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LES HOMMES ET LES CHOSES.

III

MOEURS LOCALES, PRÉJUGÉS, ETC. SAVETIER. On donne parmi nous ce nom aumari dont la femme vient de mettre une fille au monde, surtout si c'est son premier enfant; c'est un savetier, diton, il ne saurait avoir de garçons; et le pauvre homme est exposé aux railleries du public. On lui adresse, sans avoir même l'honnêteté d'en payer le port, des vieux souliers, ou on plante à sa porte un trophée de bottes usées et de savates. C'est surtout dans les campagnes que cet usage singuliér existe, et fréquemment il y a été cause de rixes sanglantes. Plus d'un ménage fut troublé par l'arrivée d'un enfant du sexe féminin. Les classes élevées même ne sont pas toujours à l'abri de ce préjugé on a vu des dames trembler pendant tout le temps de leur grossesse, par l'appréhension des reproches ou des mauvais traitements que la naissance d'une fille pourrait leur occasionner de la part d'un injuste époux. La plus belle moitié du genre humain en est souvent aussi la plus malheu

reuse.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que les jeunes femmes, toujours dans l'intention d'être agréables à leurs maris, souhaitent d'enfanter des garçons Pline (1. 10. c. 55.) et Suetone (vie de Tibère) rapportent que Livie, l'une des plus belles Romaines de son temps, ayant épousé Tibère-Claude Néron, devint enceinte. Sa joie fut extrême; mais elle était empoisonnée par la crainte

de ne pas donner le jour à un fils. Comment percer dans l'avenir? qui lui découvrira ce secret qu'elle brûle tant de connaître! Elle interroge tous les augures, se livre à tous les actes de la superstition ancienne. Un jour, pressée par une envie irrésistible, par un bizarre et gracieux instinct, Livie dérobe à une poule qui couvait, un de ses œufs, le place sur son beau sein, et l'échauffe si efficacement, qu'elle en voit sortir un poussin orné d'une crête élégante. Ce présage lui parut des plus heureux et l'événement en effet répondit à son désir.

Cette impatiente curiosité de la part d'une femme, d'une Romaine de haut rang surtout, n'a rien qui doive nous surprendre ; c'est dans les demeures des puissants de la terre que les cris d'un garçon arrivant en ce monde, doivent répandre l'allégresse; c'est là, qu'on désire vivement un héritier mâle, un enfant appelé à recueillir un riche héritage, à perpétuer des parchemins et un nom déjà illustre. Combien ce souhait devient plus ardent encore, quel intérêt s'y rattache, lorsqu'il s'agit de la souveraineté dans un pays où les femmes në vent ceindre leur front de la pas couronne !

peu

Tout un peuple, l'Europe entière, a parfois attendu avec anxiété le résultat d'un enfantement. L'ancienne France salua de ses cris d'amour la venue du malheureux Louis XVII, de ce fils de Roi que des bourreaux devaient supplicier en détail

et peut-être empoisonner dans un cachot, après, ce qui est bien plus horrible! avoir cherché à faire filtrer la corruption dans sa jeune âme. Nous sommes encore étourdis du canon, des cloches et des bruyantes acclamations des grands esclaves de l'empire, qui annoncèrent l'arrivée dans le monde du fils de Bonaparte alors surnommé le Dieu. Mars; etnul de nous n'a oublié l'allégresse qui entoura le berceau du Duc de Bordeaux, de ce rejetton presque miraculeux, échappé au fer assassin, et destiné à donner une vie nouvelle à l'antique branche de nos Rois. Les Français le recurent avec bonheur des mains d'une courageuse princesse. Jamais peut-être une femme, en ce douloureux moment, ne concilia mieux ce qu'exige la délicatesse de sa position, avec la sorte de garantie que le trône aime alors à donner au peuple (1). Elle avait bien raison

(1) Bauduin á la belle barbe, comte de Flandre, avait épousé Ognie de Luxembourg; cette dame devint enceinte dans un âge a vancé, et D’Oudegherst, historien né à Lille, nous raconte en ces termes les précautions que Bauduin crut devoir prendre contre l'incrédulité de son peuple.

« Au temps (au commencement du XIe siècle) "que ladicte dame Ognie se devoit accou«cher, le comte de Flandre, Baudouyn á la « belle barbe, son mary, fit tendre en sa ville « d'Arras sur le marché une ample, sump«tueuse et magnifique tente, en laquelle il «voulut que madame Ogme, sa femme, s'ac« couchast,consentant et permettant que fust «loysible à toutes les femmes de bien, qui «en auroyent volunté, d'assister et estre pré«sentes au travail de ladicte dame; le tout « afin d'oster à un chascun la doute et opinion « qui estoit desjà enrachinée au cœur de plu«sieurs, de la stérilité de ladicte Ognie, la << quelle pour lors avoit attainct l'aage de 50 «ans. Qui fut un acte merveilleusement

par

de dissiper avec autant de soin toute idée de doute. On ne rencontre que trop souvent de ces esprits prévenus et de travers, entraînés l'exagération ou l'erreur, et qui combattent de tous leurs efforts l'existence des faits qui les contrarient. A les en croire, une reine ne pourrait pas accoucher d'un fils; et, de même que selon eux un roi ne meurt jamais que de poison ou par suite de violence, ils trouvent toujours dans les langes des princes des enfants supposés.

Les bonnes femmes et particulièrement les gardes-couches, possèdent plusieurs pronostics à l'aide desquels elles prétendent deviner le

sexe d'un enfant à naître. Elles ont

égard au déclin ou au croissant de la lune et rapprochent ces époques du jour présumé de la conception, pour en tirer des inductions. Elles regardent comme étant de fâcheux augure une gestation qui se prolonge au-delà du terme calculé : l'enfant à naître, alors, est bien certainement une fille qui vient plus tard parcequ'elle fait sa toilette avant de se montrer. Lorsqu'elles devinent juste, on admire leur sagacité; dans le cas contraire, on dit que la mère avait mal compté.

«<louable et digne de perpétuelle mémoire; <<< entant mesmes, que par cestuy, il mons «troit évidemment le soucy, auquel il es"toit pour le repos et la tranquilité de son << peuple. >>

L'enfant auquel la dame Ognie donna le jour fut un garçon connu plus tard sous le nom de Bauduin de Lille.

(Voir D'Oudegherst, t. 1er p. 201, édition de M. LESBROUSSART père, la note jointe à ce passage par cet estimable éditeur, et MONTLINOT, histoire de Lille, p. 327.)

Le docteur Procope-Couteau publia, en 1770, à Montpellier, un assez singulier ouvrage intitulé: L'Art de faire des garçons. On nous' a donné depuis : L'Art de procréer les sexes à volonté, d'avoir des enfants d'esprit, beaux, robustes, sans passions; tout cela malheureusement n'améliorera pas la race humaine. Ce sont secrets qui ne méritent pas plus de confiance que le commérage des gardes-couches et qui ne diminueront pas le nombre des savetiers, qui parfois n'en peuvent mais.

La femme à Jean Bonnot

Souffrait du mal d'enfant, Son mari lui criait d'un air attendrissant : Femme, fais un garçon, je fais sonner les De quoi te mêles-tu, Jeannot? [cloches. Que ce soit une fille au lieu d'être un [marmot, Nul ne pourra jamais t'en faire de repro

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[ches.

Ce Jean Bonnot était un brave homme du pays de Flandre, qui craignait le ridicule et le trophée de vieilles bottes. Mais n'est-ce pas là manquer de raison? et cet usage, dont j'ignore l'origine, n'est-il pas aussi injuste qu'il est bizarre ? Passe chapeu encore, quoique cela soit ritable, qu'on se raille des impuissants; mais le père d'une créature charmante, qui doit un jour faire naître autour d'elle les plaisirs et la volupté, ne mérite ni sarcasmes, ni savates.

Ce préjugé injurieux, indigne de tout homme de bon sens, disparaî– trait pour faire place à l'admiration, si les demoiselles venaient au monde comme y arriva jadis dame Minerve, en sortant du cerveau du seigneur Jupiter. Si une fille, en

naissant, était armée, des pieds à la tête, des grâces et des attraits qui l'embelliront un jour, si elle apparaîssait alors, comme elle se montrera au printemps de sa vie, avec la fraîcheur, l'éclat et la suave pudeur de cet âge heureux; au soudain aspect de ce chef-d'œuvre de la création, le bruit de nos applaudissements porterait jusqu'au ciel le témoignage de notre reconnaissance.

(Extrait d'ua ouvrage inédit sur les Femmes, par AIMÉ LEROY.)

AVOIR LE TOURTIAU (Tourteau). - On nomme tourtiau, dans nos campagnes, le marc desgraines oléagineuses lorsque l'huile en a été exprimée. Ce marc se donne en nourriture aux bestiaux, et cette nourriture pesante, d'une disgestion lente, rend leur respiration plus rare et les met dans une sorte d'état de suffocation. Par suite, lorsqu'au village une personne est accablée par une douleur profonde, dont le poids pèse sur son âme, on dit proverbialement qu'elle a le tourtiau.

L'indifférence ou la perfidie des hommes à l'égard de trop sensibles villageoises, y donne surtout lieu à l'application de ce proverbe. On l'emploie, par exemple, en parlant d'une jeune fille victime d'une inclination malheureuse et qui craindrait de laisser échapper le secret de son cœur. Cette expression perd alors tout ce qu'elle a de trivial, on ne voit plus que ce qu'elle désigne d'affreux.

Il n'existe pas aux champs de

courtiers de mariages, pas de Williaume qu'on puisse rendre dépositaire de ses désirs, d'un penchant amoureux. Une jeune vierge y estelle irrésistiblement entraînée vers un mortel chéri, mais insensible, ou peu soucieux d'une préférence si flatteuse? Elle s'affecte, fuit ses compagnes, perd sa gaité, son embonpoint et sa fraîcheur. Un chagrin cuisant la mine sourdement; de longs soupirs sortent de son cœur oppressé. On désigne, mais d'une manière incertaine, l'homme qui produisit cet horrible martyre; car jusqu'ici elle n'en a point parlé; la pudeur et la honte enchaînent encore ses lèvres décolorées. Plus tard, l'infortunée tombe dans le délire, et, au milieu des derniers accès d'une fièvre avant-courrière de sa fin, elle laisse échapper fré– quemment le nom de celui qu'elle aime plus que le monde entier. Déjà la mort s'apprête à saisir sa proie ; bientôt ce teint de rose, sein de volupté, seront sillonnés, rongés par les vers. Adieu parents, amis; adieu plaisirs des champs. Tilleuls antiques vous ne lui prêterez plus votre ombre hospitalière. Ses pieds ne fouleront plus en cadence les riantes prairies. Jaune, flétrie comme la feuille de l'automne, elle tombera avec elle, ou, ce qui est bien plus triste, au retour d'un printems nouveau! ... Voilà comme on meurt quand on a le

tourtiau.

ce

(Extrait d'un ouvrage inédit sur les Femmes, par AIMÉ LEROY.)

MOUSIN (le général). Barthélé mi-François Mousin naquit à Mau

beuge, le 24 août 1758; à peine âgé de 17 ans, poussé par ce goût militaire qui anime assez généralement les jeunes gens nés dans les places de guerre, il entra au service le 28 décembre 1755, dans le régiment de la Tour-du- . Pin, appelé depuis d'Agénois. La classe roturière avait alors peu de changes d'avancement, aussi Mousin, malgré sa bonne conduite et un coup de feu à la jambe, qu'il reçut en Allemagne le 23 décembre 1757, resta-t-il plus de 15 ans soldat et sergent. Enfin le 20 août 1771, il fut promu au grade honorable de Porte-enseigne du régiment d'Agénois et comme tel mis à la suite de l'état-major de ce corps. On pensa que le drapeau du régiment ne pouvait être ni mieux ni plus sûrement gardé. C'est dans ses mains que ce drapeau flotta en Amérique en 1777 et années suivantes, l'honneur de la liberté du Nouveau-Monde. Il y combattit glorieusement et revint accablé par des attaques de nerfs convulsives, suites des fatigues de la guerre et du climat des Etats-Unis; cette maladie, jointe aux suites de la blessure qu'il avait reçue en Allemagne, le forcèrent à entrer aux Invalides le 18 juin 1781; le 7 juillet suivant il fut admis en qualité de lieutenant. Le 6 avril 1783, on l'incorpora avec le même grade dans la première compagnie des sousofficiers détachés de l'hôtel.

en

La Révolution éclata en France et vint changer la marche des choses et la fortune des individus. Mousin entrait dans sa 52° année et après

avoir péniblement servi près de 35 ans, n'était encore que lieutenant, quoique son sang eut souvent coulé pour son pays. Mais désormais son sort va changer; la carrière qu'il courait, jusqu'alors ingrate pour lui, parceque sa naissance était une tâche originelle, devient tout-àcoup brillante et ses vieux services sont récompensés par la patrie. Autant ses premiers grades étaient difficiles à gagner, autant les derniers se succédaient rapidement. Il semblait que la fortune sentait que Mousin n'avait pas le tems d'attendre. Le 24 janvier 1790, il est nommé capitaine de sa compagnie, et le 3 septembre suivant, créé chef du 4 bataillon de Paris. Le 15 février 1791, il reçoit la croix de StLouis un des derniers avant l'abolition de l'ordre. L'étranger menaçait nos frontières ; malgré ses années, Mousin ne crut pas devoir refuser son utile coopération et sa vieille expérience. Le 25 septembre 1793, il fut fait général de brigade à l'armée de la Moselle et le 7 novembre suivant, il reçut le brevèt de général de division. C'est en cette qualité qu'il a commandé dans un des départemens de l'Est. Les infirmités l'empechèrent d'être compris dans l'organisation du 25 prairial an 3 (13 juin 1795); il fut alors autorisé à prendre sa retraite d'officier général.

Sorti du service, il vécut quelques années à Paris, répandant sur sa famille de nombreux bienfaits. N'ayant point été marié, ses petits neveux et des parens éloignés lui tenaient lieu d'enfans, et sa sobriété,

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ses gouts simples et peu dispendieux lui permettaient de trouver dans sa solde de retraite, le moyen de faire le bonheur de sa famille.Retiré dans les dernières années de sa vie à Vaugirard il vécut en philosophe et entouré d'amis. Il s'éteignit sans douleur le 13 janvier 1820, âgé près de 82 ans. Sa mort fut paisible comme les dernières annés de sa vie, il expira debout et en parlant. Sa perte causa de vifs regrets à ses parens à qui il avait constamment servi de père, à ses amis dont sa bonté et sa franchise le firent chérir. Il emporta enfin l'estime de tous les habitans de Vaugairrd, qui avaient été à même d'apprécier ses vertus et l'aménité de son caractère

ESTIENNE.

SUVÉE, (JOSEPH-BENOIT ) né à Bruges en 1743, apprit les premiers élémens de la peinture dans cette ville, et s'y fit remarquer par des progrès rapides et brillans. Il se rendit à Paris à l'âge de vingt ans, travailla sous Bachelier, remporta le premier grand prix de peinture en 1771 et partit pour Rome l'année suivante: quoique Suvée fut étranger, le gouvernement avait bien voulu, en sa faveur, déroger à l'usage. Il fit plusieurs tableaux d'église. La ville d'Ypres en possède deux : une Descente du St-Esprit, et une Adoration des Rois, que l'on place au nombre de ses

meilleurs

ouvrages.

Reçu, en 1780, membre de l'Académie royale de peinture, il fut adjoint aux professeurs de cette académie. La connaissance parfai

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