Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

qui sont les cheveux que je vois enfermés dans le joli cœur de cristal qui pend sur votre sein à ce ruban couleur de rose? (Je dois vous dire que sur la mer la chaleur était excessive, et que monsieur le chevalier, pour respirer plus à son aise, était négligemment vêtu.) Vous me demandez là, me dit-il, un secret qu'il ne m'est pas permis de révéler. Je crois le deviner, lui dis-je. Ces cheveux sont un gage d'amour et de fidélité, et vraisemblablement vous en avez laissé un pareil en échange. Cela est vrai, répondit-il en rougissant. Eh bien ! monsieur le chevalier, regardez-moi, et voyez si je vaux la peine que vous soyez infidèle et parjure à celle dont le cœur se repose sur votre foi. Le chevalier baissa les yeux. Dans les lectures de mon enfance, rien ne m'a plus intéressé ajoutai-je, que l'histoire de Malte, et dans le caractère de ses chevaliers, j'ai cru voir autant de générosité que de franchise et de valeur. Soyez, comme eux, aussi loyal que vous êtes aimable; je vous devrai mon innocence; ne m'enviez pas ce bienfait. A l'égard de ma liberté que je vous dois aussi, mais qui ne m'est pas aussi chère, disposez-en, je le veux bien, et faites-en l'hommage à celle à qui la vôtre est engagée. Je consens à ce que ma vie soit employée à la servir. Vous lui direz : J'ai délivré cette fille de l'esclavage; j'ai respecté en elle son honnêteté, son malheur; mais elle croit devoir me consacrer sa vie en échange de mes bienfaits; et comme elle ne peut être à moi, j'ai voulu qu'elle fût à vous. N'est-il pas vrai, monsieur le chevalier, que ce sera faire, des droits que vous avez sur moi, l'usage le plus noble et en même temps le plus doux?

Il fut charmé de ce conseil; et autant je l'avais vu auparavant troublé, interdit et confus, autant je le vis calme et content de lui-même. Cela m'apprit qu'un cœur honnête n'est jamais à son aise avec une pensée ou un désir qui ne l'est pas. Non, dit le jeune batelier, une mauvaise intention est dans l'âme comme une épine dans le doigt; on y a la fièvre jusqu'à ce qu'elle en sorte.

Nous arrivâmes à Marseille, et de là bientôt à Paris. Une lettre m'y avait déjà précédée, et recommandée à la comtesse de M***, la plus jolie des veuves; et sur la foi du chevalier, je fus reçue avec bonté. Mais à Paris, je ne songeai qu'au voisinage de Besons, et je fis si bien qu'un beau jour je persuadai à ma maîtresse d'aller, avec son chevalier, nous promener sur ce bord de la Seine, que l'on disait charmant. J'y trouvai mon André : Le voilà, dis-je en le voyant, celui que le ciel me destine. Il est fidèle au rendez-vous qu'il m'a donné lui-même sur le marché d'Alep. A l'instant j'aperçus mon père. Ah! ce fut là que ma tête, mes sens, mon âme, tout se perdit. André lui-même fut oublié. Je ne vis que mon père ; je m'évanouis dans ses bras, et

lorsque je rouvris les yeux, je le vis à genoux, arrosant mon sein de ses larmes. C'était cette douce rosée qui venait de me ranimer. André, comme vous croyez bien, ne se possédait pas de joie. Eh bien! s'écriait-il en bondissant, eh bien! vous l'avais-je promis? La voilà! Oui, lui dis-je, la voilà telle que le ciel la fit naître, et telle qu'elle était dans les bras de son père au moment qu'il lui fut ravi. J'ai couru des périls, mais sans tache et sans honte; et le ciel m'est témoin, lui qui m'en a sauvée, que j'y aurais laissé la vie s'il m'eût fallu y laisser l'honneur.

Le chevalier et ma maîtresse croyaient rêver; ils ne concevaient rien à tout cela. Mais quand nous fûmes un peu remis d'une première émotion, nous leur contâmes, à peu près, ce que vous avez eu, mesdames, la bonté de vouloir entendre; et ils virent bien qu'avec l'aide de mon bon ange, j'avais dû retrouver dans la cabane de Besons mon père et mon fidèle André. Celuici prit la liberté de leur offrir une matelote. Nous soupâmes ensemble. Notre bonheur semblait les rendre aussi heureux que nous; et dès ce moment mon aimable et généreux kibérateur me rendit à mon père pour disposer de moi. Mais je voulus ramener ma maîtresse ; et ce ne fut que le lendemain que je revins à la cabane. J'y trouvai mon André brûlant d'amour. Je suis moins vive; mais ma reconnaissance ne le fit pas languir. Il aurait animé le marbre; et vous pouvez croire, mesdames, que je n'avais le cœur ni assez froid ni assez dur pour rester insensible et glacé près du sien.

La comtesse et le chevalier voulurent bien assister à ma noce. L'un, pour prix de ma délivrance, exigea que la fête en fût célébrée à ses frais; et l'autre eut la bonté de faire mon trousseau, que j'ai conservé pour ma fille.

Ils auraient voulu que mon père redemandât ses biens dans le royaume de Kasan. Mais la valeur de ces biens-là tient aux hommes qui les cultivent; et où retrouver ceux que nous y avions laissés ? D'ailleurs, André se croyait assez riche avec sa barque et ses filets; mon père trouvait comme lui qu'il ne nous manquait rien; je pensais tout de même; nous ne voulûmes plus tenter les caprices de la fortune; et contens du repos obscur qu'elle nous accordait, nous ne désirâmes plus rien.

Le bon Lucas, qui s'était repris d'amitié pour son neveu, lui a laissé son bien en mourant. Nous n'y touchons pas : ce sera la dot de nos filles, et la ressource de ceux de nos enfans qui pourraient en avoir besoin. Vous comptez donc en avoir un grand nombre, leur demanda Sophie? Oui, tant que Dieu voudra, reprit André: nous sommes disposés, Bathilde et moi, à lui obéir. Sa providence a eu soin de nous, elle aura soin de nos enfans.

Eh bien! mesdames, avais-je tort, demandai-je à mes deux compagnes, en vous disant que sous cet humble toit le bonheur pouvait habiter? Oui, dirent-elles, assurément, c'est là du bonheur, si jamais il en fut. Mais ce qui nous étonne le plus de leurs aventures passées et de leur situation présente, c'est qu'ils n'en soient pas étonnés.-Comment le seraient-ils? n'ont-ils pas vu, leur disje, ces événemens se lier naturellement l'un à l'autre ? Rien n'est surprenant dans la vie que les effets dont les rapports avec leur cause ne nous sont pas connus; tout au monde paraîtrait simple, si l'on voyait nettement par quels noeuds tout est enchaîné. Le hasard n'est qu'un escamoteur habile, qui dérobe à nos yeux ses tours de gobelets.

FIN DU TOME SECOND.

« VorigeDoorgaan »