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Luzy. Pardonne à ma douleur, à mon désespoir, à mon amour, la démarche que je viens de faire. Tu te moques', reprit Soligny, rien n'était plus juste. Si je t'avais pris ta maîtresse, il aurait bien - fallu t'en faire raison. Il n'en est rien; tant mieux; nous voilà bons amis. Veux-tu déjeuner? — Je veux mourir. - Cela serait un peu trop violent; il faut garder ce remède-là pour des disgrâces plus sérieuses. Ta Laurette est jolie, quoiqu'un peu friponne; il faut tâcher de la ravoir; mais si tu n'as plus celle-là, je te conseille d'en prendre une autre ; et le plus tôt sera le mieux. Pendant que Luzy se désespérait, et qu'il semait l'argent à pleines mains pour découvrir les traces de Laurette, elle était auprès de son père, pleurant sa faute, ou plutôt son amant.

Bazile avait dit dans le village qu'il n'avait pu se passer de sa fille, et qu'il l'était allé chercher. On la trouvait encore embellie. Ses grâces s'étaient développées; et aux yeux même des villageois, ce qu'on appelle l'air de Paris lui avait donné de nouveaux charmes. L'ardeur des garçons qui l'avaient recherchée se renouvela et n'en fut que plus vive; mais son père les refusait tous. Vous ne vous marierez jamais de mon vivant, lui dit-il; je ne veux tromper personne. Travaillez et pleurez avec moi. Je viens de renvoyer à votre indigne amant tout ce qu'il m'avait donné. Il ne nous reste plus de lui que la honte.

Laurette, humble et soumise, obéissait à son père, sans se plaindre et sans oser lever les yeux sur lui. Ce fut pour elle une peine incroyable de reprendre l'habitude de l'indigence et du travail. Ses pieds amollis étaient blessés, ses mains délicates étaient meurtries; mais ce n'étaient là que des maux légers. Les peines du corps ne sont rien, disait-elle en gémissant; celles de l'âme sont bien plus cruelles !

Quoique Luzy lui fût présent sans cesse, et que son cœur ne pût s'en détacher, elle n'avait plus ni l'espoir ni la volonté de retourner à lui. Elle savait quelle amertume avait répandu son égarement sur la vie de son malheureux père; et quand elle aurait été libre de le quitter encore, elle n'y aurait pas consenti; mais l'image de la douleur où elle avait laissé son amant la poursuivait et faisait son supplice. Le droit qu'il avait de l'accuser de perfidie et d'ingratitude était pour elle un nouveau tourment. — Si du moins je pouvais lui écrire! mais on ne m'en laisse ni la liberté ni le moyen. C'est peu de l'abandonner; on veut que je l'oublie. Je m'oublierais plutôt moi-même ; et il m'est aussi impossible de le que de l'oublier. S'il fut coupable, son amour en est la cause; et ce n'est pas à moi de l'en punir. Dans tout ce qu'il a fait, il n'a vu que mon bonheur et celui de mon père. Il s'est trompé, il m'a égarée; mais à son âge on ne sait qu'aimer. Oui, je luż

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dois, je me dois à moi-même de l'éclairer sur ma conduite; et en cela seul mon père ne sera point obéi. La difficulté n'était plus qu'à se procurer les moyens de lui écrire; mais son père, sans y penser, lui en avait épargné le soin.

Un soir, Luzy se retirant plus affligé que jamais, reçoit un paquet anonyme. La main qui avait écrit l'adresse ne lui était pas connue; mais le timbre lui en dit assez. Il l'ouvre avec précipitation; il reconnaît la bourse qu'il avait donnée à Basile, avec les cinquante louis qu'il y avait laissés, et deux sommes pareilles qu'il lui avait fait tenir. Je vois tout, dit-il, j'ai été découvert. Le père indigné me renvoie mes dons : fier et sévère, comme je l'ai connu, dès qu'il a su où était sa fille, il sera venu la chercher; il l'aura forcée à le suivre. A l'instant même il assemble ceux des gens qui servaient Laurette. Il les interroge, il demande si quelqu'un d'eux n'a pas vu chez elle un paysan qu'il leur dépeint. L'un d'eux se souvient qu'en effet le jour même qu'elle s'en est allée, un homme tout semblable à celui qu'il désigne, est monté à la botte du carosse de Laurette, et lui a parlé un moment. Allons vite, s'écria Luzy, des chevaux de poste à ma chaise.

La seconde nuit, étant arrivé à quelques lieues de Coulange, il fait déguiser en paysan celui de ses gens qui l'avait suivi, l'envoie s'instruire, et en l'attendant tâche de prendre du repos. Il n'en est point pour l'âme d'un amant dans une situation si violente. Il compta les minutes depuis le départ de son émissaire jusqu'à son retour.

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Monsieur, lui dit ce domestique en arrivant, bonnes nouvelles! Laurette est à Coulange, auprès de son père. Ah! je respire. On parle même de la marier. De la marier!... Il faut que je la voie. Vous la trouverez dans sa vigne ; elle y travaille tout Juste ciel! quelle dureté! Allons, je me tiendrai caché; et toi, sous ce déguisement, tu guetteras le moment où elle sera seule. N'en perdons pas un ; mettons-nous en chemin.

le jour.

L'émissaire de Luzy lui avait dit vrai. Il se présentait pour Laurette un parti riche dans son état ; et le curé avait mandé Bazile pour le résoudre à l'accepter.

Cependant Laurette travaillait à la vigne et pensait au malheureux Luzy. Luzy arrive et l'aperçoit de loin. Il avance avec précaution. Il la voit seule; il accourt, se précipite et lui tend les bras. Au bruit qu'il fait à travers les pampres, elle lève la tête, elle tourne les yeux. Dieu! s'écria-t-elle.... La surprise et la joie lui ôtèrent l'usage de la voix. Tremblante, elle était dans ses bras sans avoir pu le nommer encore. Ah! Luzy, lui ditelle enfin, c'est vous! voilà ce que je demandais au ciel. Je suis innocente à vos yeux : c'en est assez; je souffrirai le reste. Adieu,

-

Luzy, adieu pour jamais. Eloignez-vous; plaignez Laurette; e ne vous reproche rien; vous lui serez cher jusqu'au dernier soupi Moi, s'écria-t-il en la serrant contre son sein comme si on e voulu la lui arracher encore, moi, te quitter! ô moitié de mo même, moi, vivre sans toi, loin de toi! Non, il n'y a pas sur terre de puissance qui nous sépare. Il en est une sacrée pou moi; c'est la volonté de mon père. Ah! mon ami! si vous avie su la douleur profonde où le plongeait ma fuite, sensible et bo comme vous l'êtes, vous m'auriez rendue à ses pleurs. Me dé rober à lui une seconde fois, ou lui enfoncer le couteau dans I sein, ce serait pour moi la même chose. Vous me connaissez trop bien pour me le demander; vous êtes trop humain pour le vouloir vous-même. Perdez un espoir que je n'ai plus. Adieu. Fasse le ciel que j'expie ma faute! Mais j'ai bien de la peine à me la reprocher. Adieu, vous dis-je : mon père va venir; il serait affreux qu'il nous trouvât ensemble. C'est ce que je veux, dit Luzy je l'attends. Ah! vous allez redoubler mes peines!

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Dans l'instant même Bazile arrive; et Luzy, s'avançant de quelques pas au-devant de lui, se jette à ses genoux. Qui êtesvous? que demandez-vous? lui dit Bazile, étonné d'abord. Mais dès qu'il eut fixé ses regards sur lui : Malheureux, s'écria-t-il en reculant, éloignez-vous, ôtez-vous de mes yeux. Non, je meurs à vos pieds, si vous ne daignez pas m'entendre.-Après avoir perdu, déshonore la fille, vous osez vous présenter au père! - Je suis criminel, je l'avoue; et voilà de quoi me punir; mais si vous m'écoutez, j'espère que vous aurez pitié de moi. Ah! dit Bazile en regardant l'épée, si j'étais aussi lâche, aussi cruel que vous !... Vois, dit-il à sa fille, combien le vice est bas, et quel en est la honte, puisqu'il oblige l'homme à ramper aux pieds de son semblable, et à supporter ses mépris. Si je n'étais que vicieux, reprit Luzy avec fierté, loin de vous implorer, je vous braverais. N'attribuez mon humiliation qu'à ce qu'il y a de plus honnête et de plus noble dans la nature, à l'amour même, au désir que j'ai d'expier une faute, excusable peut-être, et que je ne me reproche si cruellement que parce que j'ai le cœur bon. Alors, avec toute l'éloquence du sentiment, il s'efforça de se justifier, en attribuant tout à la fougue de l'âge et à l'ivresse de la passion.

Le monde est bien heureux, reprit Bazile, que votre passion n'ait pas été celle de l'argent! vous auriez été un Cartouche (Luzy frémit à ce discours). Oui, un Cartouche. Et pourquoi non? Auriez-vous la bassesse de croire que l'innocence et l'honneur valent moins que les richesses et que la vie? N'avez-vous pas profité de la faiblesse, de l'imbécillité de cette malheureuse, pour lui ravir ces deux trésors? Et à moi, son père, croyez-vous m'avoir

ait un moindre mal que de m'assassiner? Un Cartouche est roué, parce qu'il vole des biens dont on peut se passer pour vivre ; et vous, qui nous avez ravi ce qu'une fille bien née, ce qu'un père honnête homme ne peuvent perdre sans mourir, qu'avez-vous mérité? On Fous dit noble, et vous croyez l'être. Voici les traits de cette noblesse dont vous vous glorifiez. Dans un moment de désolation, où le plus méchant des hommes aurait eu pitié de moi, vous m'abordez, vous feignez de me plaindre; et vous dites dans votre coeur : Voilà un malheureux qui n'a dans le monde de consolation que sa fille ; c'est le seul bien que le ciel lui laisse ; demain je veux la lui enlever. Oui, barbare, oui, scélérat, voilà ce qui se passait dans votre âme. Et moi, crédule, je vous admirais, je vous comblais de bénédictions, je demandais au ciel qu'il accomplit tous vos vœux; et tous vos vœux tendaient à suborner ma fille. Que dis-je, malheureux ! Je vous la livrais, je l'engageais à courir après vous, à la vérité, pour vous rendre cet or, ce poison avec lequel vous croyiez me corrompre. Il semblait que le ciel m'avertit que c'était un don pernicieux et traître ; je résistai à ce mouvement, je m'obstinai à vous croire compatissant et généreux : vous n'étiez que perfide et impitoyable; et la main que j'aurais baisée, que j'aurais arrosée de larmes, se préparait à m'arracher le cœur. Voyez, poursuivit-il en découvrant son sein et en lui montrant ses cicatrices, voyez quel homme vous avez déshonoré. J'ai versé pour l'état plus de sang que vous n'en avez dans les veines; et vous, homme inutile, quels sont vos exploits? De désoler un père! de débaucher sa fille! d'empoisonner mes jours et les siens! La voilà, cette malheureuse victime de vos séductions, la voilà, qui trempe aujourd'hui dans ses pleurs le pain dont elle se nourrit. Elevée dans la simplicité d'une vie innocente et laborieuse, elle l'aimait; elle la déteste; vous lui avez rendu insupportables le travail et la pauvreté ; elle a perdu sa joie avec son innocence; et il ne lui est plus permis de lever les yeux sans rougir. Mais ce qui me désespère, ce que je ne vous pardonnerai jamais, vous m'avez fermé le cœur de ma fille; vous avez éteint dans son âme les sentimens de la nature; vous lui avez fait un supplice de la société de son père; peut-être, hélas!... je n'ose achever.... peut-être lui suis-je odieux.

Ah! mon père, s'écria Laurette, qui jusqu'alors était restée dans l'abattement et la confusion, ah! mon père, c'est trop me punir. Je mérite tout, excepté le reproche d'avoir cessé de vous aimer. En disant ces mots, elle était à ses pieds, dont elle baisait la poussière. Luzy s'y prosterna lui-même; et dans un excès d'attendrissement : Mon père, dit-il, pardonnez-lui, pardonnez-moi, embrassez vos enfans; et si le ravisseur de Laurelte

n'est pas trop indigne du nom de son époux, je vous conjure de me l'accorder.

Ce retour aurait attendri un cœur plus dur que celui de Bazile. S'il y avait, dit-il à Luzy, un autre moyen de me rendre l'honneur et de vous rendre à tous deux l'innocence, je refuserais celui-là; mais il est le seul je l'accepte, et bien plus pour vous que pour moi; car je ne veux, je n'attends rien de vous, et je mourrai en cultivant ma vigne.

L'amour de Luzy et de Laurette fut consacré au pied des autels. Bien des gens dirent qu'il avait fait une bassesse, et il en convint; mais ce n'est pas, dit-il, celle qu'on m'attribue. C'est à faire le mal qu'est la honte, et non pas à le réparer.

Il n'y eut pas moyen d'engager Bazile à quitter son humble demeure. Après avoir tout mis en usage pour l'attirer à Paris, madame de Luzy obtint de son époux qu'il achetàt une terre auprès de Coulange; et le bon père consentit enfin à y aller passer ses vieux ans.

Deux cœurs faits pour la vertu furent ravis de l'avoir retrouvée. Cette image des plaisirs célestes, l'accord de l'amour et de l'innocence ne leur laissa plus rien à désirer que de voir les fruits d'une union si douce. Le ciel exauça le vœu de la nature; et Bazile, avant de mourir, embrassa ses petits-enfans.

LE CONNAISSEUR.

CÉLICOUR, dès l'âge de quinze ans, avait été dans sa province ce qu'on appelle un petit prodige. Il faisait des vers les plus galans du monde; il n'y avait pas dans le voisinage une jolie femme qu'il n'eût célébrée, et qui ne trouvât que ses yeux avaient encore plus d'esprit que ses vers. C'était dommage de laisser tant de talens enfouis dans une petite ville. Paris devait en être le théâtre; et l'on fit si bien, que son père se résolut à l'y envoyer. Ce père était un honnête homme, qui aimait l'esprit sans en avoir, et qui admirait, sans savoir pourquoi, tout ce qui venait de la capitale; il y avait même des relations littéraires; et du nombre de ses correspondans était un Connaisseur appelé M. de Fintac. Ce fut particulièrement à lui que Célicour fut recommandé.

Fintac reçut le fils de son ami avec cette bonté qui protège. Monsieur, lui dit-il, j'ai entendu parler de vous; je sais que vous avez eu des succès en province; mais en province, croyez-moi, les arts et les lettres sont encore au berceau. Sans le goût, l'esprit et le génie ne produisent rien que d'informe, et il n'y a du goût

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