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de peu. Tant de sagesse unie à tant de beauté méritait bien un attachement délicat et solide. Il est temps, dit Alcidonis, que je goûte du flacon bleu.

Une chaleur douce et vive se répandit dans ses veines. Ce n'était point l'inquiétude des fantaisies, ce n'était point l'emportement de la passion: c'était une émotion délicieuse, le pressentiment de la félicité. Il brûle d'être à Thélésie; il brûle de n'avoir plus avec elle qu'un même sort, qu'une vie et qu'une âme ; et cédant à son impatience, il lui propose de s'unir à elle. Thélésie ne fut point insensible à cette marque d'amour et d'estime. Vous êtes assez généreux, lui dit-elle, pour m'offrir votre main. Je veux la mériter; je la refuse : j'en serais indigne, si je l'acceptais. Il eut beau lui répondre de l'aveu de son père, lui faire un crime de ses refus, la menacer des reproches qu'elle se ferait à elle-même de l'avoir rendu malheureux ; elle parut inébranblable.

Cependant Thélésie, dans sa retraite, ne cessait de verser des larmes. La seule esclave qui lui restait voyait la douleur dont elle était consumée, et n'en pouvait pénétrer la cause. Fallait-il l'attribuer à la mort de son époux? Quoi! pleurer sans cesse un mari philosophe? Cela n'était pas naturel. Sa maîtresse écrivait souvent à un citoyen d'Argos; et les réponses qu'on lui rendait lui arrachaient de profonds soupirs. La curiosité ou le zèle porta l'esclave à ouvrir une des lettres de Thélésie. Elle était conçue en

ces termes :

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« Si vous n'avez un cœur d'airain, vous serez touché, seigneur, » du désespoir d'une infortunée qui donnerait son sang pour la - liberté de son père. Ariste, mon époux, à qui je n'avais pas rougi d'avouer que j'étais née d'un esclave, n'a rien épargné » pour rendre mon père à mes vœux. Il l'a fait chercher vaine» ment. J'apprends enfin qu'il est en votre pouvoir, et je l'apprends » dans l'indigence. J'ai apprécié tout ce qui me reste. Hélas! il » s'en faut bien que je sois en état de suffire à ce que vous exigez. » Je n'ai plus qu'une seule ressource: c'est de m'offrir moi-même » en échange pour mon père. Il n'est pas juste que je sois libre, » tandis que mon père est esclave: je suis jeune, il est accablé » d'années; vous pouvez tirer de ma servitude plus d'avantages » que de la sienne; mes mains s'endurciront au travail; mon » cœur est fait à la patience. Si je voulais user de la facilité » qu'on peut avoir à mon âge de séduire et d'intéresser les » hommes, je ne serais pas réduite à cette cruelle extrémité ; » mais l'esclavage est moins honteux que le vice: je n'hésite pas

» à choisir. »

L'esclave, pénétrée d'admiration et de pitié, porta cette lettre

à Alcidonis. Ah! s'écria-t-il, le cœur saisi et les yeux en larmes, voilà donc la cause de ses refus! Elle est née esclave! Et qu'importe? la vertu est la reine du monde. C'est à la fortune à rougir. Quelle piété ! quelle tendresse ! Vous, Thélésie, vous, dans l'esclavage! Que n'ai-je un trône à vous offrir! Au nom des dieux, dit-il à l'esclave, garde-moi bien le secret : je pars, les pleurs de ta maîtresse vont être essuyés. Ton zèle aura sa récompense.

Alcidonis se rend à Argos; et le père de Thélésie est libre. L'inconnu qui l'affranchit lui donne de quoi se rendre à Athènes, et lui dit en le quittant: Vous allez revoir Thélésie; vous devez la liberté à sa tendresse et à ses vertus. Il dépend d'elle d'être heureuse et de vous rendre heureux. Mais si le service que je viens de vous rendre vous est cher, promettez-moi d'engager cette fille vertueuse à cacher sa naissance et vos malheurs aux yeux de celui qui la demande pour épouse. Je le connais; il la respecte; il lui serait affreux de la voir rougir. Si votre bienfaiteur paraît jamais devant vous, renfermez votre reconnaissance : il ne veut être connu que de vous seul. Quoi ! dit le vieillard attendri, ma fille ne connaîtra jamais la main qui vient de briser ma chaîne ! Non, reprit Alcidonis; n'accablez point Thélésie de ce fardeau humiliant. Il est des devoirs qui abaissent l'âme : laissons à la sienne, je vous en conjure, sa noblesse et sa liberté. Le vieillard promit tout à son libérateur.

Il arrive à Athènes. Sa fille s'évanouit en le voyant. O mon père! lui dit-elle, quel dieu vous accorde à mes larmes? L'avarice de votre maître s'est-elle enfin laissé fléchir? Oui, ma fille, répondit le vieillard. Je sais que je dois à ta tendresse et à tes vertus la liberté, la vie, et le bonheur inespéré de venir mourir dans tes bras.

Alcidonis, de retour, vint presser de nouveau Thélésie, par tout ce que l'amour a de plus tendre, de consentir à leur hymen. Le vieillard n'avait pas manqué d'exhorter sa fille au silence sur l'humiliation de leur premier état. Non, lui avait-elle répondu avec courage, il est moins humiliant de l'avouer que de le taire : quiconque aura intérêt à me connaître, apprendra de moi qui je suis.

Vous voulez donc, dit-elle à Alcidonis, que je vous ouvre mon âme? Tant que j'ai été malheureuse, j'ai renfermé ma douleur en moi-même; mais vous méritez de partager ma joie. Apprenez que mon destin m'a fait naître dans la servitude. On m'en avait retirée; mon père y gémissait encore. Un dieu bienfaisant me l'a rendu ; il est libre; il est ici; vous l'allez voir. Cependant la tache

de notre servitude est ineffaçable; et vous avouer qui nous sommes, c'est vous déclarer sans retour, que ni votre honneur, ni ma reconnaissance, ne me permettent de vous écouter.

Vous m'outragez, Thélésie, lui dit Alcidonis d'un air plein de tendresse et d'amertume. Me croyez-vous moins philosophe, moins généreux qu'Ariste? Lui aviez-vous caché le malheur de votre naissance? Non, sans doute. N'a-t-il pas méprisé l'injustice de la fortune et de l'opinion? Je suis son disciple; ses préceptes sont gravés dans mon cœur : son exemple est-il honteux à suivre? ou ne me croyez-vous pas assez de vertu pour l'imiter? Ce n'est pas la vertu, lui dit-elle en souriant, c'est la prudence qui vous manque. Ariste avait eu le temps de s'éprouver : vous n'êtes pas, comme lui, dans l'âge où l'on peut se répondre de soimême; je vous épargne des regrets.

Alcidonis, désolé de cette constance invincible, tombait aux genoux de Thélésie, pour la fléchir par la pitié. Dans ce moment paraît le vieillard qu'il avait tiré d'esclavage. Que vois-je? Ah! ma fille, s'écria-t-il, c'est lui..... Et tout à coup, se souvenant de la défense d'Alcidonis, il s'interrompit lui-même, et demeura les yeux attachés sur son libérateur, en laissant échapper quelques larmes. Quoi ! mon père, dit Thélésie étonnée, vous le connaissez! C'est lui, dites-vous! Achevez: qu'a-t-il fait ? où l'avez-vous connu? Alcidonis, vous baissez les yeux! vous rougissez ! mon père vous regarde avec attendrissement ! Ah! je vous entends l'un et l'autre. Mon père! c'est lui qui vous a racheté ; c'est à lui que je dois mon père. - Oui, ma fille, voilà mon bienfaiteur. Est-ce là, dit Alcidonis en embrassant le vieillard qui se prosternait à ses pieds, est-ce là ce que vous m'aviez promis! Pardonnez, dit le vieillard, mon cœur était saisi; ma fille m'a deviné; ce n'est pas ma faute. - Eh bien! puisqu'elle sait tout, obligez-la donc, cette fille cruelle, à ne pas me désespérer: c'est sa main, c'est son cœur que je demande pour prix du bien que je lui rends. Le vieillard pénétré reprocha vivement à sa fille une ingratitude dont elle n'était point coupable; et prenant sa main tremblante, il la mit dans celle de son libérateur. C'est à votre père que je la dois, cette main que vous m'avez refusée, dit tendrement Álcidonis en la baisant. Consolez-vous, répondit Thélésie avec un sourire : vous ne lui devez que ma main; mon cœur s'était donné lui-même.

Alcidonis, enchanté, employa le reste du jour à se disposer à partir le lendemain pour Mégare. La nuit, comme il goûtait un doux sommeil, la fée Galante lui apparut de nouveau, et lui dit Soyez heureux, Alcidonis; aimez sans inquiétude; possédez sans dégoût; désirez pour jouir; faites des jaloux, et ne

le soyez jamais. Ce n'est pas un conseil que je vous donne, c'est votre destin que je vous annonce. Vous avez bu à la source de la félicité parfaite. Je distribue à pleines mains des flacons pourpres et couleur de rose; mais le flacon bleu est un don que je réserve à mes favoris.

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LAUSUS ET LYDIE.

Lausus equum domitor debellatorque ferarum.
VIRG. AEN. VII.

Le caractère de Mézence, roi de Tyrenne, est assez connu. Mauvais prince et bon père, cruel et tendre tour à tour, il n'avait rien d'un tyran, rien qui annonçât la violence, tant que ses volontés ne trouvaient aucun obstacle; mais le calme de cette âme superbe était le repos du lion.

Mézence avait un fils appelé Lausus, que sa valeur et sa beauté rendaient célèbre parmi les jeunes héros de l'Ausonie. Lausus avait suivi Mézence dans la guerre contre le roi de Préneste. Son père, au comble de la joie, l'avait va, couvert de sang, combattre et vaincre à ses côtés. Le roi de Préneste, chassé de ses Etats, et cherchant son salut dans la fuite, avait laissé dans les mains du vainqueur un trésor plus précieux que sa couronne une princesse dans l'âge où le cœur n'a que les vertus de la nature, où la nature a tous les charmes de l'innocence et de la beauté. Tout ce que les grâces éplorées ont de noble et d'attendrissant était peint sur le visage de Lydie. A sa douleur mêlée de courage et de dignité, l'on distinguait la fille des rois dans la foule des esclaves. Elle reçut les premiers respects de ses ennemis, sans hauteur, sans reconnaissance, comme un hommage dû à son rang, dont le sentiment généreux n'était point affaibli dans son âme par l'infortune.

Elle entendit nommer son père, et à ce nom elle leva au ciel ses beaux yeux remplis de larmes. Tous les cœurs en furent émus Mézence lui-même, interdit, oublia son orgueil et son âge. La prospérité, qui endurcit les âmes faibles, amollit les cœurs altiers; et rien n'est plus doux qu'un héros après le gain d'une bataille.

Si le cœur farouche du vieux Mézence ne put résister aux charmes de sa captive, quelle fut leur impression sur l'âme vertueuse du jeune Lausus! Il gémit de ses exploits; il se reprocha sa victoire, elle coûtait des larmes à Lydie. Qu'elle se

venge, disait-il, qu'elle me haïsse autant que je l'aime; je ne l'ai que trop mérité. Mais une idée plus accablante encore vint se présenter à son âme : il vit Mézence étonné, attendri, passer tout à coup de la fureur à la clémence. Il jugea bien que l'humanité seule n'avait pas fait cette révolution, et la crainte d'avoir son père pour rival fut pour lui un nouveau tourment.

Dans l'âge où était Mézence, la jalousie suit de près l'amour. Le tyran observa les yeux de Lausus avec une attention inquiète : il vit s'éteindre en un moment cette joie et cette ardeur qui d'abord avaient éclaté sur le front du jeune héros, vainqueur pour la première fois. Il le vit se troubler; il surprit des regards qu'il n'était que trop aisé d'entendre. Dès ce moment il se crut trahi; mais la nature eut un retour qui suspendit la colère. Un tyran, même dans la fureur, s'efforce de se croire juste; et avant de condamner son fils, Mézence voulut le convaincre.

Il commença par se déguiser lui-même avec tant d'art, que le prince rassuré crut ne voir, dans les soins de l'amour, que les effets de la clémence. D'abord il affecta de laisser à Lydie toutes les apparences de la liberté; mais la cour du tyran était remplie d'espions et de délateurs, cortége ordinaire des hommes puissans, qui, ne pouvant se faire aimer, mettent leur grandeur à se faire craindre.

Son fils ne se défendit plus de rendre à la captive un hommage respectueux. Il mêlait à ses sentimens un intérêt si délicat, si tendre, que Lydie commença bientôt à se reprocher la haine qu'elle croyait avoir pour le sang de son ennemi. De son côté, Lausus se plaignit d'avoir contribué aux malheurs de Lydie. Il prit les dieux à témoins qu'il ferait tout pour les réparer. Le roi mon père, dit-il, est aussi généreux après la victoire qu'intraitable avant le combat satisfait de vaincre il ne sait point opprimer : il est plus facile que jamais au roi de Préneste de l'engager à une paix glorieuse pour l'un et pour l'autre. Cette paix tarira vos larmes, belle Lydie; mais effacera-t-elle de votre souvenir le crime de ceux qui vous les ont fait répandre? Que n'ai-je vu couler tout mon sang, au lieu de ces précieuses larmes!

Les réponses de Lydie, pleines de modestie et de grandeur, ne laissaient voir à Lausus qu'une tranquille reconnaissance; mais dans le fond de son cœur elle n'était que trop sensible au soin qu'il prenait de la consoler. Elle rougissait quelquefois de l'avoir écouté avec complaisance; mais l'intérêt de son père lui faisait une loi de ménager un tel appui.

Cependant leurs entretiens plus fréquens tous les jours, devenaient aussi plus animés, plus intéressans, plus intimes; et

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