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Les parens, occupés sans cesse à observer les mouvemens de la jeune société, n'en laissaient échapper aucun; et leurs réflexions flottaient entre l'espérance et la crainte. Floride est en scène, disait madame de Telmon; c'est bon signe, il est arrivé quelque chose d'intéressant. L'on avait remarqué ses aparté fréquens avec Raimond, avec Adèle; et puis, le tête-à-tête d'Adèle avec Raimond. Dieu sait si l'on était curieux de savoir ce qui causait ces

mouvemens.

Eh bien! dit Varanzai à Raimond, il me semble que tu prends goût à la conversation avec ces demoiselles; et vous n'avez pas mal employé le temps de notre partie de trictrac. Il est vrai qu'elles sont gentilles, et cette petite Floride a surtout un air fin qui annonce de l'esprit. Oui, mon père, elle en a, répondit froidement Raimond. --Sa sœur, quoique bien jeune encore, paraît avoir une raison formée. En effet, rien de plus sensé. — Tu ne dis rien d'Adèle, notre voisine de campagne ! elle est belle, mais voilà tout, n'estce pas ? Voilà tout! Non, mon père, ce n'est pas tout; et plût au ciel que sa beauté fût le seul, fût le plus dangereux de ses charmes ! Je ne vous ai jamais rien caché; je ne puis vous rien dissimuler encore. Sachez donc que Camille, non, Camille ellemême n'a rien de plus intéressant ni de plus aimable qu'Adèle ; et si je la voyais long-temps, je ne sais, je l'avoue, laquelle des deux obtiendrait la préférence dans mon cœur.

Ah! mon fils, que me dis-tu là ! Tu serais infidèle à cette aimable enfant qui t'aime de si bonne foi! Non, mon père; ne craignez rien j'ai pris le parti le plus sûr pour ne pas avoir ce tort là. - Et quel est ce parti? C'est de ne plus revoir celle que j'aurais trop à craindre. — Voilà pourtant, mon fils, des liaisons qu'il est difficile de rompre tout à coup avec bienséance. — Pardonnez-moi, mon père, il est aisé de supposer qu'en votre absence il faut que j'aille prendre soin de votre maison. Restez ici, et laissez-moi regagner cette solitude où j'espère bientôt n'être plus qu'à moi-même et à celle à qui je me dois. Ma résolution en est prise, et, s'il faut vous le dire, je m'y suis engagé avec Adèle, en lui avouant ce qui m'obligeait à la fuir. Et ta résolution ne l'a point offensée ?-Oh! point du tout; elle a loué ma fidélité, mon courage, et m'a bien assuré que ce serait un malheur pour elle que d'avoir troublé mon repos. Elle a même ajouté à ma situation une circonstance nouvelle qui seule m'aurait décidé; comme c'est là son secret, et non pas le mien, je le tais.

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Je n'ai plus rien à dire; et quand il te plaira nous partirons, lui dit son père: rien ne me retient plus ici. Seulement pour n'avoir pas l'air de partir à la dérobée, nous irons faire nos adieux. Sais-tu, dit, le soir même, madame de Blosel à sa fille (car un

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billet de Varanzai venait de l'avertir de ce qui se passait ), saistu que nos voisins de campagne s'en vont après-demain ? Je m'y attendais, lui répondit Adèle ; et j'en ai quelque peine. Il aurait mieux valu, s'il eût été possible, que ce fût nous..... Quoi! nous? Hélas! oui, nous qui les eussions laissés passer tranquillement leur hiver à Paris. Est-ce que nous sommes la cause qu'ils s'en éloignent? - Oui, nous le sommes. Et avec sa simplicité elle lui raconta ce qui leur arrivait. Mais voilà, dit la mère, un contre-temps bien malheureux! Ah! si malheureux, dit Adèle, que s'il avait des suites, je ne m'en consolerais pas. A ces mots, deux ruisseaux de larmes coulèrent de ses yeux. Figurez-vous, dit-elle, la situation de ce jeune homme, plein d'honnêteté, de candeur, sensible et vrai comme Hippolyte. Il aime, il est aimé, il est heureux. Il me voit; je ne sais quelle fatalité nous fait trois fois trouver ensemble; et voilà son bonheur troublé, peut-être empoisonné pour la vie ! Ah! ma mère, qu'il est subtil et redou-table ce poison de l'amour ! Je me flatte, ma fille, que tu ne l'as point respiré. -Non, je l'espère. Et cependant, que sais-je quelle est cette tristesse, cette pitié, cette douleur que je ressens du mal que j'ai fait à Raimond? Allons-nous-en, je vous en prie. J'ai besoin d'être seule avec vous. Laissons à Paris ce jeune homme se dissiper, et m'oublier; je ne serai tranquille qu'en apprenant qu'il l'est, et qu'il ne pense plus à moi.

Console-toi, lui dit sa mère. Ce mal qui paraît grand n'est peut-être pas sans remède. Vraisemblablement ils viendront nous faire leurs adieux. Tu n'as qu'à te louer de la vertu de ce jeune homme, reçois-le bien, et laisse-lui dans l'âme un doux et consolant souvenir de l'estime que tu lui auras témoignée, c'est un baume pour les blessures que fait un amour malheureux.

Le lendemain au soir, Varanzai et son fils vinrent prendre congé. Une tristesse amère et profonde, mais calme, était empreinte sur le visage de Raimond. La pâleur d'Adèle exprimait le saisissement de son âme. On eut pitié de leur silence; et un petit détail de commissions pour la Touraine ayant servi de prétexte au père et à la mère pour passer dans un cabinet, les deux amans se trouvèrent seuls. Quel moment! Adieu, mademoiselle, dit Raimond, d'un air abattu; daignez quelquefois plaindre un homme heureux avant de vous connaître, mais qui craint bien, après vous avoir vue, d'être au moins long-temps malheureux. En prononçant ces mots d'une voix déchirante, il vit tomber des larmes de ces beaux yeux que la pudeur tenait baissés. Il ne put résister au charme de ces pleurs; et se précipitant sur une main qui lui était abandonnée : O Camille! s'écria-t-il, de quels sacrifices n'es-tu pas digne! mais qu'il est grand celui que je te

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fais! Adèle, à ce nom de Camille, fut saisie d'un tremblement er qui lui étouffait la voix. Camille, dites-vous? ô ciel! Raimondst seriez-vous Hippolyte?-Hélas! oui, je le suis. -Eh bien! c'es la main de Camille que vous tenez. - La main de Camille! Ah! ten grand dieu ! quel bonheur on nous ménageait ! Nous étions rivan de nous-mêmes! A ce transport de joie les parens accoururent; et ́ils trouvèrent leurs enfans, l'un aux genoux de l'autre, dans ve un ravissement qui ne peut s'exprimer.

Ça, mes enfans, dit Varanzai, si votre union n'est pas la plus intime, la plus tendre qui fût jamais, ce ne sera pas notre faute car nous avons bien pris tous les moyens possibles pour assurer votre bonheur. C'est à vous désormais de le bien ménager et de le rendre inaltérable. Il l'est dès ce moment, s'écrièrent-ils tous les deux.

LES DÉJEUNERS DU VILLAGE,

OU

LES AVENTURES DE L'INNOCENCE.

PREMIER DÉJEUNER.

LA FENÊTRE.

J'AVAIS pour voisine de campagne une petite vieille, d'un natu

rel aimable et d'une figure où l'on voyait encore toutes les traces de la beauté. Son teint avait perdu sa fleur; ce n'était plus le duvet de la pêche, mais c'était le poli et même un peu du vermillon d'une belle pomme d'api conservée pendant l'hiver. Le jeu de sa physionomie était plein de finesse et de vivacité; quelques étincelles de feu jaillissaient même encore de ses yeux lor qu'ils s'animaient; de jeunes femmes lui auraient envié la douceur et le charme de son sourire; et à son enjouement, à son désir de plaire, aux traits de sensibilité qui lui échappaient, surtout aux grâces de son esprit et à celles de ses manières, il n'est personne qui n'eût dit comme Fontenelle, que l'Amour avait passé par là.

Elle s'était formée dans son village une petite société d'amis qui allaient tous les matins prendre avec elle du thé au lait, tantôt dans un salon riant, et tantôt en plein air sous un frais berceau de

verdure.

J'étais du nombre de ces amis. Elle aimait à conter les histoires du temps passé, et nous aimions fort à l'entendre.

Madame, lui dîmes-nous un jour, tous vos récits nous enchantent; mais celui dont nous serions le plus curieux, ce serait, il faut l'avouer, l'histoire de votre jeunesse. Vous n'êtes pas dégoûtés, nous dit-elle; et en effet, si je voulais, j'aurais bien de quoi vous amuser. Mais je ne parle jamais de moi; et la raison, c'est qu'en parlant de soi on semble toujours se flatter, ou du moins s'épargner soi-même ; et jamais l'auditeur ne manque de rabattre du bien et d'ajouter au mal.

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et que

Nous l'assurâmes tous que nous l'en croirions sur sa foi, chacune de ses paroles serait prise à la lettre. Quoi! dit-elle, jamais vous ne serez tentés de supposer dans mes récits quelques petites reticences et d'y suppléer?—Non, jamais. - Et tant que je vivrai vous me garderez le secret? - Oui, tant que nous vivrons nous-mêmes. Oh! non, dit-elle, ce serait trop exiger de vous; et du moins dois-je permettre qu'à mon âge vous puissiez raconter, chacun à vos amis, ce que la bonne madame de Closan vous aura dit de ses jeunes folies; mais je vous avertis que l'histoire en est un peu longue, que j'y ferai des pauses, et que nous en avons pour trois ou quatre déjeuners. Tant mieux, lui dimesnous; et après nous avoir versé du thé, elle commença son récit. J'étais née riche sans le savoir: mon père, habile négociant, avait péniblement amassé de grands biens enfermés dans un portefeuille. J'étais encore enfant lorsqu'il mourut je n'avais déjà plus de mère ; et je restai, selon l'usage, à la merci d'un oncle, mon tuteur, et d'une tante, son épouse, tous deux gens dévots, mais avares, et de mon bien comme du leur. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'étant durs pour eux-mêmes, en qualité d'avares, ils ne l'étaient pas moins pour moi.

Leur première pensée fut que, si je savais de bonne heure quelle était ma fortune, par cette seule idée et malgré tous leurs soins, je serais un enfant gâté. Cette prévoyance était sage; mais leur prudence alla trop loin; et pour me rendre plus docile et me tenir plus dépendante, ils me firent accroire que mes parens ne m'avaient rien laissé. De tous les bijoux de ma mère, ce petit cœur d'or fut le seul que l'on me donna. Quant aux biens de mon père, on eut le même soin de les faire valoir et de me les cacher. Ainsi, je me croyais un objet de pitié pour ceux de mes parens qui me tenaient sous leur tutelle, et il n'en fut jamais de plus sévère ni de plus triste.

Jusqu'à seize ans, je n'avais presque vu le jour que par ma fenêtre. Mais à seize ans, cette fenêtre me fit voir quelque chose qui me fut plus cher que le jour : un jeune et beau clerc de

notaire, qui, le matin, avec des cheveux blonds de la plus douce teinte, négligemment relevés par un peigne et à demiflottans, prenait un moment l'air à sa fenêtre, vis-à-vis de la mienne, avant que d'aller à l'étude. Imaginez-vous Apollon en robe de chambre d'indienne; c'était mon clerc, car dès ce moment il fut le mien; il l'a été toute sa vie ; et c'est de lui que je suis veuve je vous en préviens et pour cause.

En le voyant pour la première fois, tout ce qui jusqu'alors avait été confus dans mon âme et dans ma pensée, les ennuis de ma solitude, le vague de mes rêveries, l'inquiétude qui de la veille me poursuivait dans mon sommeil, tout parut s'éclaircir. Je crus voir ce qui manquait à mon bonheur; mais l'intervalle de la petite cour qui nous séparait l'un de l'autre était un abîme à franchir : nos regards au moins le franchirent.

Sa' surprise, son émotion, le ravissement que lui causa ma vue me fut trop sensible. Il dut s'apercevoir aussi du mouvement que j'éprouvai, car celui-là fut involontaire, je n'eus pas le temps d'y penser; mais je suis sûre au moins qu'il fut timide et mêlé de cette pudeur qui est un instinct pour l'innocence. Ce fut cette pudeur qui m'avertit que je ne devais pas me tenir long-temps à la fenêtre vis-à-vis d'un jeune homme qui avait du plaisir à me voir. Je m'éloignai, je fis quelques tours dans ma chambre, j'eus l'air de m'amuser de mes oiseaux; mais tous mes mouvemens me ramenaient au même point. J'allais, je revenais, je passais comme une ombre, et à chaque détour j'observais d'un coup d'œil si l'on était occupé de moi. Mon jeune clerc, immobile et ravi, me suivait, me parlait des yeux, et semblait reprocher aux miens de ne pas se fixer sur lui.

Enfin j'eus le courage de me dérober à sa vue, mais le reste du jour ne fut pour moi qu'un rêve, et les soins dont on m'occupait ne purent m'en tirer. J'étais sous les yeux de ma tante, qui semblait m'observer plus attentivement, plus sévèrement que jamais. Pour lui cacher mon trouble, je voulus lire; et je ne voyais dans mon livre que des yeux bleus et des cheveux blonds. Elle me demanda compte de ma lecture; je ne sus ce que je disais. Je me plaignis d'un éblouissement que j'avais voulu lui cacher, de peur, disais-je, d'alarmer sa tendresse ; et Dieu sait comme elle était tendre!

Le jour me parut long, je désirais la nuit pour être seule avec moi-même, et dans l'espérance que le sommeil, favorable à ma rêverie, ne ferait que la prolonger. Je l'en priai en me livrant à lui, et il eut cette complaisance.

Nous étions dans le mois d'avril, et au moment de cette renaissance de beau retour de jeunesse que la nature, hélas! aurait

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