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il; tenez voilà ses billets quittancés: faites-les-lui tenir, et donnez-lui le choix ou de ne plus rien devoir à personne en épousant ma fille, ou de n'avoir que moi pour créancier, s'il ne me veut pas pour beau-père; car ceci ne l'engage à rien.

Quelle fut la surprise et la reconnaissance de Salvari en voyant effacées, comme d'un trait de plume, toutes les traces de sa ruine; et quel fut son empressement à venir rendre grâces à son libérateur; je vous le laisse imaginer. Il fut pourtant retenu en Hollande plus de temps qu'il n'aurait voulu; et le bouillant Nervin commençait à dire que cet homme-là était lent et difficile à émouvoir. Enfin il arriva chez moi, n'osant se persuader encore que son bonheur ne fût pas un rêve. Je le menai bien vite chez son généreux liquidateur; et là, entre deux sentimens également délicieux, pénétré des bontés du père, tous les jours plus épris des charmes de la fille, et retrouvant en elle tout ce qu'il avait tant aimé, tant regretté dans Adrienne, son âme était comme ravie de reconnaissance et d'amour; il ne savait plus, disait-il, lequel était pour lui le plus précieux don du ciel ou d'un ami comme Nervin, ou d'une femme comme Justine. Il lui restait cependant un regret, qu'il ne peut leur dissimuler; et Nervin lui ayant reproché de s'être fait un peu long-temps attendre: Pardonnez, monsieur, lui dit-il, je brûlais d'être à vos genoux; mais indépendamment des comptes que j'avais à rendre, j'ai eu pour quitter la Hollande plus d'un combat à soutenir. Le digne Odelman, mon refuge, mon premier bienfaiteur, avait compté sur moi pour le soulagement et le repos de sa vieillesse; il est veuf, il n'a point d'enfans; et dans son cœur, sans me le dire, il m'avait adopté. Lorsqu'il a donc fallu me séparer de lui, et qu'en lui révélant mon malheur passé je lui ai dit par quel prodige de bonté l'honneur m'était rendu, il s'est plaint avec amertume de ma dissimulation, et il m'a demandé si j'avais cru avoir au monde un meilleur ami qu'Odelman. Il m'a pressé de consentir à ce qu'il m'acquittât envers vous; il le demandait avec larmes; et bientôt je ne me sentais plus la force de lui résister. Mais il a lu la lettre où M. Watelet faisait l'éloge de l'aimable, de l'intéressante Justine, et un portrait plus ravissant encore de son âme que de sa beauté. Ah! je n'ai point de fille à vous offrir, m'a dit cet honnête homme; et si ce portrait est fidèle, la pareille serait difficile à trouver. Je ne vous retiens plus. Allez, soyez heureux, souvenez-vous de moi, et ne cessez pas de m'aimer.

Nervin, en écoutant ce récit d'Olivier, était recueilli en luimême. Tout à coup rompant le silence : Non, dit-il, non, je ne veux point que vous soyez ingrat; je ne veux pas non plus qu'un Hollandais se vante d'être plus généreux que moi. Ici, vous

n'avez plus d'état, et vous n'êtes pas fait pour vivre oisif et inutile. Il ne serait fort doux, comme vous croyez bien, d'avoir près de moi mes enfans; mais réservons cela pour ma vieillesse ; et tandis qu'ici les affaires m'occuperont assez pour me préserver de l'ennui, écrivez au bon Odelman que je vous cède à lui, avec ma fille, pour une dixaine d'années; après quoi vous me reviendrez, entourés, comme je l'espère, d'une petite colonie d'enfans; et vous et moi, dans l'intervalle, nous aurons travaillé pour eux. Le Hollandais, comblé de joie, a répondu que sa maison, ses bras, son cœur, étaient ouverts aux deux époux. Il les attend, ils vont partir; et Olivier sera désormais en société de commerce avec lui. Voilà l'exemple que je vous ai promis, ajouta Watelet, d'un courage qui manque à bien des malheureux, celui de ne jamais renoncer à sa propre estime, celui de ne jamais désespé de soi, tant qu'on se sent homme de bien.

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L'ÉCOLE DE L'AMITIÉ.

Tour le monde connaît la pupille de Grandisson, cette Émilie Jervins, si naïve, si tendre, si innocemment amoureuse de son tuteur; eh bien! j'ai trouvé dans le monde une seconde miss Jervins, plus vive, moins timide, plus animée que la jeune Anglaise, et un peu mieux instruite qu'elle de ce qui se passait dans son cœur ; mais aussi ingénue que l'autre était naïve, et plus intéressante encore dans ce qu'elle appelait ses premières amours; c'était Delphine de Séralis, depuis, madame de Néray. Comme elle ne vit plus, et qu'il n'y a dans mes souvenirs rien que d'honorable pour elle, je crois pouvoir redire ce qu'elle m'a conté.

Un jour que, jeune encore, elle m'avait parlé avec une extrême sagesse des légèretés, des caprices, des airs d'étourderie et de dissipation qui étaient à la mode parmi les jolies femmes, et que je lui témoignais combien j'étais surpris de ne lui voir, ni dans l'esprit, ni dans le caractère, aucune des frivolités ni des vanités de son sexe : Ah! me dit-elle, j'étais née pour en avoir autant qu'une autre ; mais de bonne heure je fus en bonne école, et si vous me trouvez raisonnable, j'en dois rendre grâce à l'amour.

Comme c'était la première fois que j'entendais dire que l'amour eût contribué à former la raison, je la priai de m'expliquer comment s'était opéré ce prodige.

Vous avez connu, me dit-elle, celui qui, le premier, m'ins

pira le désir de plaire. Je ne veux pas vous le nommer, et je l'appellerai Alcime; mais si je le peins bien, vous le reconnaîtrez.

Il avait quelque ressemblance avec sir Charles Grandisson: comme lui vertueux, modérément sensible, sage dans tous ses goûts, incorruptible dans ses mœurs, possédant son âme et ses sens dans une paix inaltérable, Alcime était, dans sa jeunesse, l'homme du monde le plus considéré.

Dans le petit nombre des sociétés dont il avait fait choix, on le citait comme un modèle, on l'écoutait comme un oracle. Il y montrait un esprit cultivé, riche de mille connaissances variées, et recueillies par une mémoire étonnante, un goût exquis, une raison pleine d'éloquence et de charme, une politesse attentive et délicate, mais simple et naturelle, une fierté mêlée et tempérée de modestie, peut-être un sentiment de lui-même assez haut pour s'appeler orgueil, s'il n'eût pas été aussi juste, mais qui était comme enveloppé dans la plus timide pudeur. A tant de qualités, la nature avait joint une figure intéressante, des traits nobles et doux, le charme d'un regard où se peignait une belle âme, une bouche dont le silence même était touchant lorsqu'elle daignait sourire, et un son de voix enchanteur.

La maison de madame d'Olme était une de celles qu'il fréquentait le plus assidument; il y dînait, une fois la semaine, avec des femmes de l'ancienne robe, que leurs filles accompagnaient. J'y fus menée dès l'âge de seize ans. C'était là notre jour de fête.

Vous pensez bien que dans ce cercle, mes compagnes et moi nous faisions peu de bruit. Nos langues y étaient captives, et nos regards ne l'étaient guère moins; mais tandis que la modestie tenait nos yeux craintivement baissés, rien n'échappait à nos oreilles.

J'étais surtout attentive au langage plein de douceur et de sagesse qu'Alcime tenait à nos mères, en leur parlant du soin d'observer, d'éclairer, de diriger le naturel dans l'éducation des enfans, de le ménager, de l'aider, d'user envers lui d'indulgence même en le corrigeant, surtout, disait-il, dans le sexe le plus faible et le plus flexible. Vous auriez cru voir un fleuriste cultivant, d'une main légère, des plantes délicates qu'il eût craint de blesser. Je lui savais gré de ces craintes, de ces ménagemens timides; je croyais être l'une des fleurs qu'il appréhendait de ternir.

Je ne pensais encore ni à lui plaire, ni à l'aimer plus que ne l'aimait tout le monde. Je savais que j'étais jolie, mais je ne m'apercevais pas du plaisir que j'avais à l'être ce jour-là plus que de coutume. Je ne croyais le trouver beau lui-même que parce qu'il l'était, et que j'avais des yeux; mais insensiblement je m'aperçus qu'avec oes yeux j'avais aussi un cour: Alcime m'oc

cupait sans cesse. Je jouissais plus que lui-même des déférences qu'on lui marquait ; j'étais fière des avantages que lui donnaient sur les autres hommes son esprit et son caractère ; et si quelqu'un lui disputait l'empire de l'opinion, je m'en dépitais en secret, et je le traitais de rebelle.

Une seule qualité lui manquait à mon gré pour être accompli, c'était la sensibilité : poli avec les femmes, il n'était point galant, il plaisait sans songer à plaire. Il se corrigera peut-être de ce défaut, disais - je, mais ce ne sera point ici assurément qu'il perdra son indifférence, et la tranquillité dont son âme jouit est avec nous en sûreté.

Dès-lors je commençai à m'impatienter du rôle de statue qu'il fallait jouer à mon âge. Quelle opinion pouvait-il avoir de ce groupe de jeunes filles muettes et presque immobiles? Qu'on fût belle et bien faite, c'était peut-être bien quelque chose à ses yeux; mais ces qualités pouvaient être celle d'un marbre inanimé; et chacune de nous avait l'air d'attendre, sur son piédestal, le miracle opéré en faveur de Pygmalion.

Quel usage inhumain que celui de tenir à la gêne, et comme scellé, ce que le naturel pouvait avoir d'intéressant! A seize ans on avait déjà des sentimens et des idées : on n'aurait pas si bien raisonné que ces dames; mais peut-être le peu d'esprit que l'on avait reçu de la nature aurait-il eu, dans sa simplicité, sa justesse et son agrément; et jusqu'à ce qu'on eût la langue déliée à l'autel de l'Hymen, il était triste et rigoureux d'être condamnée au silence.

Ce qui m'affligeait encore plus, c'était de voir qu'Alcime, occupé de nos mères, n'eût aucune pitié de nous, et qu'il nous laissât l'écouter, sans chercher au moins quelquefois à lire dans nos yeux l'impression qu'il faisait sur nos âmes.... Sur nos âmes! Et sait-il seulement, disais-je, si nous en avons une une? Est-il curieux de le savoir? Nous fait-il la grâce de croire que notre esprit soit digne de goûter, d'admirer le sien? Il était doux, poli, respectueux avec moi, avec mes compagnes, mais uniquement, également, sans aucune distinction. Cependant la persuasion qui semblait couler de ses lèvres, ses lumières, son air de bonté, de candeur, l'élévation de son âme, la sérénité peinte sur son visage et dans ses yeux, cet air d'Apollon rayonnant, charmaient toute la société, et malgré mon dépit, moi-même j'en étais ravie. Mais si dans mon ravissement j'osais lever les yeux, hélas! c'était au ciel qu'il fallait adresser ma vue, quoique dans ce moment ce ne fût pas au ciel que mes yeux avaient à parler.

N'y avait-il donc pour moi aucun moyen de fixer son attention? Au moins, disais-je, on nous permet de développer dans le monde les talens qu'on a bien voulu cultiver en nous dès l'enfance;

Alcime daignera peut-être aimer ou la danse ou le chant. Appliquons-nous à nous donner ce faible mérite à ses yeux.

Dans la saison du bal, madame d'Olme en donna un. J'y dansai de mon mieux; mais en dansant, j'eus beau chercher des yeux mon sage, il causait avec un vieillard dans le salon voisin, tandis que pour lui seul je déployais toutes mes grâces.

Peu de jours après, madame d'Olme eut chez elle un petit concert. J'y chantai. Je savais qu'à l'opéra bouffon, Alcime était assidument du nombre des amateurs qui occupaient le coin de la reine; et je m'étais donné une peine infinie pour exceller, s'il m'était possible, dans la brillante exécution des airs italiens que je devais chanter. J'espérais qu'il m'applaudirait; il m'applaudit, mais faiblement, plutôt en homme complaisant et poli qu'en homme sensible et charmé. Je fus, comme vous croyez bien, peu flattée d'un tel succès, et les éloges que je reçus d'ailleurs ne me tinrent pas lieu des siens.

Sans désespérer cependant de le réduire à s'occuper de moi, je m'avisai d'engager mes compagnes à essayer, sous les yeux de nos mères, s'il nous serait permis de nous dire entre nous, tantôt à demi-voix et tantôt à l'oreille, quelques petits mots échappés. L'essai me réussit. Nos mères, d'abord inquiètes de cette nouveauté, se consultant des yeux, allaient nous l'interdire; Alcime cette fois voulut bien plaider notre cause, mais avec l'indulgence qu'on a pour des enfans. Il fit entendre que la froide raison n'avait rien d'assez amusant, d'assez intéressant pour de jeunes esprits; que le sérieux, à notre âge, devenait bientôt ennuyeux, et qu'il fallait nous laisser au moins quelques momens de cette innocente gaieté qui nous allait si bien et nous embellissait encore.

Ces derniers mots ne m'échappèrent point, et dans nos propos, j'eus grand soin de faire jouer tout leur jeu aux traits de ma physionomie. Je m'animais, j'agaçais mes compagnes; en disant des riens, j'avais l'air de pétiller d'esprit et de vivacité, et je ne manquais pas d'enjoliver ma bouche de tous les charmes du sourire; quelquefois même je riais aux éclats sans savoir de quoi, car j'avais d'assez belles dents. Je mourais d'envie de le rendre curieux de nos entretiens; mais, hélas! j'y perdais mes peines : il nous laissait dans notre coin jouer et causer à notre aise; et de tout mon petit manège, il ne me restait plus que le regret de ne l'avoir pas écouté.

Je ramenai vers lui toute mon attention, sans pouvoir m'attirer la sienne. Enfin mon impatience poussée à bout me fit prendre un parti violent. Je lui écrivis; mais dans ma lettre, je gardai l'anonyme et je sus déguiser ma main. La voici cette lettre, car je pe veux rien vous cacher.

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