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quelle il l'assure en terms généraux, qu'il s'éstime bien malheureux d'avoir perdu ses bonnes graces, sachant bien n'avoir rien fait qui dût lui déplaire. M. Zitters a ajouté à cela, que M. le Prince d'Orange étoit fort affligé que ses ennemis eussent eu le crédit de le mettre aussi mal qu'il est dans l'esprit de sa Majesté Britannique, sans qu'il se puisse reprocher d'avoir rien fait qu'il sçût être opposé à sa volonté, ou à ses intentions. Le Roi d'Angleterre m'a fait entendre, que sa reponse à M. Zitters a été, que M. le Prince d'Orange se moquoit de lui, aussi bien que de M. Zitters, en le chargeant de dire des choses, qu'il sait n'avoir aucun fondement; que M. le Prince d'Orange n'avoit point d'ennemis dans sa cour, qui eussent pris soin de lui nuire, mais que lui-même avoit fait tout ce qu'il falloit pour cela, s'étant conduit d'une manière fort opposée, à ce qu'il devoit, tant à l'égard des affaires générales qu'à l'égard de M. le Duc de Monmouth, et des autres factieux. M. Zitters a essayé d'excuser ce que M. le Prince d'Orange a fait à l'égard de M. le Duc de Monmouth : sa Majesté Britannique s'en est moquée, et lui a dit, que M. le Prince d'Orange étoit plus habile que personne, puis qu'il savoit si bien menager un homme, dont les desseins ne pouvoient aller qu'à établir une republique en Angleterre, ou à soutenir des pretentions chimériques, et qui ne peuvent réussir sans la ruine de M. le Prince d'Orange lui-même. L'intention du Roi d'Angleterre étoit, à ce que j'en puis juger, de couper encore plus court l'entretien avec M. de Zitters, mais cela repugne à son humeur. M. le Duc de York a parlé fort decisivement à M. Zitters, et ne lui a pas donné lieu de deffendre la conduite de M. le Prince d'Orange. M. Zitters a dit à Milord Sunderland, que M. le Prince d'Orange vouloit faire tout ce qui étoit en son pouvoir pour rentrer dans les bonnes graces du Roi d'Angleterre, et de M. le Duc de York. Qu'il falloit seulement lui faire connoitre ce qu'il devoit faire pour cela; Milord Sunderland repondit, que ce n'étoit pas d'ici qu'il devoit attendre des instructions, et qu'il savoit assez, ce qui avoit pù déplaire au Roi d'Angleterre dans sa conduite, pour y apporter du changement, s'il en avoit envie.

J'ay sçu de M. le Duc d'York, qu'en parlant de tout cela avec le Roi d'Angleterre, et ses ministres les plus confidens, Milord Sunderland avoit dit qu'il est de la dignité, et de l'intérêt de sa Majesté Britannique de laisser M. le Prince d'Orange prendre de lui-même le party qu'il jugera apropos, sans lui

rien prescrire, ni même témoigner qu'on attende rien de lui; qu'après avoir, pendant trois ans, fait tout ce qui étoit en son pouvoir, contre les intérêts et les desseins du Roi d'Angleterre, il ne devoit pas croire, que ce qu'il a fait fût reparé par des complimens; qu'on ne peut marquer à présent en quoi il pourroit témoigner sa bonne volonté et son zèle; qu'il faut peutêtre beaucoup de temps pour en trouver les occasions; et que tout ce qu'il peut espérer est, que le Roi d'Angleterre veuille bien considérer qu'elle sera sa conduite à l'avenir; que cependant on ne sauroit parler trop peu et trop décisivement à M. Zitters sur une telle matière. Ce sentiment a été approuvé de sa Majesté Britannique, et il a été resolu qu'on n'écouteroit pas seulement M. Zitters, s'il vouloit en parler encore.

On parle fort ici depuis deux jours de la sédition arrivée à Brussels, et de la manière, dont elle a été appaisée par le Marquis de Grave, c'est-à-dire, en cédant entièrement au peuple. Le Roi d'Angleterre en a parlé comme d'un exemple de très-pernicieuse conséquence, et qui porteroit indubitablement les autres villes du Pays Bas à faire la même chose, voyant qu'elle demeure impunie et recompensée à Brussels,

Dépêche de M. Barillon au Roy.

La lettre que je me donne l'honneur d'écrire aujourdhuy à votre Majesté est seulement pour lui rendre un compte exact de ce qui s'est passé de plus important à la mort du feu Roy d'Angleterre. Sa maladie, qui commença le Lundi 12 Fevrier au matin, reçût divers changemens les jours suivans, quelquefois on le croioit hors de danger, et ensuite il arrivoit quelque accident qui faisoit juger que son mal étoit mortel: enfin le Jeudi quinzième Fevrier, sur le midi, je fus averti d'un bon endroit qu'il n'y avoit plus d'espérance, et que les médecins ne croioient pas qu'il dût passer la nuit ; j'allai aussitôt après à Whitehall; M. le Duc d'York avoit donné ordre aux officiers qui gardoient la porte de l'antichambre de me laisser passer à toute heure; il étoit toujours dans la chambre du Roy son frère, et en sortoit de tems en tems pour donner les ordres sur tout ce qui se passoit dans la ville; le bruit se repandoit plusieurs fois par jour que

le Roy étoit mort: d'abord que je fus arrivé, Monsieur le Duc d'York me dit, "Les médecins croient que le Roy est en un extrême danger; je vous prie d'assurer votre maître qu'il aura toujours en moi un serviteur fidèle et reconnoissant." Je fus jusqu'à cinq heures dans l'antichambre du Roy d'Angleterre ; Monsieur le Duc d'York me fit entrer plusieurs fois dans la chambre, et me parloit de ce qui se passoit au-dehors, et des assurances qu'on lui donnoit de tous côtés que tout étoit fort tranquille dans la ville, et qu'il y seroit proclamé Roy au moment que le Roy son frère seroit mort. Je sortis pendant quelque tems pour aller à l'appartement de Madame de Portsmouth; je la trouvai dans une douleur extrême; les médecins lui avoient ôté toute sorte d'espérance; cependant, au lieu de me parler de sa douleur, et de la perte qu'elle étoit sur le point de faire, elle entra dans un petit cabinet, et me dit," Monsieur l'Ambassadeur, je m'en vais vous dire le plus grand secret du monde, et il iroit de ma tête si on le savoit: Le Roy d'Angleterre dans le fonds de son cœur est Catholique, mais il est environné des évesques Protestans, et personne ne lui dit l'état où il est, ni ne lui parle de Dieu; je ne puis plus avec bienséance rentrer dans la chambre, outre que la Reine y est presque toujours; Monsieur le Duc d'York songe à ses affaires, et en a trop, pour prendre le soin qu'il devroit de la conscience du Roy; allez lui dire, que je vous ai conjuré de l'avertir qu'il songe à ce qui se pourra faire pout sauver l'âme du Roi; il est le maître dans la chambre; il peut faire sortir qui il voudra; ne perdez point de tems, car si on diffère tant soit peu, il sera trop tard."

Je retournai à l'instant trouver Monsieur le Duc d'York; je le priai de faire semblant d'aller chez la Reine, qui étoit sortie de la chambre du Roy, et qu'on venoit de saigner, parcequ'elle s'étoit evanouie: la chambre communique aux deux appartemens; je le suivis chez la Reine, et je lui dis ce que Madame de Portsmouth m'avoit dit. Il revint comme d'une profonde lethargic, et me dit, "Vous avez raison; il n'y a pas de tems à perdre; je hazarderai tout plustôt que de ne pas faire mon devoir en cette occasion." Une heure après il revint me trouver, sous pretexte encore d'aller chez la Reine, et me dit, qu'il avoit parlé au Roy son frère, et qu'il l'avoit trouvé résolu de ne point prendre la céne que les évesques Protestans le pressoient de recevoir; que cela les avoit fort surpris, mais qu'il en demeureroit toujours quelqu'uns d'eux dans sa chambre, s'il ne

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prenoit un prétexte de faire sortir tout le monde, afin de pouvoir parler au Roi son frère avec liberté, et le disposer à faire une abjuration formelle de l'héresie, et à se confesser à un prestre Catholique.

Nous agitames divers expédiens; M. le Duc d'York proposa que je demandasse à parler au Roi son frere, pour lui dire quelque chose de secret de la part de votre Majesté, et qu'on feroit sortir tout le monde. Je m'offris à le faire; mais je lui représentai qu'outre que cela causeroit un grand bruit, il n'y auroit pas d'apparence de me faire demeurer en particulier avec le Roy d'Angleterre .et lui seul, assez longtems pour ce que nous avions à faire. La pensée vint ensuite à M. le Duc d'York, de faire venir la Reine, comme pour dire un dernier adieu au Roy, et lui demander pardon si elle lui avoit desobéi en quelque chose; que lui feroit aussi la même cérémonie. Enfin M. le Duc d'York se résolut de parler au Roi son frère devant tout le monde, mais de faire ensorte que personne n'entendroit ce qu'il lui diroit, parceque cela ôteroit tout soupçon, et on croiroit seulement qu'il lui parleroit d'affaires d'état, et de ce qu'il vouloit qui fût fait après sa mort; ainsi, sans autre plus grande précaution, le Duc d'York se pencha à l'oreille du Roi son frère, après avoir ordonné que personne n'approchât: j'étois dans la chambre, et plus de vingt personnes à la porte, qui étoit ouverte, on n'entendoit pas ce que disoit M. le Duc d'York; mais le Roy d'Angleterre disoit de tems en tems fort haut, Oui, de tout mon cœur; il faisoit quelque fois repéter M. le Duc d'York ce qu'il disoit, parcequ'il n'entendoit pas aisément; cela dura près d'un quart d'heure; M. le Duc d'York sortit encore comme pour aller chez la Reine, et me dit; "Le Roy consent que je lui fasse venir un prestre ; je n'ose faire venir aucun de ceux de la Duchesse, ils sont trop connus; envoyez en chercher un vistement." Je lui dis, que je le ferois de tout mon cœur, mais que je croiois que l'on perdroit trop de tems, et que je venois de voir tous les prêtres de la Reine dans un cabinet proche de sa chambre. Il me dit, "Vous avez raison; il apperçût en même tems le Comte de Castelmelhor, qui embrassa avec chaleur la proposition que je lui fis, et se chargea de parler à la Reine; il revint à l'instant; et me dit, "Quand je hazarderois me tête en cecy, je le ferois avec joie, cependant je ne sçais aucun prétre de la Reine qui entende l'Anglois, et qui le parle." Sur cela nous resolumes d'envoyer chez le Résident de Venise chercher un prêtre Anglois; mais parceque le tems pressoit,

le Comte de Castelmelhor alla où étoient les prêtres de la Reine, et y trouva parmi eux un prêtre Ecossois, nomme Hudelston, qui sauva le Roi d'Angleterre après la bataille de Vorchester, et qui a été excepté par acte du parlement de toutes les loix faites contre les Catholiques, et contre les prêtres; on lui donna une peruque et une casaque pour le déguiser, et le Comte de Castelmelhor le conduisit à la porte d'un appartement qui répond par un petit dégré à la chambre du Roy; M. le Duc d'York, que j'avois averti que tout étoit prest, envoya Chiffins recevoir et conduire le Sieur Hudelston: ensuite il dit tout haut, "Messieurs, le Roy veut que tout le monde se retire à la reserve du Comte de Baths, et du Comte de Fevershamn." L'un est le premier des gentils-hommes de la chambre, et le second étoit en semaine et servoit actuellement. Les médecins entrèrent dans un cabinet dont on ferma la porte; et Chiffin amena le Sieur Hudelston: M. le Duc d'York, en le lui presentant, lui dit, “Sire, voici un homme qui vous à sauvé la vie, et qui vient à cette heure pour sauver votre ame." Le Roy répondit, qu'il soit le bien venu; ensuite il se confessa avec de grands sentimens de dévotion et de repentir. Le Comte de Castelmelhor avoit pris soin de faire instruire Hudelston par un religieux Portugais Carme déchaussé, de ce qu'il avoit à dire au Roi en une telle occasion, parceque de luimême ce n'étoit pas un grand docteur: mais M. le Duc d'York m'a dit qu'il s'acquitta fort bien de sa fonction, et qu'il fit formellement promettre au Roi d'Angleterre, de se déclarer ouvertement Catholique s'il revenoit en santé : ensuite il reçût l'absolution, communia, et reçût même l'extrême onction. Tout cela dura environ trois quarts d'heure. Chacun se regardoit dans l'antichambre, et personne ne se disoit rien que des yeux et à l'oreille. La présence de Milord Baths et de Milord Feversham, qui sont Protestans, a un peu rassuré les évesques; cependant les femmes de la Reine, et les autres prêtres, ont vu tant d'allées et de venues, que je ne pense pas que le secrete puisse être longtems gardé.

Depuis que le Roi d'Angleterre eut communié, il y eut un léger amendement à son mal. Il est constant qu'il parloit plus intelligiblement, et qu'il avoit plus de force; nous espérions déjà que Dieu avoit voulu faire un miracle en le guérissant; mais les médecins jugèrent que le mal n'êtoit point diminué, et que le Roy ne passeroit pas la nuit : cependant il paroissoit beaucoup plus tranquille,

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