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pardonnez si je vous envie le bonheur de la posséder. Il est temps bientôt que je veille moi-même à une santé qui m'est si précieuse. Je vous laisserai le soin de celle de Nelson : c'est un dépôt qui ne m'est pas moins cher. Vivons heureux, mes amis; c'est vous qui m'avez fait sentir le prix de la vie; et en l'exposant, j'ai souvent éprouvé que j'y tenais par de puissans liens.

Il fut décidé que dans moins de huit jours Coraly serait l'épouse de Blanford. En attendant, elle était encore auprès de Juliette; et Nelson ne la quittait pas. Mais son courage s'épuisait à soutenir celui de la jeune Indienne. Avoir sans cesse à dévorer ses larmes, en essuyant les pleurs d'une amante, qui, tantôt désolée à ses pieds, tantôt défaillante et tombant dans ses bras, le conjurait d'avoir pitié d'elle; l'entendre sans cesse exprimer ce que l'amour et la douleur ont de plus touchant, sans se permettre un moment de faiblesse, et sans cesser de lui rappeler sa cruelle résolution ; ce tourment paraît au-dessus de toutes les forces de la nature; aussi la vertu de Nelson l'abandonnait-elle à chaque instant. Laissezmoi, lui disait-il, malheureuse enfant ! je ne suis pas un tigre ; j'ai une âme sensible, et vous la déchirez. Disposez de vousmême, disposez de ma vie ; mais laissez-moi mourir fidèle à mon - Et puis-je, au péril de vos jours, faire usage de ma volonté? Ah! Nelson, du moins promettez-moi de vivre, non plus pour moi, mais pour une sœur qui vous adore. -Je vous tromperais, Coraly, en vous promettant de survivre au malheur que j'aurais causé. Non que je veuille attenter sur moi-même ; mais voyez l'état où ma douleur m'a mis; voyez l'effet de mes remords et de ma honte anticipée ; en serais-je moins odieux, moins inexorable à moi-même, quand le crime serait achevé ? - Hélas! vous me parlez de crime; ce n'en est donc pas un de me tyranniser? - Vous êtes libre; je n'exige plus rien; je ne sais pas même quels sont vos devoirs; mais je sais trop quels sont les miens; et je ne veux pas les trahir.

ami.

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C'est ainsi que leurs entretiens ne servaient qu'à les désoler; mais la présence de Blanford était pour eux plus accablante encore. Chaque jour il venait les entretenir, non pas de stériles propos d'amour, mais des soins qu'il se donnait pour que dans sa maison tout respiråt l'agrément et l'aisance, que tout y prévint les désirs de sa femme et contribuât à son bonheur. Si je meurs sans enfans, disait-il, la moitié de mon bien est à elle, l'autre moitié est à celui qui, après moi, saura lui plaire, et la consoler de m'avoir perdu. C'est toi, Nelson, que cela regarde. On ne vieillit guère au métier que je fais remplace-moi quand je ne serai plus. Je n'ai point l'odieux orgueil de vouloir que ma veuve soit fidèle à mon ombre. Coraly est faite pour embellir le

monde, et pour enrichir la nature des fruits de sa fécondité. Il est plus aisé de concevoir que de décrire la situation de nos eux amans. L'attendrissement et la confusion étaient les mêmes lans l'un et dans l'autre ; mais il y avait pour Nelson une espèce de oulagement à voir Coraly en de si dignes mains, au lieu que les bienfaits et l'amour de Blanford étaient pour elle un tourment de plus. En perdant Nelson, elle eût préféré l'abandon de la nature entière aux soins, aux bienfaits, à l'amour de tout ce qui n'était pas lui. Il fut décidé cependant, de l'aveu même de cette infortunée, qu'il n'y avait plus à balancer, et qu'il fallait qu'elle subît

son sort.

Elle fut donc amenée en victime dans cette maison qu'elle avait chérie comme son premier asile, et qu'elle redoutait comme son tombeau. Blanford l'y reçoit en souveraine; et ce qu'elle ne peut lui cacher du violent état de son âme, il l'attribue à la timidité, au trouble qu'inspire, à son âge, l'approche du lit nuptial.

Nelson avait ramassé toutes les forces d'une âme stoïque pour se présenter à cette fête avec un visage serein.

On fit lecture de l'acte que Blanford avait fait dresser. C'était d'un bout à l'autre un monument d'amour, d'estime, et de bienfaisance. Les larmes coulèrent de tous les yeux, et même des yeux de Coraly.

Blanford s'approche respectueusement; et lui tendant la main : Venez, dit-il, ma bien-aimée, donner à ce gage de votre foi, à ce titre du bonheur de ma vie, la sainteté inviolable dont il doit être revêtu.

Coraly, se faisant à elle-même la dernière violence, eut à peine la force d'avancer et de porter la main à la plume. Au moment qu'elle veut signer, ses yeux se couvrent d'un nuage; tout son corps est saisi d'un tremblement soudain; ses genoux fléchissent : elle allait tomber, si Blanford ne l'eût soutenue. Interdit, glacé de frayeur, il regarde Nelson, et il lui voit la pâleur de la mort sur le visage. Milady s'était précipitée vers Coraly pour la secourir. O ciel! s'écrie Blanford, qu'est-ce que je vois? La douleur, la mort m'environnent. Qu'allais-je faire? que m'avez-vous caché? Ah! mon ami, serait-il possible! Revoyez le jour, ma chère Coraly; je ne suis point cruel, je ne suis point injuste; je ne veux que votre bonheur.

Les femmes qui environnaient Coraly s'empressaient à la ranimer; et la décence obligeait Nelson et Blanford à se tenir éloignés d'elle. Mais Nelson demeurait immobile et les yeux baissés, comme un criminel. Blanford vient à lui, le serre dans ses bras. Ne suis-je plus ton ami? lui dit-il; n'es-tu pas toujours la moitié de moimême? Ouvre-moi ton cœur; dis-moi ce qui se passe.... Mais

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non, ne me dis rien je sais tout. Cette enfant n'a pu te voir. t'entendre, vivre auprès de toi sans t'aimer. Elle est sensible, elle a été touchée de ta bonté, de tes vertus. Tu l'as condamnée au silence, tu as exigé d'elle qu'elle consommât le plus douloureux sacrifice. Ah! Nelson, s'il était accompli, quel malheur ! Le juste ciel ne l'a pas voulu; la nature, à qui tu faisais violence, a repris ses droits. Ne t'en afflige pas : c'est un crime qu'elle t'épargne. Oui, le dévouement de Coraly était le crime de l'amitié. Je l'avoue, répondit Nelson, en se jetant à ses genoux : j'ai fait, sans le vouloir, ton malheur, le mien, celui de cette fille aimable; mais j'atteste la foi, l'amitié, l'honneur... Laisse là tes sermens, interrompit Blanford; ils nous outragent l'un et l'autre. Va, mon ami, poursuivit-il en le relevant, tu ne serais pas dans mes si j'avais pu te soupçonner d'une honteuse perfidie. Ce que j'avais prévu est arrivé, mais sans ton aveu. Ce que je viens de voir en est la preuve ; et cette preuve même est inutile, ton ami n'en a pas besoin. Il est certain, reprit Nelson, que je n'ai à me reprocher que ma présomption et mon imprudence. Mais c'en est assez, et j'en serai puni. Coraly ne sera point à toi, mais je ne serai point à elle. Est-ce ainsi que vous répondez à un ami généreux? lui répliqua Blanford d'un ton ferme et sévère. Vous croyez-vous obligé avec moi à de puérils ménagemens ? Coraly ne sera point à moi, parce qu'elle ne serait point heureuse avec moi. Mais un mari honnête homme, que sans vous elle ! aurait aimé, est pour elle une perte dont vous êtes la cause; et c'est à vous de la réparer. Le contrat est dressé, l'on va changer les noms; mais j'exige que les articles restent. Ce que je donnais à Coraly en qualité d'époux, je le lui donne en qualité d'ami, ou, si vous voulez, en qualité de père. Nelson, ne me faites pas rougir par un refus humiliant. Je suis confondu, et ne suis point surpris, lui dit Nelson, de cette générosité qui m'accable. C'est à moi d'y souscrire avec confusion, et de la révérer en silence. Si je ne savais pas combien le respect se concilie avec l'amitié, je n'oserais plus vous nommer mon ami.

Pendant cet entretien, Coraly était revenue à elle-même, et revoyait avec frayeur la lumière qui lui était rendue. Quelle fut sa surprise, et la révolution qui tout à coup se fit dans son âme! Tout est connu, tout est pardonné, lui dit Nelson en l'embrassant: tombez aux pieds de notre bienfaiteur : c'est de sa main que je reçois la vôtre. Coraly voulut se répandre en actions de grâces. Vous êtes un enfant, lui dit Blanford; il fallait me tout avouer. N'en parlons plus; mais n'oublions jamais qu'il est des épreuves auxquelles la vertu même fait bien de ne pas s'exposer.

LE MISANTHROPE CORRIGÉ.

Os ne corrige point le naturel, me dira-t-on, et j'en conviens; mais entre mille accidens combinés qui composent un caractère, quel œil assez fin démêlera ce naturel indélébile? Et combien de vices et de travers on attribue à la nature, qu'elle ne se donna jamais! Telle est, dans l'homme, la haine des hommes: c'est un caractère factice, un personnage qu'on prend par humeur, et qu'on garde par habitude, mais dans lequel l'âme est à la gêne, et dont elle ne demande qu'à se délivrer. Ce qui arriva au misanthrope que nous a peint Molière en est un exemple ; et l'on va voir comme il fut ramené.

Alceste mécontent, commé vous savez, de sa maîtresse et de ses juges, détestant la ville et la cour, et résolu à fuir les hommes, se retira bien loin de Paris, dans les Vosges, près de Laval, et sur les bords de la Vologne. Cette rivière, dont les coquillages renferment la perle, est encore plus précieuse par la fertilité qu'elle donne à ses bords. Le vallon qu'elle arrose est une belle prairie. D'un côté s'élèvent de riantes collines semées de bois et de hameaux; de l'autre, s'étendent en plaine de vastes champs couverts de moissons. C'est là qu'Alceste était allé vivre, oublié de la nature entière. Libre de soins et de devoirs, tout à luimême, et enfin délivré du spectacle odieux du monde, il respirait, il louait le ciel d'avoir rompu tous ses liens. Quelques études, beaucoup d'exercice, les plaisirs peu vifs, mais tranquilles, d'une douce végétation; en un mot, une vie paisiblement active, le sauvait de l'ennui de la solitude. Il désirait, il ne regrettait rien. L'un des agrémens de sa retraite fut de voir autour de lui la terre, cultivée et fertile, nourrir un peuple qui lui semblait heureux. Un misanthrope qui l'est par vertu, ne croit haïr les hommes que parce qu'il les aime Alceste éprouva un attendrissement mêlé de joie à la vue de ses semblables, riches du travail de leurs mains. Ces gens-là, dit-il, sont bien heureux d'être encore à demisauvages; ils seraient bientôt corrompus, s'ils étaient plus civilisés. En se promenant dans la campagne, il aborda un laboureur qui traçait son sillon et qui chantait. Dieu vous garde, bon homme, lui dit-il : vous voilà bien gai! Comme de coutume, lui répondit le villageois. — J'en suis bien aise : cela prouve que vous êtes content de votre état. Jusqu'à présent j'ai lieu de l'être. Étes-vous marié? Oui, grâce au ciel. Avez-vous des enfans? - J'en avais cinq : j'en ai perdu un; mais ce malheur peut se

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réparer. Votre femme est jeune?-Elle a vingt-cinq ans.-Estelle jolie? — Elle l'est pour moi; mais elle est mieux que jolie, elle est bonne. - Et vous l'aimez? — Si je l'aime! Et qui ne l'aimerait pas ? Elle vous aime aussi sans doute? cela, de tout son cœur, et comme avant le mariage. aimiez donc avant le mariage?

-

Oh! pour

Vous vous

Sans cela nous serions-nous pris? Et vos enfans, viennent-ils bien? - Ah! c'est un plaisir, l'aîné n'a que sept ans ; il a déjà plus d'esprit que son père. Et mes deux filles, c'est cela qui est charmant! Il y aura bien du malheur si celles-là manquent de maris ! Le dernier tette encore; mais le petit compère sera robuste et vigoureux. Croiriez-vous bien qu'il bat ses sœurs quand elles veulent baiser leur mère ? Il a toujours peur qu'on ne vienne le détacher du téton. Tout cela est donc bien heureux? Heureux? Je le crois! Il faut voir la joie, quand je reviens du labourage. On dirait qu'ils ne m'ont vu d'un an : je ne sais auquel entendre. Ma femme est à mon cou, mes filles dans mes bras, mon aîné attend que son tour vienne; il n'y a pas jusqu'au petit Jeannot, qui, se roulant sur le lit de sa mère, me tend ses petites mains; et moi, je ris, et je pleure, et je les baise; car tout cela m'attendrit. - Je le crois. Vous devez le sentir, car sans doute vous êtes père? Tant pis il n'y a que cela de bon.

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Je n'ai pas ce bonheur. - Et comment vivez-vous? Fort bien d'excellent pain, de bon laitage, et des fruits de notre verger. Ma femme, avec un peu de lard, fait une soupe aux choux dont le roi mangerait. Nous avons encore les œufs de nos poules; et le dimanche nous nous régalons, et nous buvons un petit coup de vin. -Oui, mais quand l'année est mauvaise? -On s'y est attendu, et l'on vit doucement de ce qu'on a épargné dans la bonne. Il y a encore la rigueur du temps, le froid, la pluie, les chaleurs, que vous avez à soutenir. On s'y accoutume, et si vous saviez quel plaisir on a de venir le soir respirer le frais après un jour d'été, ou l'hiver, se dégourdir les mains au feu d'une bonne bourrée, entre sa femme et ses enfans! et puis on soupe de bon appétit et on se couche; et croyez-vous qu'on se souvienne du mauvais temps? Quelquefois ma femme me dit : Mon bon homme, entends-tu le vent et l'orage? Ah! si tu étais dans les champs! - Je n'y suis pas, je suis avec toi, lui dis-je; et pour l'en assurer, je la presse contre mon sein. Allez, monsieur, il y a bien du beau monde qui ne vit pas aussi content que nous. -Et les impôts? - Nous les payons gaiement : il le faut bien. Tout le pays ne peut pas être noble. Celui qui nous gouverne et celui qui nous juge, ne peuvent pas venir labourer. Ils font notre besogne, nous faisons la leur; et chaque état, comme on dit, a ses peines. Quelle équité! dit le misanthrope: voilà, en deux mots,

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