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nombre; jeune époux d'une femme aimable, et encore plus jeune que moi, je n'avais, grâce au ciel, aucune envie de lui être infidèle. Mon goût pour le théâtre était mon seul attrait. L'un de nos connaisseurs, le chevalier d'Onval, avait tant fait par ses souplesses qu'il s'était lié avec moi de ce qu'on appelle amitié. Il avait de l'esprit, du goût, de la culture; et une espèce de philosophie qu'il affichait, m'ayant persuadé qu'avec une pointe de galanterie et de libertinage, il ne laissait pas d'avoir encore un fonds d'honnêteté, je m'étais pris dans ses filets. Il venait chez moi fréquemment; et comme il ne me semblait pas plus empressé auprès de ma femme que ne le permet la bienséance, je ne me défiais point de lui. J'étais plus loin encore de me défier d'elle. Mais quel piége le fourbe osa nous tendre à tous les deux !

Dans l'un de ces soupers où notre cercle d'amateurs daignait admettre les talens, une actrice des plus célèbres amena et recommanda une jeune et belle aspirante dont le début était annoncé. Cette jeune personne s'appelait Mélanie. Elle devait débuter dans un rôle où le costume exigeait, disait-on, une parure de diamans; elle n'en avait pas encore; elle en était humiliée. Ceux de son amie étaient connus ; elle ne voulait ; pas qu'on dît parure fût empruntée.

que sa Cette délicatesse est noble, lui dit à demi-voix le chevalier d'Onval; mais si un ami vous faisait le plaisir de vous prêter des diamans qu'on n'eût pas vus sur le théâtre ?...... Assurément, dit Mélanie, j'en serais très-reconnaissante. Marquis, me dit négligemment le chevalier, tu peux lui faire ce plaisir-là : ceux de ta femme sont oubliés dans un écrin; et sans qu'elle s'en aperçoive, il est aisé de les lui dérober pour cinq à six jours seulement. Je réponds, moi, que Mélanie en aura sbin, et qu'ils seront fidèleinent rendus. J'eus la faiblesse d'y consentir; j'eus le tort bien plus grave encore d'en faire mystère à ma femme. De là tous les malheurs dont nous avons été les deux innocentes victimes.

Vous savez quelle impression fit sur l'âme d'Hortense la vue de ses diamans; vous savez avec quelle adresse le fourbe lui avait préparé ce coup de théâtre accablant. Il l'observait; il la vit sortir du spectacle; il me quitta pour venir la séduire, en feignant de la consoler. L'évanouissement d'une femme dans une loge avait fait du bruit, je l'entendis nommer autour de moi, je quittai le spectacle, et j'arrivai chez moi avec l'inquiétude de l'amour le plus tendre. Jugez de la révolution qui se fit dans mon âme en entrant dans son cabinet.

O Dieu ! quel tissu de noirceurs, s'écrie Hortense, et quel horrible caractère vous venez de me dévoiler ! J'en suis vengé, reprit Vervanne. Connu pour un aventurier, rebuté, mécontent de l'ê

tre, son insolence a provoqué le châtiment qu'il méritait; il l'a subi en lâche ; et il est mort comme il devait mourir.

Mais nous, Hortense, que de peines nous auraient épargnées à tous les deux quelques mots d'éclaircissement! Non, sans la pleine intimité d'une confiance qui n'admet aucune espèce de réticence, il n'y a jamais d'estime inaltérable pour les cœurs même les plus unis. L'inquiétude, le soupçon couve et germe dans le silence; si la plainte differe de s'exhaler, elle s'aigrit; il faut couper racine aux mésintelligences du moment qu'elles naissent, et l'on a eu raison de dire que le soleil ne doit jamais laisser en se couchant de nuage entre deux époux.

J'espère, mon ami, lui dit Hortense en lui tendant la main, que vous serez fidèle à une si sage maxime: moi, je promets de l'observer jusques à mon dernier soupir.

LES RIVAUX D'EUX-MÊMES.

Sous le beau ciel de la Touraine, dans ces plaines riantes où le Cher promène ses eaux, un loyal gentilhomme, un ancien militaire, veuf et père d'un fils unique, Varanzai, retiré du monde, jouissait dans sa solitude des seuls biens dignes de payer d'honorables et longs travaux. Assez riche pour se donner les plaisirs de la bienfaisance, considéré, chéri de tout son voisinage, il présidait à la culture de ses champs et de ses jardins; il faisait son occupation la plus sérieuse et la plus assidue de l'éducation de son fils; et pour lui rendre ses études plus faciles, plus attrayanil prenait soin lui-même de lui en frayer la route et de la lui semer de fleurs. Raimond (c'était le nom du fils) avait seize ans. Déjà fortifié par des exercices pénibles, sa taille, sa figure, son caractère mâle et la trempe de son esprit qui répondait à celle de son âme, tout donnait de lui les plus belles, les plus solides espérances; il était l'ami de son père, et son père était son ami, sans que ni d'un côté la plus docile obéissance, ni de l'autre l'autorité la plus absolue et la plus révérée, altérât les douceurs de leur intimité. Une tendresse mutuelle conciliait, accordait tout, et semblait tout égaliser.

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De l'autre côté de la Loire, sur les bords de la Cise, madame de Blosel et Adèle sa fille étaient un autre exemple de cette union tendre qui de deux âmes n'en font qu'une. La continuelle habitude de commander avec douceur, d'obéir avec complaisance, avait si bien familiarisé le devoir avec le penchant et le respect

avec l'amour, que ce ne semblait être qu'une même sentiment, comme une même volonté.

Adèle avait à peine ses treize ans accomplis; mais l'éducation sans rien hâter elle, ne laissait pas d'avoir un peu devancé l'âge. Ce n'étaient point les fruits précoces de l'esprit et de la raimais c'en était déjà la fleur : celle de sa beauté, sans être épanouie, brillait d'un éclat ravissant.

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De tels voisins étaient bien faits pour se connaître; mais ils vivaient si retirés, si contens de leur solitude, qu'il fallut que le sort se mêlât de les rapprocher.

Varanzai dînait quelquefois chez l'intendant de la province, homme d'un esprit sage, d'un commerce facile, et qui, dans les fonctions de sa place, avait pour principe, qu'on fait toujours respecter assez l'autorité qu'on fait chérir. Madame de Blosel, bien digne de goûter et d'apprécier un tel homme, l'allait voir aussi quelquefois.

Ce fut chez lui que s'étant rencontrés, les deux voisins se prirent d'amitié l'un pour l'autre. Il est aisé de croire que cette sympathie commença par des entretiens sur l'article de leurs enfans, et sur les soins qu'ils se donnaient tous deux, avec tant de plaisir, pour les former et les instruire. Lorsque de bons parens se rencontrent ensemble, et que mutuellement ils ont la complaisance de laisser parler leur tendresse sur l'unique objet qui les touche, un tel sujet ne tarit point; et après l'avoir épuisé, on se regrette; on a besoin de se revoir pour l'épuiser encore.

Sésalve, l'homme aimable dont je vous ai parlé, flatté que c'eût été chez lui qu'ils eussent lié connaissance, mit de l'empressement à les y attirer; et chaque nouvelle entrevue ajoutait à leur liaison plus d'intérêt encore et plus de cordialité.

Madame, dit un jour le bon père à la bonne mère, avec quelque réserve et quelque modestie que vous parliez de votre fille, je vois cependant qu'elle est belle, pleine d'esprit, d'un naturel heureux; et que, formée sur son modèle, le caractère de cette enfant achevera d'en faire une femme accomplie. De mon côté, j'avoue que je n'oserais dire de mon fils tout le bien que j'en pense et que j'en espère. Leur âge et leur état sont d'ailleurs assortis, leurs fortunes le sont assez; pourquoi ne nous accorderions-nous pas à les destiner l'un à l'autre?

Monsieur, lui répondit madame de Blosel, je vais vous paraître fantasque et peut-être un peu romanesque; mais d'abord je ne veux donner pour époux à ma fille qu'un homme qui lui plaise; en second lieu, je veux qu'elle l'aime sans l'avoir vu; enfin je veux aussi que sans la voir il la préfère à tout ce qu'il aura vu de plus beau dans le monde; c'est là, je crois, le seul moyen de s'assurer

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d'une inclination durable. Rien n'est si séduisant et si trompeur que la beauté. Dès que l'œil est charmé, le cœur est pris, ou plutôt il croit l'être. Surtout à l'âge de votre fils, dès qu'on voit une jolie femme, et qu'on se sent pour elle ce désir qu'on appelle amour, on se persuade bien vite qu'elle est bonne, sensible, aimante, qu'elle sera sage et fidèle. Comment, dans ce joli corset, sous ce joli chapeau de fleurs, parmi tant de charmes naissans, ne trouverait-on pas un cœur sincère et tendre, un esprit juste et raisonnable, plein d'agrément et de douceur? Telle est le plus souvent l'illusion de la jeunesse, et cet enchantement qu'a tant de fois détruit un an un mois de mariage. Eh bien! monsieur, il en est de même de notre côté, et avec plus de danger encore; car plus le cœur est simple, innocent, ingénu, et plus il est facile aux yeux de le tromper. Entre ma fille et le jeune homme que je choisirai à son gré, je ne veux donc rien qui en impose ni à l'un ni à l'autre; et avant de se voir, je veux que leurs esprits, leurs goûts, leurs caractères se soient pressentis et connus. Notre position est favorable à cette épreuve : nos enfans ne se sont point vus; Adèle ne sait point si Raimond est au monde. Assurément, dit Varanzai, Raimond ne sait pas davantage s'il y a dans le monde une Adèle; je me suis bien gardé jusqu'à présent d'attacher sa pensée à un pareil objet. La Loire est donc entre eux un Océan, reprit madame de Blosel, et il ne s'agit plus que de nous bien assurer de nous-mêmes. Je vous demande votre parole, et je vous engage la mienne, qu'aucun indice ne laissera connaître à nos enfans leur nom ni leur naissance, et qu'ils n'auront aucun moyen de se communiquer ni de s'écrire à notre insu. Ils prendront des noms fabuleux. Ma fille signera Camille, votre fils Hippolyte, si vous voulez. Ce n'est pas tout; voici l'article essentiel. Des deux côtés les lettres passeront sous nos yeux sans que personne, que nous deux, soit de la confidence, ni se mêle de l'entremise; et sur l'article des bienséances, nous en serons, vous et moi, les censeurs. Mais ce seul article excepté, il faut nous jurer l'un à l'autre de n'y pas altérer un mot. Il faut que leur esprit et leur âme s'y laisse voir dans toute la candeur et l'ingénuité de leur àge. Monsieur, point de faiblesse, point d'infidélité sur ce point-là, je vous en prie; j'y serai délicate et sévère jusqu'au scrupule, et je compte de même sur votre bonne foi. Oh! je vous la promets, dit-il, dans la plus exacte rigueur. Seulement, reprit-elle, s'ils lais saient échapper quelque trait qui leur décélât qui nous sommes, ou bien s'il leur prenait envie, comme il est assez naturel, de se communiquer leurs portraits dans leurs lettres, nous supprimerions celles-là. Voyez, monsieur, si la conduite de ce petit roman vous plaît et vous convient autant qu'à moi. Nous avi

şerons dans la suite au moyen d'en amener le dénouement. Je ne vous dissimule point, madame, répondit Varanzai, qu'en rendant mon fils invisible, je crois lui dérober un bien grand avantage; car enfin, puisqu'il faut le dire, il est beau, leste et fait à peindre. Eh! monsieur, répliqua madame de Blosel, croyez-vous que ma fille ne soit pas jolie et bien faite, et que je ne la prive d'aucun de ses attraits en la tenant comme voilée ? Mais je vous ai dit mes raisons. — Oui, madame, elles sont trèsbonnes, et j'y cède sans résistance. Dès demain donc l'invisible Hippolyte adressera son premier hommage à cette invisible Camille, qui ne sera, je le prévois, que trop aimable encore et trop séduisante pour lui.

Raimond, dit Varanzai à son fils en le revoyant, tu te plains quelquefois de la solitude où nous vivons; et par malheur, jusqu'au moment où je te lancerai dans la carrière de la gloire, ma situation ne me permet pas de te produire dans le monde. Je sens bien que la chasse, l'équitation, le maniement des armes tous les exercices du corps sont peu intéressans pour une âme jeune et sensible; et que ton goût pour les mathématiques, pour le génie et le dessin, doit se refroidir quelquefois. La gloire, qui de près inspire tant d'ardeur lorsqu'on la voit sous les drapeaux et à la tête d'une armée en bataille, n'a pas le même attrait lorsqu'on ne l'aperçoit qu'éloignée, incertaine et du fond d'un obscur repos. Quant aux lectures que nous faisons ensemble, je ne m'étonne pas qu'en avançant en âge tu n'en sois plus aussi passionnément épris; je sais même la cause de ton inquiétude et de l'ennui dont tu te plains; mais je crois avoir découvert le moyen de les dissiper. J'ai pour amie, dans la province, une veuve riche et bien née, qui, n'ayant qu'une fille unique et un peu plus jeune que toi, l'élève avec le plus grand soin. Je ne te dirai point si elle est belle ou jolie; seulement je sais qu'elle est bien; et pour les qualités de l'esprit et de l'âme, elle laisse tout espérer. Mais il ne tient qu'à toi d'en savoir davantage; car sa mère veut bien permettre que, pour vous former l'un et l'autre dans l'art d'écrire avec grâce et décence vous soyez en relation. C'est un amusement que je t'ai ménagé.

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Raimond, en entendant ces mots, se sentit tressaillir le cœur. -Et quel âge a-t-elle, mon père ?-Elle a treize ans : elle en aura dix-sept accomplis quand tu en auras vingt.-Et vous croyez qu'elle est jolie? Je ne dis cela: ce mot de vanité n'est point pas échappé à sa mère. - Dire qu'elle est bien, n'est-ce pas faire entendre qu'elle est jolie? Non pas expressément. C'est dire au moins qu'elle est bien faite ?-Bien faite, oui, sa mère - C'est dire aussi que dans les yeux, dans la bouche,

en convient.

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