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ranimer dans le cœur de Norlis; et si ce fut une illusion, au moins a-t-elle été la même jusqu'à son dernier soupir.

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Et votre Anglais ? demanda Juliette. — Il fut heureux aussi. Ma prédiction fut un avis dont profita la jeune veuve. Elle le rendit bien amoureux, bien jaloux, bien impatient de ses caprices, bien épris de ses charmes ; et après avoir dissipé sa mélan– colie comme à force de changemens, elle l'épousa, et partit avec lui presque aussi contente que moi.

Ainsi se termina cette veillée intéressante.

Ne remarquez-vous pas, reprit alors madame de Verval en s'adressant à ses amis, que de tous les momens de joie et de bonheur que nous venons de nous rappeler, il n'y en a pas un seul qui ne soit le prix ou d'un sentiment vertueux ou d'une action de bienfaisance? tant il est vrai qu'il n'y a rien de mieux à faire pour être heureux d'être bon ! que

LE TRÉPIED D'HÉLÈNE.

APRÈS la ruine de Troie, tandis que les débris de ses murs, de ses temples, de ses palais fumaient encore; que sous ces débris teints de sang, Priam, son peuple et ses enfans étaient ensevelis ; que sa femme et ses filles s'en allaient en esclaves servir sous d'insolens vainqueurs; tandis que ces vainqueurs eux-mêmes allaient périr les uns dans leurs palais, les autres sur les mers, ou misérablement errer de rivage en rivage, à la merci des flots, des vents et des tempêtes; enfin tandis que dans les champs troyens, Achille, Hector, le fils de Télamon étaient couchés dans la poussière, et qu'une foule de héros y confondaient leurs cendres ennemies dans un vaste et même tombeau, Hélène et Ménélas, réunis, réconciliés, s'en retournaient tranquillement et gaiement à Lacédémone; elle, se plaignant doucement qu'il eût pu la croire infidèle; lui, s'excusant d'avoir ajouté foi à des apparences trompeuses, et promettant bien de ne plus douter de son amour ni de sa foi; tous deux enfin le mieux du monde ensemble, et seulement un peu fâchés que pour si peu de chose on eût fait tant de

bruit.

Mais en passant à travers les Cyclades, ils furent assaillis par un violent orage, et comme ils voyaient le moment où leur navire allait se briser aux écueils de l'île de Cos, ils firent un vou à Neptune. O le plus inconstant des immortels, lui dit tout bas Hélène, protège une femme qui te ressemble! A ces mots elle lui

offrit un trépied d'or qu'elle avait sauvé du pillage de Troie, et le lui jeta dans la mer. Aussitôt la mer s'apaisa.

Or, six cents ans après, comme un navire de Milet passait près de l'île de Cos au moment qu'un pêcheur de l'île jetait son filet dans la mer, les Milésiens qui étaient dans le navire proposèrent au pêcheur de leur vendre son coup de filet, au hasard; il y consentit, et au fond du filet, lorsqu'il l'eut retiré, se trouva le trépied d'Hélène.

Proces interminable entre Cos et Milet pour ce trésor : les uns disant que le pêcheur n'avait entendu vendre que le poisson qu'il aurait pris, les autres soutenant qu'il avait tout vendu. La guerre allait s'en suivre. Pour en éviter le malheur, on eut recours à la Pythie, et l'oracle les mit d'accord en ordonnant que l'on fît présent du trépied d'or au plus sage des sages.

Mais quel était le plus sage des sages? Cette question n'était pas moins difficile à résoudre que celle du coup de filet. On délibéra longuement pour savoir auquel des sept sages, qui florissaient alors, on donnerait la préférence. Ils nous éclaireront euxmêmes sur le choix, dit l'un des consultans: commençons par le plus voisin. Thalès est à Milet; allons lui proposer d'accepter notre offrande.

O vous! lui dirent-ils, dont le génie a pénétré au sein de la nature et lui a dérobé ses plus profonds secrets, vous qui avez découvert que l'eau est l'élément unique, et qu'elle est le principe des autres élémens; vous qui donnez au monde une âme universelle, et qui pensez que cette âme est unie et inhérente à la matière, comme l'âme de l'homme est unie à son corps; si tout cela est vrai, divin Thales! recevez de nous ce trépied d'or qu'Apollon nous ordonne d'offrir au plus sage des sages.

Mes amis, répondit Thales, si tout cela était bien vrai, si j'en étais bien sûr moi-même, et si ce que j'enseigne je le concevais bien, je me croirais sage en effet ; mais j'ai beau vouloir deviner la grande énigme de la nature, ni hors de moi, ni en moi-même, je ne vois pas plus clair que vous. Je vous dis là le secret de l'école; mais avec Apollon, puisque c'est lui qui vous envoie, il n'y a rien à dissimuler. J'ai essayé de faire du feu avec de l'eau ; mais je suis encore à comprendre comment dans le soleil l'eau fait un étang de lumière. L'âme que j'ai voulu donner à l'univers, pour en régler les mouvemens et en remuer les ressorts, serait sans doute une belle chose, si je pouvais m'expliquer comment cette âme universelle serait une et la même dans le vautour et dans la colombe, dans le tigre et dans l'éléphant; mais c'est là le nœud qui m'arrête; c'est l'unité de son essence et la diversité infinie de ses métamorphoses qui confond mon entendement. Cu

riosité n'est pas science, et les études où je m'enfonce sont de celles peut-être où la faible raison de l'homme ne trouvera jamais qu'un vide immense et qu'une vaste obscurité. Ce qu'on appelle ma sagesse pourrait donc bien n'être que ma folie; car c'en est une que de vouloir connaître ce qu'il n'est pas donné à l'homme de savoir. Cependant pour ne pas rebuter mes disciples, et comme avec le temps quelque coin du grand voile peut être soulevé, je leur donne l'exemple de l'espérance et du courage; mais dans la route que je leur trace, je m'égare souvent moi-même, et je ne sais plus où j'en suis. Portez votre offrande à Solon: c'est lui qui va droit à l'utile; son étude est celle de l'homme, et son objet est de le rendre meilleur, plus juste et plus heureux.

Les députés embarqués pour l'Attique allèrent voir Solon, et l'appelant le plus sage des sages, il lui offrirent le trépied d'or.

Vous prenez bien votre moment, leur dit le législateur d'Athenes; je suis prêt à devenir fou. Je viens de la place publique où je n'ai vu que des mécontens. Les gens de mer se plaignent que j'ai favorisé les gens de la campagne; ceux-ci m'accusent d'avoir trop ménagé les citadins; et à la ville, c'est encore pis: chacun voudrait des lois faites en sa faveur et au préjudice des autres. Mais ce n'est rien encore, et dans ma maison même, je ne suis jamais en repos. Vous voyez cette jeune esclave qui boude et pleure dans un coin ; c'est un petit démon; elle me fait tourner la tête cela n'a pas encore dix-huit ans et cela me gronde, et cela veut avoir plus de raison que moi. Oui, oui, dit Glycerie, j'en ai mille fois plus; car au moins, je suis juste, je ne gêne personne, et je laisse faire à chacun ce qui lui plaît. A ces mots ses pleurs redoublerent.

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C'est dommage de l'affliger, dit l'un des députés, car elle est si jolie! Vraiment jolie! elle croit l'être; mais elle ne sait pas que sa malice l'enlaidit. Eh bien! si je suis laide, répliqua la boudeuse, que ne me vendez-vous ? que ne me laissez-vous aller?

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Et où irais-tu, petite folle? quel est le maître qui serait aussi bon et aussi indulgent que moi! - Quelle bonté, quelle indulgence, qui ne me laisse pas la moindre liberté ! Et savez-vous, reprit Solon, quelle est la liberté qu'elle veut qu'on lui laisse? Celle de voir chez moi un petit insolent dont elle est amoureuse, et qui rôde sans cesse autour de ma maison. Dès que je sors pour aller au sénat ou au lycée, à l'instant même il arrive, il est introduit, et quand je les surprends ensemble, elle me dit pour son excuse qu'il est plus jeune et plus joli que moi. Assurément, s'écria-t-elle, il est plus jeune et plus joli. Faites-le rappeler, pour voir; et que ces étrangers nous jugent. Retirez-vous, friponne, dit Solon ému de colère, et que je ne vous entende plus.

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Ce libertin qu'elle aime, continua-t-il, est un jeune homme appelé Pisistrate, pour qui j'ai eu mille bontés, que j'ai instruit, et qurse moque de mes leçons et de mes lois. De vos lois! Oui, sans cesse il me répète ce mot du scythe Anacharsis, que lois sont des toiles d'araignées où se prennent les moucherons, É mais d'où les grosses mouches s'échapperont toujours. Et que ne fermez-vous votre porte à cet insolent? Bon! lui fermer la

porte? il entrerait par la fenêtre. Si vous saviez comme il est adroit et séduisant! il a gagné tous mes esclaves. Les prières, les larmes, les présens ne lui coûtent rien; il est plein d'esprit et de grâce; et moi-même, quand je l'écoute, il a le don de m'apaiser. C'est bien la peine, me dit-il, mon vénérable maître, de nous brouiller pour une esclave! Si nous étions, vous jeune comme moi, et moi vieux comme vous, ne vous la céderais-je pas? Voyez qui de nous deux peut le mieux s'en passer. Vou sentez que ces raisons-là ne laissent pas d'être pressantes; et puis, si je le désespère, il ira m'accuser, me décrier parmi le peuple; il dira que je suis amoureux et jaloux. Tout jeune encore, il a plus de crédit que moi; il écoute les mécontens, il les accueille, il les caresse, et puis il vient me dire à moi, que je ne ferai rien de ce peuple, s'il ne s'en mêle; qu'en livrant les Athéniens à leur propre génie, je ne les connais pas; qu'ils sont vains, légers, étourdis, capricieux, ingrats, amis des nouveautés; qu'ils ne feront que des sottises, s'ils n'ont pas à leur tête un homme adroit et ferme qui sache les mener, et que cet homme ce sera lui. Voilà un drôle bien résolu! dirent les députés. Et bien dangereux! dit Solon; il a, je vous l'ai dit, l'art de flatter la multitude, et c'est l'art de la dominer. Il s'en vante, il annonce qu'il l'enveloppera comme dans un filet; et après qu'il m'a mis en colère par ses menaces, il me défie de ne pas l'aimer, et il me jure ses grands dieux que je serai toujours son ami malgré moi. Vous voyez bien qu'un homme qui se laisse ainsi tracasser, désoler par deux jeunes têtes, n'est pas le sage que vous cherchez. Je vous conseille de vous adresser à Thalès le milésien; car c'est lui qui possède son âme en paix, et qui est heureux avec lui-même.

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Nous avons commencé par lui, répondirent les députés; mais il nous a fait, comme vous, confidence de sa folie. Est-ce qu'il a aussi une petite esclave qui le fasse enrager, un fripon qui la lui caresse, et un peuple indocile qu'il ne puisse mettre d'accord?

Non, mais il a autant de peine à combiner les élémens que vous à gouverner les hommes; et sa folie est de vouloir, dit-il, expliquer ce qu'il n'entend pas.

Allez donc à Bias, reprit Solon : celui-là vit tranquille et retiré dans sa petite ville de Priene; il ne se mêle d'expliquer que les

énigmes du roi d'Égypte et que les logogryphes du roi d'Éthiopie. Quant aux mystères de la nature, il déclare qu'il n'y entend rien. Il laisse aller le monde comme il va, sans vouloir le régler luimême; et pour être plus libre d'inquiétude et de soucis, il a renoncé à la science en même temps qu'à la richesse. Ils allèrent donc à Bias.

Ah! messieurs, leur dit-il en les voyant entrer chez lui, vous m'apportez sans doute quelque bonne nouvelle? auriez-vous retrouvé mon chien? sauriez-vous qui me l'a volé? Les députés lui répondirent qu'ils n'en avaient aucune connaissance. Qu'est-ce donc, leur demanda-t-il en homme désolé, qui peut vous amener chez moi? Ils lui dirent que, de la part de l'oracle de Delphes, ils lui apportaient un trépied d'or. - Un trépied d'or, à moi! que veut-il que j'en fasse? Ah! que l'oracle, qui sait tout, me dise qui m'a pris mon chien. Je n'avais plus que cet ami au monde, et l'on m'en a privé! quelle inhumanité barbare! Je leur avais tout cédé, tout laissé, honneurs, fortune, emplois; je ne demandais rien; je cultivais moi-même mon jardin et mon petit champ; mon chien était auprès de moi; nous nous aimions, nous étions heureux de vivre et de causer ensemble. Les envieux n'ont pu nous voir jouir de ce bonheur; ils nous ont séparés, ils m'ont volé mon chien, mon seul ami; ils l'ont assassiné peut-être!..... Non, il n'y a point d'assez grand supplice pour cet excès de cruauté.

C'est un malheur sans doute, lui dit l'un des Milésiens, que la perte d'un chien fidèle; mais ce malheur est-il si grand ? — Oui, très-grand pour moi qui n'ai plus rien. Il n'est point de disgrâce que je n'aie endurée, sans fatiguer le monde, ni le ciel de mes plaintes. Négligé dans ma ville après l'avoir sauvée, mal écouté dans les conseils, je me suis retiré des affaires publiques, et me suis tenu dans mon coin. J'ai essuyé un procès injuste, je l'ai perdu ; et je n'en ai point murmuré : ma femme m'a trompé; je n'en ai dit mot à personne. Mes enfans m'ont abandonné ; j'ai pardonné à mes enfans. C'est bien assez de patience; et lorsqu'on vient me prendre encore mon pauvre chien, il est, je crois, bien naturel que ma constance soit épuisée; elle est à bout, je n'en ai plus.

Quoi! se peut-il, lui dit l'un des députés, que ce soit là l'écueil du plus sage des hommes ! -Du plus sage! et pourquoi faut-il que je le sois? me donné-je pour l'être? Oh non! je ne suis pas asset fou pour cela. Cependant si nous demandons quel est le plus sage des sages, chacun nous répond, c'est Bias. - C'est Bias! c'est Bias! ils en parlent bien à leur aise; et si Bias se fâche quand on lui a pris son chien, ils en seront tout ébahis! Non, Bias n'est rien qu'un bon homme, à qui l'on fait du mal, et qui sent le mal qu'on lui

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