Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub
[blocks in formation]

CADET-ROUSSEL. Un beau

jour il arriva à Cambrai, portant avec lui, comme Bias, tout ce qu'il possédait au monde; à savoir un habit canelle, une culotte grise, des bas de laine rapiécés, un vieux tricorne, deux chemises et une pai. re de souliers à clous. gros

Il se mit aussitôt à colporter de porte en porte des dessins artistement découpés au canif, et dont le travail le disputait en délicatesse à la dentelle la plus fine et la mieux ouvrée. On accueillit charitable ment la pauvre petite créature, chétive, courbée, ridée, desséchée et qui semblait vieille à vingt-quatre ans comme on l'est à soixante.

I

D'où venait-il? Quel était-il ? Personne ne l'a jamais su. Lorsqu'on lui faisait des questions à ce sujet, on n'en recevait que des réponses vagues et décousues, soit qu'il cherchât à s'envelopper de mystère, soit, comme il paraît plus probable, qu'il ne restât plus de souvenir précis dans cette faible tête désorganisée par la maladie et les chagrins. Quels chagrins? Des peines d'amour ou bien des revers de fortune, avaient-ils embrouillé cette raison qui, du reste, n'avait jamais dû être bien saine et bien énergique? Il a fallu se borner toujours à des conjectures incertaines.

Du reste, il lui arrivait souvent de parler de richesses qu'il croyait avoir, il prononçait par fois le nom d'une Rosette dont son canif représentait uniformément la silhouette.

Ajoutons que sa voix grêle, che-. vrottante et enfantine n'employait que des expressions pures, choisies, et souvent recherchées. Il mêlait même à ses propos des citations latines, vestiges d'une éducation soignée.

D'abord, on paya généreusement ses découpures, chefs-d'œuvre de patience et d'adresse. C'était à qui, les achèterait. Il s'adonnait surtout à dessiner avec fidèlité la plupart des monumens religieux en si grand nombre à Cambrai, avant la Révolution. Il faisait hommage de ces desssins aux membres du riche cler→ gé dont la ville était peuplée, et il trouvait ainsi les moyens de satisfaire à des besoins fort bornés d'ailleurs.

C'était la nuit, à la clarté d'une

lampe, que le pauvre hère travaillait avec un courage, et une persévérance sans bornes. J'en suis sûr, Montesquieu n'attachait point plus de prix aux pages sur lesquelles iltraçait l'Esprit des lois, que le grotesque artiste n'en mettait à ses chiffons de papier ciselés.

L'existence de l'infortuné ne tarda point à devenir âpre et orageuse. Des d'enfans s'acharnèrent troupes

après lui et il ne put mettre le pied

hors de sa maison, sans être assailli par leurs chansons, (*) leurs huées, et même leurs mauvais traitemens. Les larmes comiques de l'idiot, sa colère inoffensive, redoublaient les persécutions des petits vauriens; et personne ne songeait à plaindre ni à protéger une pauvre créature dont les malheurs faisaient rire.

La pitié est peut-être la sensation la plus noble et la plus douce de l'homme. Il ne s'y livre pourtant que par surprise et comme à regret. Au spectacle, au moment le plus pathétique, qu'un acteur fasse un geste, dise un mot qui prête le moins du monde au sarcasme, vous verrez le rire contracter de toutes parts les joues humides de larmes. Dans la vie réelle, il en est de même. L'infortune la plus atroce excitera une gaîté moqueuse s'il se présente la moindre circonstance ridicule.

(*) Une chanson populaire qui dépeignait burlesquement l'état et le cos.ume du malbeureux et qui avait pour refrain: Ah! ah! vraiment, Cadet Roussel est bon enfant! est aujourd'hui tout ce qui reste de lui dans le souvenir de ceux mêmes qui le poursuiv rent de leurs tracassantes criailleries.

Pour comble de malheurs, la Ré volution survint. Les bienfaiteurs de l'idiot, dépouillés d'immenses richesses, partirent pour l'exil où furent jetés dans les prisons. Il lui fallut donc quitter la ville: Douai fut son refuge. Quelques années après, il revint encore à Cambrai, mais pour peu de temps; et il retourna à Douai pour ne plus quitter cette ville. Là, il vécut long-temps encore, toujours enthousiaste de ce qu'il appellait son art.

Il mourut aveugle et délaissé, en 1820, ou en 1821. Une heure avant de rendre le dernier soufle, l'insensé recouvra dit-on, une lueur de raison et brûla quelques papiers, cachés avec soin sur sa poitrine; après cela, il redevint stupide.

S. H. B.

CRI DE L'ASCENSION. Un usage singulier se pratiquait à Tournay, avant la Révolution française, le jour de l'Ascension. Un théâtre était dressé sur la place publique de la ville; deux greffiers y inontaient le front ceint d'une couronne de fleurs et après avoir proclamé l'ouverture de la foire, publiaient l'ordonnance connue sous le nom de Cride l'Ascension qu'on trouve dans l'histoire de Tournay, , par Poutrain. Afin sans doute que personne dans l'auditoire ne put prétexter ignorance, à mesure que l'un des greffiers prononçait quatre ou cinq mots du texte de l'ordonnance, l'autre les traduisait en patois. Autres tems, autres mœurs. De nos jours, pareille cérémonie égaierait

fort le public Tournaisien. La veille de ce grand jour, le chapitre faisait planter sur la place un arbre gigantesque surmonté d'un aigle et l'y laissait tant que durait la foire. Pendant tout ce tems, les débiteurs fugitifs pouvaient, sans avoir à craindre leurs créanciers, reparaître dans la ville et y vaquer à leurs affaires.(*) Le Cri de l' Ascension datait du rè gne de St-Louis qui l'avait institué, dit-on, eu abolissant une coûtume bien autrement étrange qui rendait l'entrée de la ville aux meurtriers, en échange de quatre livres parisis. Il fut publié pour la dernière fois en 1794. Les Français s'étant emparés de Tournay en 1792 avaient fait prendre à l'arbre du chapitre les trois couleurs de leur cocarde, et l'avaient ainsi métamorphosé en arbre de la liberté ; le premier août 1793, les Autrichiens reprirent possession de la ville et le 8 mai suivant, veille de l'Ascension, l'arbre fut replanté, cachant sa livrée tricolore sous les couleurs Autrichiennes. Il a disparu depuis cette époque sans que nous ayons pu découvrir s'il a subi de nouvelles vicissitudes.

Christophe de Beaumont, que la lettre de Jean-Jacques Rousseau rendit fameux. Il devint ensuite professeur au collège militaire de La Flèche, et aussi professeur de philosophie au collège d'Arras, alors qu'il était dirigé par des prêtres séculiers, après que l'on eût ôté aux jésuite l'éducation de la jeunesse, et avant que l'on ne l'eut confiée à l'institution si distinguée des Oratoriens, Il était curé depuis dix ans, de l'église Saint-Nicolas sur les fossés, à Arras, lorsque le 30 mars 1791, il fut proclamé évêque du département du Pas de Calais, par l'assemblée électorale, en vertu de décrets de l'assemblée nationale, sanctionnés par le roi, et sur la démission de M. Duflos, curé d'Hesmond, premièrement élu, mais qui eut la modestie de se croire trop jeune, pour accepter de si importantes fonctions (1). M. Porion fut reçu à Saint-Omer, où avait été établi le siège épiscopal du département, comme un nouvel Ambroise. Toutes les autorités locales, la garnison, la société des amis de la constitution, et une population innombrable, pleine d'enthousiasme, s'étaient portées à sa PORION (PIERRE-JOSEPH), ancien évêque constitutionnel du déville. L'évêque y fit, à pied, dans rencontre, à plus d'une lieue de la partement du Pas-de-Calais, était né dans un village de la province de Picardie, situé entre Arras et Amiens. Il avait été l'un des secré

FRED. H.

taires de M. l'Archevêque de Paris,

(*) Des arbres semblables étaient jadis élęvés sur les marchés publics de Valenciennes el Douai, pendant tout le temps que durait la franche foire de ces villes; on les appellait Bannibos (bois des bannis) Ils indiquaient que les bannis pour dettes pouvaient reparaitre pendant tout le tems qu'ils é taient debout.

la soirée, au milieu de la pompe des illuminations publiques, une entrée vraiment triomphale. La file, et il avait, dans la tribune sa¬ gure de M.Porion était patriarchacrée, une imperturbak le assurance et beaucoup d'onction. Il repré

(1) M. Dulos a été depuis administrateur du département du Pas-de-Calais, et l'un de ses députés au conseil des Cing-Cents et au Corps-Législatif.

sentait bien, non pas seulement un curé mîtré, mais un prélat, et il portait avec dignité la crosse et l'anneau. A l'époque de l'interruption du culte catholique, il renonça aux fonctions ecclésiastiques, et la plupart des prêtres nombreux qu'il avait ordonnés imitèrent son exemple. Il se fit alors défenseur officieux près les tribunaux, et se maria à une femme d'un esprit distingué, Mademoiselle Purd'hon,

fille d'un officier Irlandais. M. Po

rion avait été, durant son épiscopat, l'un des notables de la municipalité de Saint-Omer; et, posté rieurement à son mariage, il fut président de l'administration municipale de cette ville. Il la quitta en 1802 et vint demeurer à Paris, où il ne s'occupa plus d'autres soins que de cultiver humblement les lettres. Il sortit de sa plume un grand nombre de vers latins et de vers français, qui le recommandent peu, comme poète, et sa muse, quoique jamais vénale, fut du moins assez complaisante pour chanter, avec le même zèle, les chefs des divers gouvernemens qui se succédèrent en France, comme dans une fantasmagorie, depuis 1790. Il écrivit par fois en prose, composa un commentaire de l'Homond et ne dédaigna point de publier des corrigés de thêmes. Il s'adonna aussi spécialement à l'éducation d'une fille unique qu'il eut de son mariage. M. Porion est mort paisiblement le 20 mars 1830 à Paris, dans la 90° année de son âge.

[ocr errors]

(G. des Cultes. )

J.-B. ROUSSEAU (SÉPULTURE DE).

".....Plus loin sur les rives de Senne
«En vain j'ai cherché le tombeau
« Qui du Pindarique Rousseau
<< Conserve la cendre incertaine :
«Mais ne pouvant orner de fleurs
« Les lieux où repose ce sage

« J'ai du moins mouillé de mes pleurs
«La modeste et lugubre page
« Qui seule atteste les honneurs
"Dont il jouit sur cette plage. »>

C'est ainsi que s'exprimait l'abbé Dourneau dans son Voyage en Brabant, imprimé dans l'Esprit des jourjoute, en note, qu'ayant appris que naux, en octobre 1792; puis il aJ.-B. Rousseau avait été inhumé dans l'église des Petits-Carmes des Sablons, à Bruxelles, il yisita ce temple et n'apperçut ni tombe, ni épitaphe en l'honneur du poète exilé. Il demanda alors à voir les registres mortuaires de la maison et y lut ce qui suit : « An. Domini 1741. 21 apr. in nostrá ecclesiá sepultus est dominus J.-B. ROUSSEAU, natione Gallus, et inter scriptores hujus sæculi, in arte poetica, famosus.

D'après cette indication, il paraissait que J.-B. Rousseau avait été enterré aux Petits-Carmes de Bruxelles le 21 avril 1741 et qu'il était sans doute mort le 19 ou le 20 du même mois; mais comme différens biographes plaçaient cet évè nement soit au 30 février, soit au 17 mars de cette année, M. Doulcet de Pontécoulant, préfet du département de la Dyle, voulut vérifier ce fait et s'adressa à M. J.-B. Lesbroussart, philologue instruit de Bruxelles, qui fit quelques recherches à cet effet et découvrit que le Pindare français était mort, non

par

à Bruxelles, comme on l'avait toujours cru, mais à la Genette, hameau situé sur la route de Bruxelles à Mons, près de Braine-le-Comte, et à trois lieues de Waterloo. Voici l'extrait mortuaire tel qu'il a été publié dans le mémoire adressé, en l'an X, par le Préfet de la Dyle au ministre de l'intérieur et dans le t. IV des Archives pour l'histoire civile et littéraire des Pays-Bas, le baron de Reiffenberg, pièce qui ne diffère essentiellement de celle donnée en 1792 par l'abbé Dourneau, que dans la date: Extractum ex libro mortuario carmelitarum discalceatorum conventus Bruxellis.- 18 mensis martii 1741, in caved juxtà altare sancti Josephi templi nostri, sepultum est cadaver domini Joannis Baptisto Rousseau, natione Galli et in arte poeticâ inter scriptores hujus sæculi famosissimi. -« Extrait de l'obituaire du cou<< vent des Carmes Déchaussés de << Bruxelles. Le 18 mars 1741, « dans le caveau sous l'autel de St<< Joseph de notre église, fut inhu<«< mé le corps de M. Jean-Baptiste « Rousseau, français de nation, et «< l'un des plus fameux poètes de ce >> siècle. »

Cet extrait est certainement ce lui qui méritele plus de foi ; il s'accorde d'ailleurs avec la foule des biographes qui fixent la mort de JB. Rousseau, au dix-sept mars 1741; l'inhumation aura eu naturellement lieu le lendemain. Il ne reste plus qu'à faire disparaître le doute qui s'élève sur l'assertion de M. J.B. Lesbroussart, fortifiée celle par

de l'abbé de Feller (1), qui fait arriver la mort au hameau de la Genette, tandis que l'extrait mortuaire ne parle que du Couvent des carmes déchaussés de Bruxelles ; on ne peut expliquer cette espèce de contradiction qu'en inférant de là que J.-B. Rousseau est bien mort à la Genette le 17 mars, mais qu'il a été enterré le lendemain à Bruxelles, où l'on aurait ramené son corps. Il ne faut les cars'étonner que pas mes aient offert leur église pour lui servir de tombeau, puisque tous les biographes s'accordent à dire que le poète est mort dans de grands sentimens de religion.

Ici devrait naturellement se terminer la tâche des rédacteurs des Archives qui se sont fait une loi de ne pas sortir du domaine que leur titre leur assigne; cependant il n'est pas sans intérêt de faire ici remarquer que les historiens ne sont pas plus d'accord sur l'époque précise de la naissance de J.-B. Rousseau que sur celle de sa mort: La Biographie universelle lui fait voir le jourà Paris, le 6 avril 1670, et bien avant elle, Moreri, Ladvocat, Chaudon et Delandine l'avaient fait naître en 1669; tous se trompaient, puisqu'on lit dans les registres provenant de la paroisse de St.-Etienne-du-Mont : « L'an 1671, le 12 a« vril, fut baptisé Jean-Baptiste, « fils de Nicolas Rousseau, maître «< cordonnier, et de Geneviève Siac, « sa femme, né lundi dernier (6 a« vril) à onze heures du soir, tenu

(1) Dans son Dictionnaire, article Rousseau.

« VorigeDoorgaan »