Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

livre avant de le connaître; et souvent le cœur est égaré avant que la raison l'éclaire. O Lucile! s'écriait-il en regardant le portrait de sa femme, qui était, dans la solitude, son unique entretien, ô Lucile ! vous étiez si digne d'être heureuse! et je me flattais que vous le seriez avec moi. Hélas! peut-être quelqu'un de ces jolis corrupteurs qui font l'ornement et les malheurs du monde, est-il actuellement occupé à séduire son innocence, et ne s'obstine à sa défaite, que pour le plaisir de s'en glorifier. Quoi! la honte de ma femme éleverait entre nous une éternelle barrière ! Il ne me serait plus permis de vivre avec celle dont la mort seule devait me séparer! Je l'ai trahie en l'abandonnant. Le ciel m'avait choisi pour gardien de sa jeunesse imprudente et fragile. Je n'ai consulté que l'usage, et je n'ai été frappé que de l'idée effrayante d'être haï comme un tyran.

de

Tandis que Lisère flottait ainsi dans cette cruelle incertitude, Lucile n'était pas moins agitée entre le désir de retourner à lui, et la crainte d'en être rebutée. Vingt fois, après avoir passé la nuit à gémir et à pleurer, elle s'était levée dans la résolution d'aller attendre son réveil, de se jeter à ses pieds, et de lui demander pardon; mais une honte qui est bien connue des ames sensibles et délicates, avait toujours retenu ses pas. Si Lisère ne la méprisait point, s'il conservait encore pour elle quelque sensibilité, quelque estime, depuis le temps qu'elle avait rompu avec ses sociétés, depuis qu'elle vivait retirée et solitaire, comment n'avait-il pas daigné la voir une seule fois? Tous les jours, en passant, il s'informait de la santé de madame; elle l'entendait, elle espérait qu'à la fin il demanderait à la voir. Chaque jour cet espoir renaissait; elle attendait toute tremblante le moment du passage Lisère. Elle s'approchait le plus près qu'il lui était possible pour l'écouter, et se retirait tout en larmes, après avoir entendu demander en passant, Comment se porte madame? Elle aurait voulu que Lisère fût instruit de son repentir, de son retour à elle-même. Mais à qui se fier? disait-elle : à des amis? En est-il d'assez sûrs, d'assez discrets, d'assez sages pour une entremise si délicate? Les uns en auraient le talent, et n'en auraient pas le zèle; et les autres en auraient le zèle, et n'en auraient pas le talent. D'ailleurs il est si dur de confier aux autres ce qu'on n'ose s'avouer à soi-même! Une lettre.... Mais que lui écrirai-je ? des mots vagues ne le toucheraient pas; et les détails sont si humilians! Enfin il lui vint une idée dont sa délicatesse et sa sensibilité furent également satisfaites. Lisère s'était absenté pour deux jours; et Lucile saisit le temps de son absence pour exécuter son dessein.

Lisère avait un vieux domestique que Lucile avait vu s'attendrir au moment de leur séparation, et dont le zèle, l'honnêteté,

-

la discrétion lui étaient connus. Ambroise, lui dit-elle, j'ai un service à vous demander. Ah! madame, dit le bon homme, ordonnez; je suis à vous de toute mon âme. Plût à Dieu que vous et mon maître vous vous aimassiez comme je vous aime! Je ne sais qui de vous deux a tort; mais je vous plains tous les deux : c'était un charme de vous voir ensemble; et je ne vois plus rien ici qui ne m'afflige, depuis que vous faites mauvais ménage. C'est peut-être ma faute, dit Lucile humiliée; mais, mon enfant, le mal n'est pas sans remède; fais seulement ce que je te dirai. Tu sais que mon portrait est dans la chambre de ton maître? -Oh! oui, madame, il le sait bien aussi; car il s'enferme quelquefois avec lui des journées entières; c'est toute sa consolation ; il le regarde, il lui parle, il soupire à faire pitié; et je vois bien que le pauvre homme aimerait encore mieux s'entretenir avec vous qu'avec votre ressemblance. Tu me dis là des choses fort consolantes, mon cher Ambroise; mais va prendre ce portrait en cachette, et choisis, pour l'apporter chez moi, un moment où tu ne sois vu de personne. — Moi, madame, priver mon maître de ce qu'il a de plus cher au monde ! Demandez-moi plutôt ma vie. Rassure-toi, reprit Lucile : mon dessein n'est pas de l'en priver. Demain au soir tu viendras le reprendre et le remettre en place; je te demanderai seulement de n'en rien dire à mon mari. A la bonne heure, dit Ambroise. Je sais que vous êtes la bonté même ; et vous ne voudriez pas me donner, à la fin de mes jours, le chagrin d'avoir affligé mon maître. Le fidèle Ambroise exécuta l'ordre de Lucile. Elle avait dans son portrait l'air tendre et languissant qui lui était naturel; mais son regard était serein, et ses cheveux étaient mêlés de fleurs. Elle fit venir son peintre, lui ordonna de la représenter échevelée, et de faire couler des larmes de ses yeux. Dès que son idée fut remplie, le tableau fut replacé dans l'appartement de Lisère. Il arrive, et bientôt ses yeux se lèvent sur cet objet chéri. Il est aisé de concevoir quel fut l'excès de sa surprise. Les cheveux épars le frappent d'abord. Il approche, et il voit couler des larmes. Ah! s'écria-il, ah! Lucile, sont-ce les larmes du repentir? Est-ce la douleur de l'amour? Il sort transporté, il vole chez elle, il la cherche des yeux, et il la trouve dans la même situation où le tableau la lui avait présentée. Immobile un instant, il la contemple avec attendrissement; et tout à coup se précipitant à ses genoux : Est-il bien vrai, dit-il, que ma femme me soit rendue? Oui, dit Lucile avec des sanglots, oui, si vous la trouvez encore digne de vous. Peut-elle avoir cessé de l'être, reprit Lisère en la serrant dans ses bras. Non, mon enfant, rassure-toi; je connais ton âme, et je n'ai jamais cessé de te plaindre et de t'estimer. Tu ne reviendrais pas à moi si le

monde avait pu te séduire; et ce retour volontaire est la preuve de ta vertu. Oh! grâce au ciel, dit-elle (le cœur soulagé par les pleurs qui coulaient en abondance de ses yeux), grâce au ciel, je n'ai à rougir d'aucune faiblesse honteuse; j'ai été folle, mais j'ai été honnête. Si j'en doutais, serais-tu dans mon sein? reprit Lisère. Et à ces mots.... Mais qui peut rendre les transports de deux cœurs sensibles, qui, après avoir gémi d'une séparation cruelle, se réunissent pour toujours ? En apprenant leur réconciliation, leurs gens furent saisis de joie; et le bon homme Ambroise disait, les yeux mouillés de larmes : Dieu soit loué, je mourrai

content.

Depuis ce jour, la tendre union de ces époux sert d'exemple à tous ceux de leur âge. Leur divorce les a convaincus que le monde n'avait rien qui pût les dédommager l'un de l'autre; et c'est ce que j'appelle un divorce heureux.

LE BON MARI.

L'un de ces bons pères de famille qui nous rappellent l'âge d'or, Félisonde avait marié Hortence, sa fille unique, au baron de Valsain, et sa nièce Amélie au président de Lusane.

Valsain, galant sans assiduité, assez tendre sans jalousie, trop occupé de sa gloire et de son avancement pour s'établir le gardien de sa femme, la laissait, sur sa bonne foi, se livrer aux dissipations d'un monde où, répandu lui-même, il se plaisait à la voir briller. Lusane, plus recueilli, plus assidu, ne respirait que pour Amélie, qui, de son côté, ne vivait que pour lui. Le soin mutuel de se complaire les occupait sans cesse; et pour eux le plus saint des devoirs était le plus doux des plaisirs.

Le vieux Félisonde jouissait de l'union de sa famille, quand la mort d'Amélie et celle de Valsain y répandirent la tristesse et le deuil. Lusane, dans sa douleur, n'avait pas même la consolation d'être père. Valsain laissait à Hortence deux enfans, avec peu de bien. Les premiers regrets de la jeune veuve n'eurent pour objet que son époux; mais on a beau s'oublier soi-même, on y revient insensiblement. Le temps du deuil fut celui des réflexions.

A Paris, une jeune femme qui n'est que dissipée, est à l'abri de la censure tant qu'elle est au pouvoir d'un mari : l'on suppose que le plus intéressé doit être le plus difficile, et ce qu'il approuve,

[ocr errors][merged small]

on n'ose le blåmer; mais livrée à elle-même, elle rentre sous la tutelle d'un public sévère et jaloux, et ce n'est pas à vingt-deux ans que le veuvage est un état libre. Hortence vit donc bien qu'elle était trop jeune pour ne dépendre que d'elle – même ; et Félisonde le vit encore mieux. Un jour, ce bon père confia ses craintes à Lusane, son neveu. Mon ami, lui dit-il, tu es bien à plaindre; mais je le suis beaucoup plus que toi. Je n'ai qu'une fille : tu sais si je l'aime; et tu vois les dangers qu'elle court. Ce monde qui l'a séduite, la rappelle : son deuil fini, elle va s'y livrer; et je crains, tout vieux que je suis, de vivre assez pour avoir à rougir. Ma fille a un fond de vertu ; mais notre vertu est en nous, et notre honneur, cet honneur si cher, est dans l'opinion des autres.—Je vous entends, monsieur, et, s'il faut l'avouer, je partage votre inquiétude; mais ne peut-on pas déterminer Hortence à un nouvel engagement? -Eh! mon ami, quelles raisons n'a-t-elle pas à m'opposer! deux enfans, deux enfans sans fortune; car tu sais que je ne suis pas riche, et que leur père était ruiné. - N'importe, monsieur, consultez Hortence je connais un homme, s'il lui convenait, qui pense assez bien, qui a le cœur assez bon pour servir de père à ses enfans. Le vieux bon homme crut l'entendre. O toi, dit-il, qui faisais le bonheur de ma nièce Amélie, toi que j'aime comme mon fils, Lusane! le ciel lit dans mon cœur..... Mais, dis-moi, l'époux que 'tu proposes connaît-il ma fille? n'est-il point effrayé de sa jeunesse, de sa légèreté, de l'essor qu'elle a pris dans le monde ? - Il la connaît comme vous-même, et il ne l'en estime pas moins. Félisonde ne tarda point à parler à sa fille. Oui, mon père, je conviens, lui dit-elle, que ma position est délicate. S'observer, se craindre sans cesse, être dans le monde comme devant son juge, c'est le sort d'une veuve à mon âge; il est pénible et dangereux. -Eh bien, ma fille, Lusane m'a parlé d'un époux qui te conviendrait.-Lusane, mon père! ah! s'il est possible, qu'il m'en donne un qui lui ressemble. Heureuse moi-même avec Valsain, je ne laissais pas quelquefois d'envier le sort de sa femme. Le père, enchanté de sa réponse, vint la rendre à son neveu. Si vous ne me flattez pas, lui dit Lusane, demain nous serons tous contens. —Quoi! mon ami, c'est toi!-C'est moi-même. - Hélas! mon cœur me l'avait dit. —Oui c'est moi, monsieur, qui veux faire la consolation de votre vieillesse, en ramenant à ses devoirs une fille digne de vous. Sans donner dans des travers indécens, je vois qu'Hortence a pris tous les airs, tous les ridicules d'une femme à la mode. La vivacité, le caprice, l'envie de plaire et de s'amuser, l'ont engagée dans le labyrinthe d'une société bruyante et frivole; il s'agit de l'en tirer. J'ai besoin pour cela d'un peu de courage et de ré

solution. J'aurai peut-être des larmes à combattre, et c'est beaucoup pour un cœur aussi sensible que le mien; cependant je vous réponds de moi. Mais vous, monsieur, vous êtes père; et si Hortence venait se plaindre à vous..... -Ne crains rien; dispose de ma fille je la confie à ta vertu; et si ce n'est pas assez de l'autorité d'un époux, je te remets celle d'un père.

Lusane fut reçu d'Hortence avec les gràces les plus touchantes. Croyez voir en moi, lui dit-elle, l'épouse que vous avez perdue: si je la remplace dans votre cœur, je n'ai plus rien à regretter.

Quand il s'agit de dresser les articles, monsieur, dit Lusane à Félisonde, n'oublions pas que nous avons deux orphelins. L'état de leur père ne lui a pas permis de leur laisser un gros héritage: ne les privons pas de celui de leur mère; et que la naissance de mes enfans ne soit pas un malheur pour eux. Le vieillard fut touché jusqu'aux larmes de la générosité de son neveu, qu'il appela dès ce moment son fils. Hortence ne fut pas moins sensible aux procédés de son nouvel époux. Le plus élégant équipage, les plus riches habits, les bijoux les plus précieux, une maison où tout respirait le goût, l'agrément, l'opulence, annoncèrent à cette jeune femme un mari soigneux de tous ses plaisirs; mais la joie qu'elle en ressentit ne fut pas de longue durée.

Des que le calme eut succédé au tumulte des noces, Lusane crut devoir s'expliquer avec elle sur le plan de vie qu'il voulait lui tracer. Il prit pour cet entretien sérieux le moment paisible du réveil, ce moment où le silence des sens laisse à la raison toute sa liberté, où l'âme elle-même, apaisée par l'évanouissement du sommeil, semble renaître avec des idées pures, et, se possédant tout entière, se contemple et lit dans son sein, comme on voit au fond d'une eau claire et tranquille.

Ma chère Hortence, lui dit-il, je veux que vous soyez heureuse, et que vous le soyez toujours; mais il vous en coûtera de légers sacrifices, et j'aime mieux vous les demander de bonne foi, que de vous y engager par des détours qui marqueraient de la défiance. Vous avez passé, avec le baron de Valsain, quelques années agréables. Fait pour le monde et pour les plaisirs, jeune, brillant, et dissipé lui-même, il vous inspirait tous ses goûts. Mon caractère est plus sérieux, mon état plus modeste, mon humeur un peu plus sévère: il ne m'est pas possible de prendre ses mœurs, et je crois que c'est un bien pour vous. La route que vous avez suivie est semée de fleurs et de piéges; celle que nous allons tenir a moins d'attraits et moins de dangers. Le charme qui vous environnait se fût dissipé avec la jeunesse; les jours sereins que je vous prépare seront les mêmes dans tous les temps. Ce n'est pas au milieu du monde qu'une honnête femme trouve le bonheur; c'est

« VorigeDoorgaan »