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compte ; mais un désastre si accablant est au-dessus de mes forces; et je vous prie de vous en charger. -Moi! mon enfant; moi, sur mon déclin, me donner ce ridicule! perdre en un jour une considération qui est l'ouvrage de quarante ans, et qui fait l'espérance de ma vieillesse! auriez-vous bien la cruauté de l'exiger? — N'avez-vous pas celle de me rendre la victime de ma complaisance ? Vous savez combien il m'en a coûté. Je sais tout ce que je vous dois; mais, mon cher Célicour, vous êtes jeune, vous avez le temps de prendre des revanches, et il ne faut qu'un succès pour faire oublier ce malheur: au nom de l'amitié, soutenez-le avec constance, je vous en conjure les larmes aux yeux. — J'y consens, monsieur; mais je sens trop les conséquences d'un premier début pour m'exposer au préjugé qu'il laisse. Je renonce au théâtre, à la poésie, aux belles-lettres. Oui, c'est bien fait; il y a, pour un jeune homme de votre âge, tant d'autres objets d'ambition. - Il n'y en a qu'un pour moi, monsieur, et il dépend de vous. — Parlez, il n'est point de service que je ne vous rende; qu'exigez-vous?- La main de votre nièce. La main d'Agathe! Oui, je l'adore, et c'est elle qui, pour vous plaire, m'a fait consentir à tout ce que vous avez voulu. -Ma nièce est de la confidence?-Oui, monsieur. - Ah! son étourderie aura peut-être..... Hola! quelqu'un : vite, ma nièce, qu'elle vienne. -Rassurez-vous; Agathe est moins enfant, moins étourdie qu'elle ne paraît l'être. Ah! vous me faites trembler.... Ma chère Agathe, tu sais ce qui se passe et le malheur qui vient d'arriver? Oui, mon oncle. — As-tu révélé ce fatal secret à personne ?— A personne au monde. Y puis-je bien compter? Oui, je vous le jure. Eh bien! mes enfans, qu'il meure avec nous trois ; je vous le demande comme la vie. Agathe, Célicour vous aime; il renonce, par amitié pour moi, au théâtre, à la poésie, aux lettres; et je lui dois votre main pour prix d'un si grand sacrifice. Il est trop payé s'écria Célicour en saisissant la main d'Agathe. J'épouse un auteur malheureux, dit-elle en souriant; mais je me charge de le consoler de son infortune; le pis aller est qu'on lui refuse de l'esprit, et tant d'honnêtes gens s'en passent. Or ça, oncle, voilà Célicour qui renonce à la gloire d'être poëte; ne feriez-vous pas bien de renoncer à celle d'être connaisseur? vous en seriez bien plus tranquille. Agathe fut interrompue par l'arrivée de Clément, valet de chambre affidé de son oncle. Ah! monsieur, dit-il tout essoufflé, vos amis, vos bons amis ! - Eh bien! Clément? - J'étais au parterre; ils y étaient tous. Je le sais bien. Ont-ils applaudi? — Applaudi! les traîtres! Si vous aviez vu avec quelle fureur ils ont déchiré ce malheureux jeune homme. Je vous demande mon congé, si ces gens-là rentrent chez vous. Ah!

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mon cher

les lâches! dit Fintac. Oui, c'en est fait, je brûle mes livres, et romps tout commerce avec les gens de lettres. Gardez vos livres pour votre amusement, dit Agathe en embrassant son oncle; et à l'égard des gens de lettres, n'en veuillez faire que vos amis, et vous en verrez d'estimables.

L'HEUREUX DIVORCE.

L'INQUIÉTUDE et l'inconstance ne sont, dans la plupart des hommes,

que

la suite d'un faux calcul. Une prévention trop avantageuse pour les biens qu'on désire, fait qu'on éprouve, dès qu'on les possède, ce malaise et ce dégoût qui ne nous laissent jouir de rien. L'imagination détrompée et le cœur mécontent se portent à de nouveaux objets dont la perspective nous éblouit à son tour et dont l'approche nous désabuse. Ainsi, d'illusion en illusion l'on passe sa vie à changer de chimère; c'est la maladie des ânies vives et délicates; la nature n'a rien d'assez parfait pour elles; de là vient qu'on a mis tant de gloire à fixer le goût d'une jolie

femme.

Lucile, au couvent, s'était peint les charmes de l'amour et les délices du mariage avec le coloris d'une imagination de quinze ans, dont rien encore n'avait terni la fleur.

Elle n'avait vu le monde que dans ces fictions ingénieuses, qui sont le roman de l'humanité. Il n'en coûte rien à un homme éloquent pour donner à l'amour et à l'hymen tous les charmes qu'il imagine. Lucile, d'après ces tableaux, voyait les amans et les époux comme ils ne sont que dans les fables, toujours tendres et passionnés, ne disant que des choses flatteuses, occupés uniquement du soin de plaire, ou par des hommages nouveaux, ou par des plaisirs variés sans cesse.

Telle était la prévention de Lucile, quand on vint la tirer du couvent pour épouser le marquis de Lisère. Sa figure intéressante et noble la prévint favorablement. Ses premiers entretiens achevèrent de déterminer l'irrésolution de son âme. Elle ne voyait point encore, dans le marquis, l'ardeur d'un amour passionné; mais elle pensait assez modestement d'elle-même pour ne pas prétendre à l'enflammer d'un premier coup-d'œil. Ce goût, tranquille dans sa naissance, allait faire des progrès rapides: il fallait lui en donner le temps. Cependant le mariage fut conclu et terminé avant que l'inclination du marquis fût devenue une passion violente.

Rien de plus vrai, de plus solide que le caractère du marquis de

Lisère. En épousant une jeune personne, il se proposait, pour la rendre heureuse, de commencer par être son ami, persuadé qu'un honnête homme fait tout ce qu'il veut d'une femme bien née quand il a gagné sa confiance; et qu'un époux qui se fait craindre invite sa femme à le tromper, et l'autorise à le haïr.

Pour suivre le plan qu'il s'était tracé, il était essentiel de n'être point amant passionné; la passion ne connaît point de règle. Il s'était bien consulté, avant de s'engager, sur l'espèce de goût que lui inspirait Lucile, résolu de n'épouser jamais celle dont il serait follement épris. Lucile ne trouva dans son mari que cette amitié vive et tendre, cette complaisance attentive et soutenue, cette volupté douce et pure, cet amour enfin, qui n'a ni accès ni langueur. D'abord elle se flattait que l'ivresse, l'enchantement, les transports, auraient leur tour; l'âme de Lisère fut inaltérable.

Cela est singulier, disait-elle; je suis jeune, je suis belle, et mon mari ne m'aime pas! Je lui appartiens, c'en est assez pour me posséder avec froideur; mais aussi pourquoi le laisser tranquille? Peut-il désirer ce qui est à lui sans réserve et sans trouble? Il serait passionné s'il était jaloux. Que les hommes sont injustes! il faut les tourmenter pour leur plaire. Soyez tendre, fidèle, empressée, ils se négligent, ils vous dédaignent. L'égalité du bonheur les ennuie. Le caprice, la coquetterie, l'inconstance, les réveillent, les excitent; ils n'attachent de prix au plaisir qu'autant qu'il leur coûte des peines. Lisère, moins sûr d'être aimé, en serait mille fois plus amoureux lui-même. Cela est aisé, soyons à la mode. Tout ce qui m'environne m'offre assez de quoi l'inquiéter, s'il est capable de jalousie.

D'après ce beau projet, Lucile joua la dissipation, la coquetterie; elle mit du mystère dans ses démarches; elle se fit des sociétés dont le marquis n'était pas. Ne l'ai-je pas prévu, disait-il en lui-même, que j'avais une femme comme une autre? Au bout de six mois de mariage elle commence à s'ennuyer. Je serais un joli homme si j'étais amoureux de ma femme! Heureusement mon goût et mon estime pour elle me laissent toute ma raison; il faut en faire usage, dissimuler, me vaincre, et n'employer, pour la retenir, que la douceur et les bons procédés. Ils ne réussissent pas toujours; mais les reproches, les plaintes, la gêne et la violence réussissent encore moins. La modération, la complaisance, la tranquillité du marquis achevaient d'impatienter Lucile. Hélas! disait-elle, j'ai beau faire, cet homme-là ne m'aimera jamais; c'est une de ces âmes froides que rien n'émeut, que rien n'interesse; et je suis condamnée à passer ma vie avec un marbre qui ne sait aimer ni haïr! O délices des âmes sensibles! charme dés cœurs passionnés! Amour, qui nous élèves au ciel sur tes ailes eu

flammées! où sont ces traits brûlans dont tu blesses les amans heureux? où est l'ivresse où tu les plonges? où sont ces transports ravissans qu'ils s'inspirent tour à tour? Où ils sont ? poursuivaitelle; dans l'amour libre et indépendant, dans l'abandon de deux cœurs qui se donnent eux-mêmes. Et pourquoi le marquis seraitil passionné? Quel sacrifice lui ai-je fait? par quels traits courageux, par quel dévouement héroïque ai-je ému la sensibilité de son âme ? Où est le mérite d'avoir obéi, d'avoir accepté pour époux un jeune homme aimable et riche qu'on a choisi sans mon aveu? Est-ce à l'amour à se mêler d'un mariage de convenance? Cependant est-ce là le sort d'une femme de seize ans, à qui, sans vanité, la nature a donné de quoi plaire, et plus encore de quoi aimer ? Car enfin je ne puis me dissimuler ni les grâces de ma figure, ni la sensibilité de mon cœur. A seize ans, languir sans espoir dans une froide indifférence, et voir s'écouler sans plaisir au moins une vingtaine d'années qui pourraient être délicieuses! Je dis une vingtaine au moins; et ce n'est pas vouloir ennuyer le monde que d'y renoncer avant quarante ans. Cruelle famille ! est-ce pour toi que j'ai pris un époux? Tu m'as choisi un honnête homme; le rare présent que tu m'as fait! s'ennuyer avec un honnête homme, et s'ennuyer toute sa vie ! En vérité, cela est bien dur.

que

Le mécontentement dégénéra bientôt en humeur du côté de Lucile; et Lisère crut enfin s'apercevoir qu'elle l'avait pris en aversion. Ses amis lui déplaisaient, leur société lui était importune; elle les recevait avec une froideur capable de les éloigner. Le marquis ne put dissimuler plus long-temps. Madame, dit-il à Lucile, l'objet du mariage est de se rendre heureux; nous ne le sommes pas ensemble; et il est inutile de nous piquer d'une constance qui nous gêne. Notre fortune nous met en état de nous passer l'un de l'autre, et de reprendre cette liberté dont nous nous sommes fait imprudemment un mutuel sacrifice. Vivez chez vous, je vivrai chez moi; je ne vous demande pour moi de la décence, et les égards que vous vous devez à vous-même. Très-volontiers, monsieur, lui répondit Lucile avec la froideur du dépit; et dès ce moment tout fut arrangé pour que madame eût son équipage, sa table, ses gens, en un mot, sa maison à elle. Le souper de Lucile devint bientôt un des plus brillans de Paris. Sa société fut recherchée par tout ce qu'il y avait de jolies femmes et d'hommes galans. Mais il fallait que Lucile eût quelqu'un; et c'était à qui l'engagerait dans ce premier pas, le seul, dit-on, qui soit difficile. Cependant elle jouissait des hommages d'une cour brillante; et son cœur, irrésolu encore, semblait ne suspendre son choix que pour le rendre plus flatteur. On crut voir enfin celui

qui devait le déterminer. A l'approche du comte de Blamzé, tous les aspirans baissèrent le ton. C'était l'homme de la cour le plus redoutable pour une jeune femme. Il était décidé qu'on ne pouvait lui résister; et l'on s'en épargnait la peine. Il était beau comme le jour, se présentait avec grâce, parlait peu, mais très-bien; et s'il disait des choses communes, il les rendait intéressantes par le son de voix le plus flatteur, et le plus beau regard du monde. On n'osait dire que Blamzé fût un fat, tant sa fatuité avait de noblesse. Une hauteur modeste formait son caractère; il décidait de l'air du monde le plus doux, et du ton le plus laconique; il écoutait les contradictions avec bonté, n'y répondait que par un sourire; et si on le pressait de s'expliquer, il souriait encore et gardait le silence, ou répétait ce qu'il avait dit. Jamais il n'avait combattu l'avis d'un autre, jamais il n'avait pris la peine de rendre raison du sien; c'était la politesse la plus attentive, et la présomption la plus décidée qu'on eût encore vu réunies dans un jeune homme de qualité.

Cette assurance avait quelque chose d'imposant qui le rendait l'oracle du goût et le législateur de la mode. On n'était sûr d'avoir bien choisi le dessin d'un habit ou la couleur d'une voiture, qu'après que Blamzé avait applaudi d'un coup-d'œil. Il est bien, elle est jolie, étaient de sa bouche des mots précieux, et son silence un arrêt accablant. Le despotisme de son opinion s'étendait jusque sur la beauté, les talens, l'esprit et les grâces. Dans un cercle de femmes, celle qu'il avait honorée d'une attention particulière était à la mode dès ce même instant.

La réputation de Blamzé l'avait précédé chez Lucile; mais les déférences que lui marquaient ses rivaux eux-mêmes redoublerent l'estime qu'elle avait pour lui. Elle fut éblouie de sa beauté, et plus surprise encore de sa modestie. Il se présenta de l'air le plus respectueux, s'assit à la dernière place; mais bientôt tous les regards se dirigerent sur lui. Sa parure était un modèle de goût, tous les jeunes gens qui l'environnaient l'étudiaient avec une attention scrupuleuse. Ses dentelles, sa broderie, sa coiffure, on examinait tout; on écrivait les noms de ses marchands et de ses ouvriers. Cela est singulier, disait-on, je ne vois ces dessins, ces couleurs qu'à lui. Blamzé avouait modestement qu'il lui en coûtait peu de soin. L'industrie, disait-il, est au plus haut point; il n'y a qu'à l'éclairer et à la conduire. Il prenait du tabac en disant ces mots, et sa boîte excitait une curiosité nouvelle; elle était cependant d'un jeune artiste que Blamzé tirait de l'oubli. On lui demandait le prix de tout; il répondait en souriant, qu'il ne savait le prix de rien; et les femmes se disaient à l'oreille le nom de celle qui était chargée de ces détails.

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