que les Catholiques Romains. La malice de cette résolution fut aussitôt reconnu du Roy d'Angleterre et de ses ministres : les principaux de la Chambre Basse furent mandés, et ceux que sa Majesté Britannique croit être dans ses intérêts: il leur fit une reprimande sévère de s'être laissés séduire et entraîner à une résolution si dangereuse et si peu admissible. Il leur déclara que si l'on persistoit à lui faire un pareille adresse, il répondroit à la Chambre Basse en termes si décisifs et si fermes qu'on ne retourneroit pas à lui faire un pareille adresse. La manière dont sa Majesté Britannique s'expliqua, produisit son effet hier matin, et la Chambre Basse rejeta tout d'une voix ce qui avoit été résolu en comité le jour auparavant.

On fait grande reflexion ici sur cette marque de déférence et de soumission que la Chambre Basse a donnée. Mais ceux qui savent les motifs de la première délibération, voient bien que la seconde est forcée, et que ce qui se fait par autorité n'empêche pas que le sentiment unanime n'ait été de donner un coup aux Catholiques, et de faire même comprendre au Roy d'Angleterre combien il trouveroit de difficulté à rien obtenir du Parlement en leur faveur.

Ce Prince a témoigné beaucoup d'aigreur contre ses domestiques et autres gens attachés particulièrement à lui, qui ont donné les mains, par malice ou par ignorance, à une résolution si peu respectueuse à son égard: il connoît le ridicule et le danger qu'il y a pour lui d'être prié par le Parlement de poursuivre avec rigueur l'exécution des loix contre les Catholiques et les Nonconformistes. Cependant il en tire cet avantage, qu'il a connu le fonds des intentions de la Chambre Basse, et qu'il a fait un coup d'autorité en les obligéant à se retracter dès le lendemain d'une résolution prise unanimement.

Sa Majesté Britannique sait très-mauvais gré aux évêques qui, sous prétexte de zèle pour l'Eglise Anglicane, avoient fait prendre une résolution si absurde et si dangereuse. Les gens opposés à la Cour témoignent secrètement

leur joie de ce que la Chambre Basse a montré à tout le monde quels étoient ses sentiments sur la religion: ils ne comptent pas pour beaucoup que la Chambre Basse ait été obligée de se rétracter, espérant qu'en une autre occasion elle aura plus de fermeté, et que le Roy d'Angleterre ne sera pas toujours en état et en volonté de faire des coups d'autorité.

On a parlé dans la Chambre Basse d'exclure ceux qui avoient été d'avis d'exclure M. le Duc d'York de la succession; mais les principaux de la Chambre avoient ordre de s'opposer à cette proposition, ainsi elle n'a eu aucune suite. C'étoit une tentative contre plusieurs des Ministres, qui sont à-présent dans la confiance du Roy d'Angleterre.

On voit par ce qui s'est passé hier et avant hier combien il est difficile de prévoir ce qu'un Parlement peut faire. Cela fait dire déjà que le Parlement ne sera pas long temps assemblé : eux-mêmes ont envie d'être prorogés ou ajournés, voyant bien qu'ils ne sont pas en état de prendre une résolution de conséquence, et de la soutenir, quand elle ne sera pas agréable à sa Majesté Britannique. Ils sont aussi fort incommodés dans leur Chambre, qui est trop petite pour contenir le nombre dent elle est composée, qui est de cinq cents treize personnes. Il est pourtant apparent que la Cour fera encore quelque effort pour les obliger à donner quelque chose pour mettre la flotte en bon état.

Les Commissaires de la Compagnie des Indes d'Amsterdam, et ceux de la Compagnie de Londres se sont assemblés : ils ne paroissent pas encore disposés convenir ensemble, ni à s'approcher: ceux de Hollande veulent gagner du temps, et traiter par écrit dans les délais ordinaires; les Anglois veulent abréger la matière, et aller au fait, c'est-à-dire, convenir de la restitution dans Bantam. Les Hollandois auroient bien de la peine à y donner de bonne foi les mains.

Je sais qu'il a été agité dans les assemblées particulières qui se font des gens du Parlement de proposer quelque chose à l'égard de la France, et de marquer au Roy d'Angleterre le chemin qu'il doit tenir. On n'a pas trouvé de prétexte apparent de rien proposer présentement sur cela; s'il y en avoit

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quelque occasion dans la suite on ne la manqueroit pas, autant par mauvais intention contre le Roy d'Angleterre, que pour l'embarrasser par la jalousie de la grandeur de V. M. qui est naturellement dans les esprits des Anglois. On a parlé dans une de ces conférences de faire une adresse pour prier sa Majesté Britannique de s'employer à conserver le repos à l'Europe: cette proposition a été trouvée trop générale, et sujette à interprétation: on a même cru qu'elle pourroit donner lieu à sa Majesté Britannique de s'unir plus étroitement avec V. M., sous prétexte de la conservation de la paix.

Le Roy d'Angleterre vient de me dire qu'il est arrivé un courier exprès d'Ecosse, parti d'Edinbourg le 4, de ce mois ; que le Comte d'Argile est entré dans le pays de Cantir, qui lui appartient: c'est une langue de terre qui s'étend devers l'Irlande. Il s'est avancé jusques au pays qui porte le nom d'Argile, pour aller au-devant des troupes du Marquis d'Atol, et empêcher quelles ne se joignent avec les autres royalistes. Les lettres portent que le Comte d'Argile a trois mille hommes avec lui. L'opinion de sa Majesté Britannique est que ses troupes grossiront encore. Son fils est dans le pays de Lorn, et il leur est aisé de se joindre. Toutes les lettres qui viennent d'Ecosse font juger que le Comte d'Argile s'attendoit que M. le Duc de Monmouth se mettroit en devoir d'exciter une révolte en Angleterre.

Je suis avec le profond respect que je dois, &c.

Le Roy à M. Barillon.

à Versailles, le 15 Juin, 1685.

MONSIEUR

ONSIEUR BARILLON, j'ai reçu par la voie ordinaire vos lettres des 4 et 7 de ce mois, et par le courier que vous m'avez dépêché, celle du 10o, qui ne contient rien de plus considérable que les précédentes, sinon les raisons que vous avez de croire qu'il est du bien de mon service que je vous donne pouvoir de faire payer au Roy d'Angleterre la somme de cent mille écus, outre et par-dessus ce qui lui reste dû, à cause du subside promis au feu Roy son frère. Mais il me paroit, au contraire, par tout ce que contiennent vos dernières lettres, que

ce Prince a moins de besoins de mon assistance à-présent, qu'il en a eu depuis qu'il est parvenu à la couronne. Et en effet je vois premièrement que toutes les remontrances que le Sieur Seymer a faites dans la Chambre Basse, et tout ce qu'il a dit pour attaquer la validité des élections n'a servi qu'à déterminer plus promptement le Parlement à continuer au Roy les mêmes revenus dont jouissoit le feu Roy son frère; que d'ailleurs le bruit que fait le débarquement du Comte d'Argile en Ecosse avec une petit suite de rébelles mal pourvus de toutes choses, et peu capables d'une grande entreprise, a fait prendre aussi la résolution au Parlement d'accorder encore au dit Roy jusqu'à la somme de sieze cent mille livres sterling, qui feront plus de vingt millions de livres ; qu'enfin ce Prince n'a pas plutôt témoigné, combien lui seroit désagréable la proposition que toute la Chambre des Communes avoit résolu de faire d'une proclamation pour l'exécution des loix contre tous les Nonconformistes, qu'elle a rejetté d'un commun consentement la délibération des commissaires; ensorte qu'on peut dire que jamais Roy d'Angleterre n'a agi avec plus d'autorité dans son Par lement que ce Prince fait à-présent, et qu'il n'y a rien qu'il ne s'en doive promettre pour l'affermissement de son autorité, et pour la punition du petit nombre de rébelles qui ont osé paroître. Ainsi j'ai sujet de me promettre que non seulement il ne désirera point de moi dans la conjoncture présente, d'autre assistance que celle que je vous ai promis de lui donner, c'est-à-dire, le payement de ce qui reste dû de subsides, mais même qu'il demeurera persuadé que les témoignages publics de mon amitié, et la crainte des secours que je n'aurois pas manqué de lui donner, s'il en avoit eu besoin, ont beaucoup contribué à maintenir ses sujets dans le devoir, et à lui faire obtenir de son Parlement tout ce qu'il en a désiré jusqu'à-présent.

Il ne reste donc plus, tant pour ma satisfaction que pour la sienne, qu'à obtenir le révocation des loix pénales en faveur des Catholiques, et le libre exercice de notre religion dans tous ses états, et vous savez que c'est aussi le principal motif qui ma porté à vous faire remettre avec tant de diligence des sommes si considérables. Mais comme ce Prince ne juge pas à-propos de tenter, quant à-présent, cette demande, je ne veux pas aussi le presser de se mettre au hazard d'un refus dans une matière si importante, et pour le succès de la quelle il est de sa prudence de prendre des mesures bien justes. Je croirois néanmoins qu'à-présent que le Parlement paroît disposé, à ne lui

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