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saint me vouer pour lui faire passer quelques consolations, lorsque je vis arriver chez mon oncle un homme de finance, qu'on disait protégé du cardinal, premier ministre, et qui me demandait en mariage pour son fils. C'était mon jeune clerc luimême qui lui en avait donné l'idée.

Il lui était recommandé; et en style de protecteur, le financier avait daigné lui dire que, dans l'occasion, il serait bien aise de l'obliger. Closan se rappela cette belle promesse. Désespéré de ne plus me voir, instruit que mon tuteur était un riche avare, persuadé que j'étais réservée à quelque favori de la fortune, et ne voyant dans son étude que des moyens douteux et lents de s'enrichir, il résolut de prendre la route plus aisée et moins infructueuse des emplois de finance; et il alla prier son protecteur de la lui ouvrir. Celui-ci abusant de la facilité qu'ont tous les supplians à confier leurs peines, tira de lui la confidence du malheureux amour qui causait son ambition, voulut savoir le nom de la jeune personne; et son protégé lui dit tout, excepté notre intelligence, encore en laissa-t-il soupçonner quelque chose, en lui avouant que s'il parvenait à quelque emploi considérable, il avait lieu de croire qu'il ne serait point refusé.

Je penserai à vous, lui dit M. de Bliancour; revenez me voir un de ces matins. Le jeune homme s'en retourna pénétré de reconnaissance. Son protecteur eut en effet la bonté de penser à lui; mais il daigna aussi penser à moi. Il avait entendu dire que j'étais belle; il se douta que je serais riche; il lui fut aisé de savoir quels biens mon père avait laissés; un oncle avare et sans enfans était encore une perspective attrayante; il crut trouver en moi ce qui convenait à son fils; et d'abord, pour le délivrer d'un rival incommode, il envoya son protégé Closan faire en province son noviciat de financier. Ensuite il vint offrir pour moi, à mon tuteur, le plus sot des enfans des riches.

Vous jugez quelle différence; je ne dis pas pour la figure : à Dieu ne plaise que je compare une massive ébauche à l'élégance même de la grâce et de la beauté ! Mais pour l'esprit ! ah! dans un seul regard, dans un geste du jeune clerc, il y avait plus de pensées ingénieuses et de sentimens délicats, que dans toutes les galanteries de l'insipide Bliancour. Mais quand il aurait eu l'esprit de Fontenelle, il n'aurait pas séduit le mien. Je le refusai net; et je dis à mon oncle, qu'à dix-sept ans on n'était pas pressée de se marier. Il eut beau me vanter la fortune du prétendant, je l'assurai qu'avec toute son opulence, cet hommelà ne me plairait jamais. Il faut donc qu'un mari plaise à mademoiselle, reprit ma tante avec humeur ? Oh bien, moi, je suis

lasse d'être sa surveillante. Elle n'a qu'à choisir, du mariage ou du couvent. Je préférai le couvent avec joie, espérant qu'il serait pour moi une moins étroite prison.

Mais en voilà bien assez pour aujourd'hui, dit-elle. Je viens de vous donner de petites scènes de comédie; demain le déjeuner sera plus sérieux.

DEUXIÈME DÉJEUNER.

LE COUVENT ET LE PETIT BOIS.

LORSQUE nous fûmes rassemblés sous le berceau, autour de la table du thé, notre jolie petite vieille reprit ainsi :

Croyez-vous à l'étoile ? Oh bien moi, mes amis, j'y crois; je me flatte même d'en avoir une, et vous allez tous convenir que j'ai des raisons pour cela. Elle voulut donc, mon étoile, que pour mieux me dépayser, et mieux dérouter mon jeune homme (car il avait essayé pour me voir tous les moyens qu'inventent l'amour et la folie), mon oncle imagina de me mener sans bruit à l'abbaye du Pont-aux-Dames, où il avait des relations.

L'abbesse lui donna sa parole que je serais inaccessible et invisible à tous les hommes; et autant qu'il dépendit d'elle, je fus ce qu'elle avait promis. Mon oncle lui avait confié que j'avais dans la tête un petit grain de folie amoureuse, dont il fallait me guérir, disait-il; et l'amour était ce qu'on appelle la béte noire de l'abbesse. Je ne sais pas ce qu'il lui avait fait; mais la malheureuse ne pouvait en entendre le nom sans frissonner. Dieu veuille avoir son âme ! Elle me veillait de bien près, mais cette vigilance ne me gênait en rien, car je n'avais ni les moyens ni l'espérance de donner de mes nouvelles au seul être à qui je pensais.

Il se sera lassé, disais-je, de m'appeler des yeux; et désespérant de me revoir, il m'aura oubliée. Hélas! il a bien fait. Que ne puis-je aussi l'oublier! J'avais emporté avec moi mon unique consolation, la petite épagneule que je tenais de lui; et c'était elle qui recevait mes plaintes. Ce plaisir me fut envié; et peu de jours après mon arrivée, l'abbesse me signifia qu'il fallait m'en priver. Ni mes prières ni mes larmes ne purent la fléchir, et tout le couvent fut témoin de ma désolation.

Ma chère petite Florette! allait-on la noyer, ou l'abandonner aux passans? Heureusement l'une de mes compagnes, sensible à ma douleur, me proposa, pour l'adoucir, d'envoyer Florette à sa mère, et de la lui recommander. Elle était de Rosay, petite ville voisine du couvent; et quand sa mère la viendrait voir, elle m'ap

porterait ma petite épagneule; je la reverrais quelquefois. Ce fut pour moi un soulagement inexprimable, et je regarde comme un présage le plaisir que j'en ressentis. J'envoyai donc Florette à la mère de mon amie. La lettre dont je l'accompagnai vous aurait émus de pitié. L'abbesse elle-même en fut touchée; car on n'écrivait rien qu'elle ne vît: telle était la loi du couvent.

Mademoiselle de Nuisy (c'était le nom de la jeune personne) était loin de savoir encore quels droits elle s'était acquis à ma reconnaissance; elle ne sentait pas le prix de ce trésor confié à sa mère; et quand je parlais de Florette en soupirant, et les larmes aux yeux, elle riait de mon enfance. Elle était bien heureuse! elle n'avait rien vu de sa fenêtre qui fît le tourment de son cœur.

Vous concevez l'état du mien. Qu'était-il devenu, ce malheureux jeune homme ! Que pensait-il de moi? Y pensait-il encore ? Combien n'était-il pas à plaindre, s'il m'aimait toujours ! Et combien ne l'étais-je pas, s'il ne m'aimait plus ! Ces idées me poursuivaient, ne me quittaient non plus dans le sommeil que dans la veille; et cependant l'objet de mes inquiétudes n'était qu'à quelques lieues de moi.

Contrôleur des fermes à Meaux, et me croyant toujours cap. tive chez mon oncle, il était consumé d'amour, d'ambition, d'impatience de s'avancer, et d'avoir à m'offrir une fortune assez honnête pour m'obtenir de mes parens.

Un jour enfin, les relations de son emploi l'ayant appelé á Rosay, et se trouvant dans l'une de ces sociétés que forment les petites villes, il voit sur les genoux de l'une des femmes qui étaient en cercle, une épagneule toute semblable à celle qu'il m'avait donnée. La ressemblance l'intéresse; il approche, il caresse la petite épagneule; il fait l'éloge de sa beauté, et en la caressant, il reconnaît le grelot, le collier dont il l'avait parée. Ah! madame, s'écria-t-il, avec émotion, d'où avez-vous eu cette jolie petite chienne?

Madame de Nuisy ne demandait pas mieux que de conter son aventure. Hélas! dit-elle, c'est par pitié que je lui ai accordé l'asile. Une jeune personne, compagne de ma fille, l'avait apportée au couvent où elles sont ensemble. La règle ne lui permettait pas de l'y garder. La pauvre enfant ne savait à qui la confier; elle était désolée. Ma fille a le cœur bon; elle n'a pu la voir dans cet état sans s'attendrir sur elle; et l'une et l'autre elles m'ont priée de prendre soin de cet innocent animal, qui, sans moi, serait délaissé. Alors, pour rendre son récit plus touchant, elle fit lire mes deux lettres (car je lui en avais écrit une seconde pour lui rendre grâce de l'hospitalité qu'elle avait bien voulu accorder à Florette), et tout le monde en fut ému.

Je vous laisse à imaginer l'impression que firent sur mon jeune amant de si sensibles témoignages du prix que j'attachais au don qu'il m'avait fait. En feignant de sourire au sentiment naïf dont mes lettres étaient remplies, il demanda à les lire lui-même; et dans l'excès de son émotion, dévorant des yeux ces caractères tracés de ma main, adorant cette signature, Philippine Oray de Valsan, qu'il voyait pour la première fois, il mourait d'envie d'y appliquer ses lèvres. Mais cette envie fut réprimée par la crainte de se trahir.

Il engagea doucement l'entretien avec madame de Nuisy, lui parla de sa fille, lui fit dire tout ce qu'elle savait, et tout ce qu'il voulait savoir du couvent où j'étais captive. Elle fit amplement l'éloge de la parfaite sûreté dont y jouissait l'innocence, de la vigilance de madame l'abbesse, de son extrême sévérité à interdire tout accès, toute relation du dehors; et le résultat fut qu'une exacte clôture, des murs impénétrables, des grilles même inaccessibles, et des tourières inexorables, me séparaient de lui: triste objet de réflexion!

J'étais là, il en était sûr, mais une tentative imprudente et manquée, soit pour m'écrire, soit pour me voir, allait me faire enlever de ce couvent, et m'éloigner de lui, sans qu'il pût retrouver mes traces. C'était un coup du ciel que la proximité de son poste de ma demeure; c'en était un bien plus miraculeux encore que la rencontre de la petite chienne : mais plus cette bonne fortune lui était précieuse, plus il fallait la ménager.

Avant que d'attaquer la place, il commença par en observer l'enceinte et tous les alentours. Nulle espérance d'y pénétrer, nulle espérance même d'approcher du parloir. Il découvrit enfin, que des fermes voisines, de jeunes villageoises apportaient au couvent tantôt des pots de crême, et tantôt des fleurs ou des fruits, que les pensionnaires achetaient à la grille. Il était blond, je vous l'ai déjà dit, et n'avait encore sur les joues que ce duvet qui est la fleur d'un beau teint. Il ne vit rien de plus facile, ni de plus sûr à faire, que de se déguiser en paysanne, et de venir, un clayon sur la tête, et sous le bras une corbeille pleine de bluets et de roses, se présenter au parloir du couvent.

Je m'y rendis avec mes compagnes; et quoique je n'eusse vu Closan que d'assez loin, ces yeux bleus et ces cheveux blonds me rappelèrent son image. La plus légère ressemblance aurait suffi pour attirer mon attention; mais plus je l'observais, et plus je me sentais émue. Enfin, tandis que mes compagnes se jetaient sur les fleurs, je fixai mes yeux sur les siens; et un regard d'intelligence fut pour moi un trait de lumière. Allons, mademoiselle, achetezmoi de mes bouquets, me dit-il d'une voix radoucie; en voilà un

que j'ai fait avec soin. Je le pris, et en le payant, je vis en écrit dans cette main qu'il me tendait : Elle est à vous. Jamais je n'éprouvai d'émotion pareille. L'impression que fit sur mon cœur l'accent de cette voix sensible que j'entendais pour la premiere fois, le ravissement où j'étais de voir de près ces traits animés par l'amour, ces yeux tout pétillans de flamme, et en même temps la frayeur que quelqu'une de mes compagnes ou de nos surveillantes ne s'aperçût de ce qui se passait en lui et en moi-même ; enfin tout ce que la joie a de plus vif et la crainte de plus glaçant, me causait un frémissement qui nous aurait trahis, si le son de la cloche n'eût abrégé la scène.

Mes compagnes, heureusement, ne pensaient pas à moi. Le clayon et la corbeille eurent un prompt débit; on ne parla que de la blonde; et j'appris qu'elle avait promis de revenir trois jours après, la veille de la Fête-Dieu, et d'apporter des fleurs en abondance pour orner l'église et l'autel.

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Retirée dans ma cellule, livrée à mes réflexions, ou, pour mieux dire, abandonnée au délire de mon amour, j'admirais cette étoile qui semblait présider à notre destinée, et nous dominer tous les deux, lorsqu'en déliant mon bouquet pour le mettre dans l'eau, je découvris, sous le jonc qui nouait les fleurs, un ruban de papier, où étaient écrits ces mots : « Le ciel nous aime, ma chère Philippine; il fait des prodiges pour nous. Nos ennemis, croyant nous séparer, nous réunissent. J'ai un emploi » à Meaux, qui n'est pas éloigné d'ici. C'est à Rosay que j'ai appris en quel lieu vous étiez cachée. La dureté de votre abbesse, en vous privant de la petite chienne que vous daignez aimer, semble me l'avoir envoyée pour me découvrir votre asile. L'amour » m'a fait trouver ce moyen de nous voir. Nos cœurs nous sont >> mutuellement connus. Nous avons su que nous nous aimions >> avant de pouvoir nous le dire. Assurons-nous bien l'un à l'autre une constance invariable. Tous les deux orphelins, tous les deux sans fortune, mais tous les deux bien nés, c'en est assez. Mon >> travail et un peu de temps nous feront un état paisible. Espé»rance et courage, c'est tout ce qu'il faut à l'amour. J'ai besoin » de l'une et de l'autre, ne me refusez pas un mot qui me les

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>>

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>> donne ».

Et il avait signé, Hippolyte Closan.

Quelle inhumaine aurait eu la force de le lui refuser, ce mot si désiré? Je tâchai cependant d'y entremêler le sentiment et la raison. Je lui avouai que j'étais touchée de la bonté qu'il avait encore de s'occuper de moi; mais je l'accusai d'imprudence. Je lui exposai le danger d'un artifice qui me rendrait la fable du couvent, s'il était découvert; et je finis par lui conseiller, pour son repos et pour

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