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peine de la vie. - Quoi, monsieur, vous voulez donc que nous n'ayons pas un seul homme ? Vous en aurez, madame, vous en aurez de reste. Il y en a tant d'inutiles à l'état ! - Fort bien! vous nous réduisez au rebut de la république. Les femmes vous doivent des remercîmens. Je les en dispense. Non, monsieur, nous sommes citoyennes, et nous cédons généreusement à l'état toutes les figures qui nous déplaisent, tous ces visages à faire peur, tous ces caractères féroces qui ne s'amusent qu'à tuer, et qui ne sont bons qu'à cela. Et vous vous réservez les jolis hommes qui aiment à vivre, n'est-ce pas ? - Assurément. C'est fort bien dit, et l'Areopage ne manquera pas d'en faire un décret pour vous plaire. Seigneur, pardonnez femme est folle. Je vous laisse; car je n'y tiens plus. Par Hercule, madame, faut-il que je sois votre mari! Ces choses-là n'arrivent qu'à moi. A ces mots, il sortit en tapant du pied, et ferma brusquement la porte.

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ma

Voici un singulier ménage, dit Alcidonis. Madame, avezvous souvent de pareilles scènes ? Mais, oui, répondit-elle froidement, toutes les fois que j'ai du monde. Et quand vous êtes seuls?- Il gronde encore, mais un peu plus bas. - Et comment l'avez-vous épousé ? - Comme on épouse, par convenance et par raison. Au reste, c'est le meilleur homme du monde. Dès qu'il m'ennuie, je le contredis; il s'impatiente et se retire. L'on en fait tout ce qu'on veut. Je vous conseille de lui marquer de la déférence: son amitié n'est pas à négliger; cela est bon à quelque chose. Êtes-vous recommandé ici à beaucoup de Aux amis particuliers de mon père, et le nombre n'est pas grand. Tant mieux, nous nous verrons plus souvent. Je le souhaite pour vous-même; car en entrant dans - Daiun monde nouveau, le plus sage a besoin d'un guide. gnerez-vous m'en servir, madame ? Ou mon mari, ou moi : vous choisirez. Mon choix est fait. Ainsi se passa leur pre

monde ?

miere entrevue.

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Quand le mari fut de retour Séliane; votre ton a effarouché vouliez apprivoiser, n'est-ce pas

?

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je vais ordonner que ma porte lui soit fermée. - Eh! non, madame, non, je ne suis point jaloux. Ce serait commencer un peu tard! Je ne l'ai pas été de votre jeunesse ; je ne le serai pas de votre maturité. Voilà de vos galanteries; mais j'y suis accoutumée. Souvenez-vous cependant que vous devez une visite au fils de votre ancien ami. Je le verrai, madame; je sais vivre, et l'on peut se fier à moi sur l'article des procédés.

Le lendemain, en entrant chez Alcidonis, il reprit leur entre

tien de la veille. Hé bien, lui dit-il, allez-vous donner dans les mœurs efféminées de la jeunesse athénienne? Ma femme vous y a disposé sans doute! Gardez-vous bien, non pas d'elle, car son temps est passé, grâce au ciel; mais gardez-vous de ses semblables. Ce sont les sirènes les plus dangereuses! nulle sûreté dans leur commerce. Cela vous prend, vous trompe et vous quitte sans pudeur. On dirait, à les voir se jouer des hommes, qu'ils ne sont faits que pour leurs plaisirs. S'il est ainsi, dit Alcidonis les femmes d'Athènes ne ressemblent guère à celles de Mégare! — A Mégare, c'est tout comme ici. Vous tenez de votre vieux père. Le bonhomme ne jurait que par sa chaste moitié. C'était par complaisance pour lui qu'elle se parait et voyait du monde; par piété, qu'elle s'enfermait avec un jeune prêtre de Minerve; par recueillement, qu'elle allait passer les soirées dans une petite maison qu'il lui avait arrangée lui-même : il s'endormait sur sa vertu de la meilleure foi du monde. — Il avait raison sans doute; et je vous prie de respecter la mémoire de ma mère.-Ta mère! ta mère était une femme : ne veux-tu pas qu'on l'eût faite exprès ? J'en ai bien vu! je ne connais que mon extravagante qui soit exactement fidèle ; et encore est-ce moi qui l'ai formée. Je l'ai rendue vertueuse en dépit d'elle-même; mais je n'ai pu lui ôter ce fond de coquetterie que la nature ou l'exemple leur inspire presque en naissant. Je gage qu'elle est capable encore de chercher à te séduire, pour le plaisir de se moquer de toi. Tu ne serais pas le premier qu'elle aurait mis au désespoir. Elle s'amusait autrefois à ce petit jeu-là, et puis elle m'en faisait des contes, dont elle riait comme une folle. Heureusement elle vieillit, et le danger n'est plus si grand.

Alcidonis fut occupé, une partie de la nuit, de tout ce qu'il venait d'entendre. Les femmes, disait-il, sont donc ici bien redoutables! Et il s'endormit dans la résolution de les fuir.

La fée Galante lui apparut en songe, et lui dit: Rien ne ressemble tant aux hommes que les femmes. Tout le bien, tout le mal qu'on en publie est vrai en particulier, et faux en général. Il ne faut ni se fier à tout, ni se défier de tout. Vivez avec les femmes, mais ne vous y livrez qu'à propos. Je ne vous ai point donné de caractère, afin que vous soyez plus flexible au leur. Un homme décidé est un homme insociable. Vous serez charmant, si l'on dit de vous: On en fait tout ce qu'on veut. Mais ce n'est pas assez de plaire, il faut encore savoir aimer, et n'aimer ni trop, ni trop peu. Il y a trois sortes d'amour, la passion, le goût, et la fantaisie. Tout l'art d'être heureux consiste à placer bien ces trois nuances. Pour cela, voici quatre flacons dont vous seul pouvez faire usage. Ils sont différens de vertus comme de cou

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leurs. Vous boirez du flacon pourpre, pour aimer éperdument; du couleur de rose, pour effleurer le sentiment et le plaisir; du bleu, pour le goûter sans inquiétude et sans ivresse ; et du blanc, pour revenir à votre état naturel. A ces mots, l'image de la fée s'évanouit comme une vapeur.

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Alcidonis s'éveille enchanté d'un si beau songe. Mais quelle fut sa surprise, en trouvant en effet les quatre flacons sous sa main! Ah! pour le coup, dit-il, je n'en prendrai qu'à mon aise. Il se lève en rendant grâce à la fée, et le même jour il revoit Séliane. Elle était seule. Vous avez vu mon mari? lui dit-elle, ne s'est-il pas déchaîné contre la galanterie? — Beaucoup. — Il vous a dit mille horreurs des femmes ? — Il est vrai. Je me flatte qu'il m'a exceptée. Il n'a même excepté que vous, sur l'article de la fidélité. — Le bon homme ! - Il est persuadé que vous lui êtes fidèle; mais il prétend que vous n'en êtes que plus dangereuse, et que vous vous moquez impitoyablement de ceux qui ont le malheur de vous aimer. Et voilà comme il me décrie! Il mériterait bien... Mais non; je dois me respecter moi-même. · Votre vertu, dit-il, est de sa façon; c'est lui qui vous a rendue honnête. Lui! Lui-même ; et malgré vous. - Malgré moi? Celui-là est fort. Je lui ferai bien voir si l'on me rend honnête malgré moi. Je vous avoue qu'à votre place.... Et j'aurais bien à me venger aussi de l'insulte qu'il a faite à ma mère ! - A votre mere? Il a osé me dire que mon père n'était qu'un sot, et qu'il n'y avait que lui au monde qui ne le fût pas. - Le malheureux! c'est bien à lui de se vanter! Mais, encore une fois, je me respecte. Non, monsieur, je ne suis point coquette ; et puisqu'il m'oblige à me justifier, j'ai le cœur aussi tendre et plus tendre qu'une autre.-Et qu'en faites-vous de ce cœur? - Hélas! je n'en fais rien du tout: mais vous croyez bien que ce n'est pas pour ses beaux yeux que je le garde. Je suis sage pour mon repos, pour ne pas m'exposer au caprice, à l'inconstance, à l'ingratitude des hommes. Je sens que si j'aimais, j'aimerais passionnément, et je voudrais être aimée de même. Ah! vous le seriez. — Je n'ose m'en flatter. Rien n'est plus faible, plus vain, plus léger que l'amour de vos pareils. Ils ont des goûts, des fantaisies; mais la passion de l'amour, cette ivresse qui en fait le charme, et qui en est l'excuse, ils ne la connaissent pas. Pour moi, madame je sais bien où il y en a de cet amour que vous méritez; et si j'étais sûr du retour, j'en prendrais une bonne dose! Séliane sourit de la simplicité d'Alcidonis (car la fée lui donnait auprès d'elle cet air naïf, ce ton ingénu que les coquettes aiment tant). Non, lui dit-elle, on ne s'enflamme pas ainsi tout à coup. Eh! le moyen de nous aimer? nous ne nous connaissons pas encore.

- A la bonne heure, madame je ne suis pas pressé. Demain nous nous connaîtrons mieux. Je vous verrai donc demain ? Oui, madame. L'après-dînée, entendez-vous? car je veux vous éviter l'ennui de trouver mon mari. Nous serons seuls, nous serons libres, et je vous parlerai raison.

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Alcidonis ne manqua pas de se trouver au rendez-vous avec ses flacons dans sa poche. Séliane le reçut dans le négligé le plus séduisant. Voilà, dit Alcidonis en la voyant, le privilége de la beauté moins elle a de parure, plus elle a de charmes. Séliane fit semblant de rougir. Savez-vous, lui dit-elle, que vous êtes dangereux avec cette ingénuité feinte? on s'y laisserait prendre, et on y serait trompée. Moi, madame, vous tromper! Je n'ai jamais trompé personne. Et vous voulez commencer par moi? Non, je vous le jure. Pourquoi donc ces propos flatteurs, ces regards tendres ? Vous êtes belle, j'ai des yeux, je dis ce que je vois; il n'y a point là de flatterie. En effet, votre tranquillité fait bien voir que vous n'avez aucun intérêt à me séduire. Ah! ah! si vous vouliez, cette tranquillité me passerait bien vite. —Oh! sans doute; et pour vous enflammer, vous n'attendez que mon aveu, n'est-ce pas ? Rien n'est plus vrai: vous n'avez qu'à dire. vous êtes bon, avec ce ton froidement résolu. —C'est que je suis Quoi, si je vous faisais voir quelque envie Vous le seriez à point nommé, je vous en donne ma parole. Je vois bien, Alcidonis, que vous ne savez à quoi vous vous engagez, ni combien je suis exigeante. Exigez, madame, exigez; mon cœur vous défie. Je vous aimerai tant qu'il vous plaira. Vous m'aimeriez donc, si je voulais, à la folie? A la folie, soit; il ne m'en coûtera pas davantage. Sa simplicité me charme. Hé bien, oui, je veux que vous m'aimiez, et que vous m'aimiez beaucoup. - A la passion? - A la passion. Et vous m'aimerez de même ? Je le crois. assez. pas J'en suis sûre. Cela me suffit, et vous allez voir beau jeu. Où allez-vous donc ? - Je suis à vous; je ne demande qu'une minute.

sûr de mon fait.

d'être aimée ?......

- Ce n'est

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En vérité,

Le crédule Alcidonis, s'étant retiré dans un coin, but l'élixir du flacon pourpre jusqu'à la dernière goutte. Il reparaît, les yeux enflammés, le cœur palpitant, la voix éteinte. Plus de fadeur, plus de galanterie : son langage était rapide, entrecoupé, plein de substance et de chaleur. Les mots ne pouvaient suffire aux sentimens ; des accens inarticulés suppléaient aux paroles un geste véhément, une action impétueuse en redoublaient l'énergie. Cette éloquence pathétique mit Séliane hors d'elle-même. Elle est émue, agitée, interdite : elle a peine à

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le reconnaître; elle a peine à concevoir ce changement prodigieux. Elle veut paraître douter, craindre, hésiter encore : inutiles efforts! Son cœur s'attendrit, ses yeux s'animent, sa raison l'abandonne; et l'on eût dit, l'instant d'après, qu'elle avait bu au même flacon.

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Deux mois se passèrent dans des transports qu'ils avaient peine à contenir. Le mari ne cessait de plaisanter Alcidonis sur ses assiduités auprès de sa femme. Pauvre dupe, lui disait-il, vous n'avez pas voulu me croire ! Vous y êtes pris; j'en suis bien aise. Consumez-vous auprès d'elle voilà un temps bien employé ! Alcidonis se vengeait le mieux qu'il pouvait de cette ironie insultante. Mais sa passion n'était plus secondée : celle de Séliane s'affaiblissait de jour en jour. Séliane lui suffisait ; il ne pouvait plus lui suffire. Elle eut besoin de se dissiper, de se distraire, de voir le monde, qu'elle avait oublié. Alcidonis en prit de l'ombrage. Il s'aperçut, avec un chagrin profond, qu'elle s'amusait de tout, tandis qu'il ne s'occupait que d'elle. Il devint triste, inquiet, jaloux; il fit tant, qu'elle en fut excédée, et prit le parti de le congédier.

Il est vrai, lui dit-elle, je vous ai aimé : j'étais folle. Je suis sage; imitez-moi. Il n'est pas dit qu'on doive s'aimer jusqu'à la aducité. Tout passe, et l'amour lui-même. Le mien s'est affaibli, vous m'avez grondée : il s'éteint, vous vous désespérez; tant pis pour vous je ne sais qu'y faire. Eh quoi, per fide! ingrate! parjure! - Tant qu'il vous plaira. Dites-moi bien des injures, si cela peut vous soulager. Ah! juste ciel! comme on me traite! Comme un enfant à qui l'on pardonne tout. Est-ce là, perfide, les sermens que vous m'aviez faits cent fois de m'aimer jusqu'au dernier soupir! Sermens téméraires, qui n'engagent à rien: insensé qui les fait, insensé qui s'y fie. En croiriez-vous quelqu'un qui, en se mettant à table, jurerait par tous les dieux d'avoir toujours le même appétit ? — Le même appétit! quelle image! Est-ce là cette délicatesse dont votre cœur se glorifiait ? — Autre sottise. On désavoue l'empire des sens au moment même qu'on en est esclave. Je suis femme, j'aime comme une femme ; et vous n'avez pas dû vous attendre que la nature fit un miracle en votre faveur. Alcidonis, à ce discours, s'arrachait les cheveux de désespoir. Hé bien! poursuivit-elle, que faites-vous? En serez-vous plus aimable ou plus aimé, quand vous serez chauve? Alcidonis, écoutez-moi : je conserve pour vous une amitié compatissante. - Ah! cruelle ! est-ce de l'amitié, de la pitié que je vous demande ? Il faut bien vous y réduire ; je ne sens pour vous rien de plus. Lequel des deux a tort, ou celui qui cesse d'aimer, ou celui qui cesse

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