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THE NEW YORK PUBLIC LIBRARY

289330A

ASTOR, LENOX AND TILDEN FOUNDATIONS

R 1927

ALCIBIADE, ou LE MOI.

La nature et la fortune semblaient avoir conspiré au bonheur d'Alcibiade. Richesses, talens, beauté, naissance, la fleur de l'àge et de la santé; que de titres pour avoir tous les ridicules! Alcibiade n'en avait qu'un : il voulait être aimé 'pour lui-même. Depuis la coquetterie jusqu'à la sagesse, il avait tout séduit dans Athènes; mais en lui, était-ce bien lui qu'on aimait? Cette délicatesse lui prit un matin, comme il venait de faire sa cour à une prude: c'est le moment des réflexions. Alcibiade en fit sur ce qu'on appelle le sentiment pur, la métaphysique de l'amour. Je suis bien dupe, disait-il, de prodiguer mes soins à une femme qui ne m'aime peut-être que pour elle-même! Je le saurai, de par tous les dieux! et, s'il en est ainsi, elle peut chercher parmi Dos athlètes un soupirant qui me remplace.

La belle prude, suivant l'usage, opposait toujours quelque faible résistance aux désirs d'Alcibiade. C'était une chose épouvantable elle ne pouvait y penser sans rougir. Il fallait aimer comme elle aimait, pour s'y résoudre. Elle aurait voulu, pour tout au monde, qu'il fût moins jeune et moins empressé. Alcibiade la prit au mot. Je m'aperçois, madame, lui dit-il un jour, que ces complaisances vous coûtent: hé bien, je veux vous donner une preuve de l'amour le plus parfait. Oui, je consens, puisque vous le voulez, que nos âmes seules soient unies, et je vous donne ma parole de n'exiger rien de plus.

La prude loua cette résolution d'un air bien capable de la faire évanouir; mais Alcibiade tint bon. Elle en fut surprise et piquée; cependant il fallut dissimuler.

Le jour suivant, tout ce que le déshabillé peut avoir d'agaçant fut mis en usage. La vivacité du désir brillait dans les yeux de la prude; dans son maintien, la nonchalance et la volupté. Les voiles les plus légers, le désordre le plus favorable, tout en elle invitait Alcibiade à s'oublier. Il aperçut le piége. Quelle victoire, lui dit-il, madame, quelle victoire à remporter sur moi-même! Je vois bien que l'amour m'éprouve, et je m'en applaudis : la délicatesse de mes sentimens en éclatera davantage. Ces voiles transparens et légers, ces coussins dont la volupté semble avoir formé son trône, votre beauté, mes désirs: combien d'ennemis à vaincre ! Ulysse n'y échapperait pas; Hercule y succomberait. Je serai plus

sage qu'Ulysse, et moins fragile qu'Hercule: oui, je vous prouverai que le seul plaisir d'aimer peut tenir lieu de tous les plaisirs. ---Vous êtes charmant, lui dit-elle, et je puis me flatter d'avoir un amant unique. Je ne crains qu'une chose : c'est que votre amour ne s'affaiblisse par la rigueur. la rigueur. — Au contraire, interrompit vivement Alcibiade, il n'en sera que plus ardent.—Mais, mon cher enfant, vous êtes jeune; il est des momens où l'on n'est pas maître de soi; et je crois votre fidélité bien hasardée, si je vous livre à vos désirs. -Soyez tranquille, madame; je vous réponds de tout. Si je puis vaincre mes désirs auprès de vous, auprès de qui n'en serai-je pas le maître?— Vous me promettez du moins, lui dit-elle, que s'ils deviennent trop pressans, vous m'en ferez l'aveu? Je ne veux point qu'une mauvaise honte vous retienne. Ne vous piquez pas de me tenir parole: il n'est rien que je ne vous pardonne plutôt qu'une infidélité. — Oui, madame, je vous avouerai ma faiblesse de la meilleure foi du monde, quand je serai prêt à y succomber; mais laissez-moi du moins éprouver mes forces. Je sens qu'elles iront encore loin, et j'espère que l'amour m'en donnera de nouvelles. La prude était furieuse; mais sans se démentir elle ne pouvait se plaindre: elle se contraignit encore, dans l'espoir qu'à une nouvelle épreuve Alcibiade succomberait. Il reçut le lendemain, à son réveil, un billet conçu en ces termes : « J'ai passé » la plus cruelle nuit; venez me voir. Je ne puis vivre sans vous. »

Il arrive chez la prude. Les rideaux des fenêtres n'étaient qu'entr'ouverts; un jour tendre se glissait dans l'appartement à travers des ondes de pourpre. La prude était encore dans un lit parsemé de roses. Venez, lui dit-elle d'une voix plaintive, venez calmer mes inquiétudes. Un songe affreux m'a tourmentée cette nuit : j'ai cru vous voir aux genoux d'une rivale. Ah! j'en frémis encore. Je vous l'ai dit, Alcibiade, je ne puis vivre dans la crainte que vous ne soyez infidèle: mon malheur serait d'autant plus sensible, que j'en serais moi-même la cause; et je veux du moins n'avoir rien à me reprocher. Vous avez beau me promettre de vous vaincre, vous êtes trop jeune pour le pouvoir long-temps. Ne vous connais-je pas? Je sens que j'ai trop exigé de vous, je sens qu'il y a de l'imprudence et de la cruauté à vous imposer une loi si dure. Comme elle parlait ainsi de l'air du monde le plus touchant, Alcibiade se jeta à ses pieds. Je suis bien malheureux, lui dit-il, madame, si vous ne m'estimez pas assez pour me croire capable de m'attacher à vous par les seuls liens du sentiment! Après tout, de quoi me suis-je privé? De ce qui déshonore l'amour. Je rougis de voir que vous comptiez ce sacrifice pour quelque chose: mais fût-il aussi grand que vous vous l'imaginez, je n'en aurai que plus de gloire. Non, mon cher Alcibiade,

lai dit la prude en lui tendant la main, je ne veux point d'un sacrifice qui te coûte: je suis trop sûre et trop flattée de l'amour pur et délicat que tu m'as si bien témoigné. Sois heureux, j'y consens. Je le suis, madame, s'écria-t-il, du bonheur de vivre pour vous: cessez de me soupçonner et de me plaindre; vous voyez l'amant le plus fidèle, le plus tendre, le plus respectueux.... Et le plus sot, interrompit-elle en tirant brusquement ses rideaux, et elle appela ses esclaves. Alcibiade sortit furieux de n'avoir été aimé que comme un autre, et bien résolu de ne plus revoir une femme qui ne l'avait pris que pour son plaisir. Ce n'est pas ainsi, dit-il, qu'on aime dans l'âge de l'innocence; et si la jeune Glicérie éprouvait pour moi ce que ses yeux semblent me dire, je suis bien certain que ce serait de l'amour tout pur.

Glicérie, dans sa quinzième année, attirait déjà les vœux de la plus brillante jeunesse. Qu'on imagine une rose au moment de s'épanouir; tels étaient la fraîcheur et l'éclat de sa beauté.

Alcibiade se présenta, et ses rivaux se dissipèrent. Ce n'était point encore l'usage, à Athènes, de s'épouser pour se haïr et pour se mépriser le lendemain; et l'on donnait aux jeunes gens, avant l'hymen, le loisir de se voir et de se parler avec une liberté décente. Les filles ne se reposaient pas sur leurs gardiens du soin de leur vertu; elles se donnaient la peine d'être sages ellesmêmes. La pudeur n'a commencé à combattre faiblement que depuis qu'on lui a dérobé les honneurs de la victoire. Celle de Glicérie fit la plus belle défense. Alcibiade n'oublia rien pour la surprendre ou pour la gagner. Il loua la jeune Athénienne sur ses talens, ses grâces, sa beauté; il lui fit sentir dans tout ce qu'elle disait, une finesse qu'elle n'y avait pas mise, et une délicatesse dont elle ne se doutait pas. Quel dommage qu'avec tant de charmes elle n'eût pas un cœur sensible! Je vous adore, lui disait-il, et je suis heureux si vous m'aimez. Ne craignez pas de me le dire; une candeur ingénue est la vertu de votre âge. On a beau donner le nom de prudence à la dissimulation, cette belle bouche n'est faite pas trahir les sentimens de votre pour cœur ; qu'elle soit l'organe de l'amour, c'est pour lui-même qu'il l'a formée. Si vous voulez que je sois sincère, lui répondit Glicérie avec une modestie mêlée de tendresse, faites du moins que je puisse l'être sans rougir. Je veux bien ne pas trahir mon ceur, mais je veux aussi ne pas trahir mon devoir; et je trahirais l'un ou l'autre si j'en disais davantage. Glicérie voulait, avant de s'expliquer, que leur hymen fût conclu. Alcibiade voulait qu'elle s'expliquât avant de penser à l'hymen. Il sera bien temps, disait-il, de m'assurer de votre amour, quand l'hymen vous en aura fait un devoir, et que je vous aurai réduite à la nécessité de

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feindre! C'est aujourd'hui, que vous êtes libre, qu'il serait flatteur pour moi d'entendre de votre bouche l'aveu désintéressé d'un sentiment naturel et pur. Hé bien, soyez content, et ne me reprochez plus de n'avoir pas un cœur sensible; il l'est du moins depuis que je vous vois. Je vous estime assez pour vous confier mon secret; mais à présent qu'il m'est échappé, j'exige de vous une complaisance : c'est de ne me plus parler tête à tête que vous ne soyez d'accord avec ceux dont je dépends. L'aveu qu'Alcibiade venait d'obtenir aurait fait le bonheur d'un amant moins difficile; mais sa chimère l'occupait. Il voulut voir jusqu'au bout s'il était aimé pour lui-même. Je ne vous dissimulerai pas, lui dit-il, que la démarche que je vais faire peut avoir un mauvais succès. Vos parens me reçoivent avec une politesse froide, que j'aurais prise pour un congé, si le plaisir de vous voir n'eût vaincu ma délicatesse: mais si j'oblige votre père à s'expliquer, il ne sera plus temps de feindre. Il est membre de l'Aréopage; Socrate, le plus vertueux des hommes, y est suspect et odieux: je suis l'ami et le disciple de Socrate; et je crains bien que la haine qu'on a pour lui ne s'étende jusqu'à moi. Mes craintes vont trop loin peut-être; mais enfin, si votre père nous sacrifie à sa politique, s'il me refuse votre main, à quoi vous déterminez-vous? A être malheureuse, lui répondit Glicérie, et à céder à ma destinée. Vous ne me verrez donc plus ? Si l'on me défend de vous voir, il faudra bien que j'obéisse. - Vous obéirez donc aussi si l'on vous propose un autre époux? -Je serai la victime de mon devoir. Et par devoir vous aimerez l'époux qu'on vous aura choisi? — Je tâcherai de ne le point haïr. Mais quelles questions vous me faites! Que penseriez-vous de moi si j'avais d'autres sentimens ? - Que vous m'aimeriez comme on doit aimer. - Il est trop vrai que je vous aime. —Non, Glicérie, l'amour ne connaît point de loi; il est au-dessus de tous les obstacles. Mais je vous rends justice: ce sentiment est trop fort pour votre âge; il veut des âmes fermes et courageuses, que les difficultés irritent, et que les revers n'étonnent pas. Un tel amour est rare, je l'avoue. Vouloir un état, un nom, une fortune dont on dispose, se jeter enfin dans les bras d'un mari pour se sauver de ses parens; voilà ce qu'on appelle. amour, et voilà ce que j'appelle désir de l'indépendance. Vous êtes bien le maître, lui dit-elle les larmes aux yeux, d'ajouter l'injure au reproche. Je ne vous ai rien dit que de tendre et d'honnête. Ai-je balancé un moment à vous sacrifier vos rivaux ? Ai-je hésité à vous avouer votre triomphe? Que me demandez-vous de plus? Je vous demande, lui dit-il, de me jurer une constance à toute épreuve, de me jurer que vous serez à moi, quoi qu'il arrive, et que vous ne serez qu'à moi. En vérité, seigneur,

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