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Lucie, à qui nous devons ce retour? à la plus belle, à la plus vertueuse personne qui respire, à la fille unique d'Alcimon, ma camarade et mon amie. Alors elle lui raconta tout ce qui s'était passé. Tu m'attendris, dit le bon homme : je veux connaître cette fille charmante. Angélique vint, et reçut les éloges de Timante avec une modestie qui relevait encore sa beauté. Monsieur, lui dit-elle, je dépends d'un père; mais il est vrai que s'il a la bonté de me laisser disposer de moi, et que vous soyez content de votre fils, je ferai gloire de devenir votre fille. Mon amitié pour Lucie m'en a inspiré le premier désir, mon respect pour vous y ajoute encore; vos malheurs mêmes n'ont fait que m'intéresser davantage à tout ce qui peut vous en dédommager; et si la conduite de votre fils est telle que vous le souhaitez et que je le désire, qu'il soit riche ou qu'il ne le soit pas, l'usage le plus honorable et le plus doux que je puisse faire de ma fortune, c'est de la partager lui. Peu s'en fallut qu'à ce discours le bon homme ne laissât échapper son secret; mais il eut la prudence de se retenir. Je ne croyais pas, lui dit-il, mademoiselle, qu'on pût augmenter, dans l'âme d'un père, le désir de voir dans son fils un homme sage et vertueux; mais vous ajoutez un nouvel intérêt à celui de l'amour paternel. Je ne sais ce que le ciel ordonnera de nous; mais, dans toutes les situations de la vie et jusqu'à mon dernier soupir, soyez bien sûre de ma reconnaissance.

avec

Que tu ne m'aies pas confié, dit-il à son fils en le revoyant, les folies de ta jeunesse, j'en suis peu surpris, et je te le pardonne ; mais pourquoi me cacher un penchant vertueux? pourquoi ne pas avouer à ton père l'amour que tu avais pour Angélique, la fille de mon ancien ami? Hélas, dit le jeune homme, n'avezvous pas assez de vos malheurs, sans vous affliger de mes peines? Et qui vous a révélé mon secret ? Ta sœur, Angélique ellemême : j'en suis e: chanté, j'en suis amoureux, et je veux qu'elle soit ma fille. Ah! je le veux bien aussi; mais combien sa fortune est au-dessus de la mienne! Avec le temps, tu peux en

Je ne vois

approcher. Vois assidûment cette fille aimable. qu'elle, et je n'ai plus d'autre ambition dans le monde que d'être digne d'elle et de vous.

Timante goûtait une satisfaction inexprimable à voir tous les jours le succès de l'épreuve où il l'avait mis. Il eut la constance de le laisser, pendant cinq ans, s'appliquer sans relâche à rétablir sa fortune, détaché du monde, et partageant sa vie entre son cabinet et le parloir d'Angélique. Enfin, voyant l'habitude bien prise, et tous les anciens germes du vice étouffés, il alla voir Alcimon. Mon ancien ami, lui dit-il, vous avez, je le sais, une fille charmante; je viens vous proposer pour elle un parti con

venable du côté de l'état, et avantageux du côté de la fortune. Je vous suis obligé, dit Alcimon; mais je vous préviens que je veux un homme du même état que moi et qui s'honore de m'appeler son père ; je n'ai pas travaillé toute ma vie pour donner à ma fille un époux qui rougisse de moi. Précisément, reprit Timante, celui que je propose est ce qui vous convient. Il est riche, il est honnête, il vous respectera toujours. —Quel est-il ?— Je ne puis vous le dire que chez moi, où je vous invite à venir renouveler, le verre à la main, une amitié de quarante ans. Faites-moi la grace d'y amener Angélique. Ma fille, qui est sa camarade de couvent, aura l'honneur de l'accompagner. Vous verrez l'un et l'autre le jeune homme qui la demande; et, pour vous mettre plus à votre aise, il ne saura pas lui-même que je vous ai parlé de lui. Le jour pris, Alcimon et Timante vont chercher Angélique et Lucie. On arrive, on va se mettre à table, on fait avertir le fils de la maison, qui, occupé dans son cabinet, ne s'attendait à rien moins qu'au bonheur qu'on lui préparait. Il entre; quelle est sa surprise! Angélique chez lui! Angélique avec son père! Que croire, qu'espérer de ce rendez-vous imprévu ? pourquoi lui en a-t-on fait un mystère ? Tout semble lui annoncer son bonheur; mais son bonheur n'est pas vraisemblable. Dans cette confusion de pensées, il perdit l'usage de ses sens. Un étourdissement soudain répandit sur ses yeux un nuage; il voulut parler, la voix lui manqua; et une inclination profonde exprima seule au père et à la fille combien il était pénétré de l'honneur que son père et lui recevaient. Sa sœur, qui vint se jeter dans ses bras, lui donna le temps de revenir de son trouble. Jamais embrassement ne fut si tendre: il croyait tenir dans son sein Angélique avec Lucie, et il ne pouvait s'en détacher.

A table, Timante fut d'une joie dont tout le monde était surpris. Alcimon, préoccupé de la demande qu'il lui avait faite, et impatient de voir arriver le jeune homme qu'il lui proposait, ne laissa pas de se livrer au plaisir de se retrouver avec son ami; il eut même la bonté de causer avec le jeune Timante. Je vois, lui dit-il, que vous faites la consolation de votre père. On parle de votre application au travail et de vos talens avec éloge; et tel est l'avantage de votre état, qu'un habile et honnête homme ne peut manquer d'y réussir. Ah! mon ami, reprit le vieux Timante, il faut bien du temps pour y faire sa fortune, et bien peu pour la ruiner! Quel dommage de n'avoir plus la mienne à vous offrir! Au lieu de vous proposer un étranger pour époux de cette aimable fille, j'aurais sollicité ce bonheur pour mon fils. Je l'aurais préféré à tout autre, dit Alcimon. - En vérité ? — Rien n'est plus sincère; mais vous savez que quand on

s'expose à avoir une nombreuse famille, il faut avoir de quoi la soutenir. S'il ne tient qu'à cela, dit Timante, la chose n'est pas désespérée, et il y a moyen de nous accorder. En disant ces mots il se leva de table; et revenant l'instant d'après : Tenez, dit-il voilà mon portefeuille; il est encore assez bien garni. Et voyant la surprise d'Alcimon: Apprenez, ajouta-t-il, que ma ruine est une fable. Ce jeune homme avait été gâté par l'idée qu'il était né riche; pour le corriger, je n'ai su autre chose que de faire croire que j'avais tout perdu. Cette feinte m'a réussi : le voilà dans le bon chemin ; je suis même sûr qu'il n'a pas envie de retomber dans les erreurs de sa jeunesse ; il est temps de se fier à lui. Oui, mon fils, j'ai le bien que j'avais, augmenté de cinq ans d'épargnes, et du fruit de votre travail. C'est donc pour lui, dit-il à son ami, que je vous demande Angélique; et s'il fallait quelque nouveau motif pour vous engager à me l'accorder, je vous avouerai qu'il l'a vue au couvent, qu'il a conçu pour elle l'amour le plus tendre, et que cet amour plus fait que le malheur même, pour l'attacher à ses devoirs. Tant que Timante n'avait fait que sonder les dispositions du père d'Angélique, elle, son amie et son amant, n'avaient éprouvé que l'émotion et le trouble de l'espérance et de la crainte; mais à la vue du portefeuille, à la nouvelle que la ruine de Timante était une feinte, à la demande qu'il fit lui-même de la main d'Angélique pour son fils, Lucie, égarée et hors d'elle-même, vola dans les bras de son père; le jeune Timante, encore plus éperdu, tomba aux genoux d'Alcimon; et Angélique, la pâleur sur le visage, n'eut pas la force de lever les yeux. Alcimon releva le jeune homme en l'embrassant; et se tournant vers le vieux Timante Mon ami, lui dit-il, quand on voudra ménager des surprises agréables, c'est de vous qu'il faut prendre leçon. Allons, vous êtes un bon père, et votre fils mérite d'être heureux.

ANNETTE ET LUBIN,

HISTOIRE VÉRITABLE.

S'IL est dangereux de tout dire aux enfans, il est plus dangereux encore de leur laisser tout ignorer. Il y a des fautes graves selon les lois, qui ne sont point telles aux yeux de la nature; et l'on va voir dans quel abime celle-ci conduit l'innocence, qui a le bandeau sur les yeux.

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Annette et Lubin étaient enfans de deux sœurs. Ces liens étroits du sang devaient être incompatibles avec ceux du mariage; mais Annette et Lubin ne se doutaient pas qu'il y eût au monde d'autres lois que les lois simples de la nature. Depuis l'âge de huit ans, ils gardaient les moutons ensemble sur les bords rians de la Seine. Ils touchaient à leur seizième année; mais leur jeunesse ne différait guère de l'enfance que par un sentiment plus vif de leur mutuelle amitié.

Annette, sous un simple bavolet, relevait négligemment sa chevelure d'un noir d'ébène. Deux grands yeux bleus pétillaient à travers ses longues paupières, et disaient très-innocemment tout ce que tâchent d'exprimer les yeux éteints de nos froides coquettes. Ses lèvres de rose appelaient le baiser. Son teint, bruni par le soleil, était animé de cette légère nuance de pourpre qui colore le duvet de la pêche. Tout ce que les voiles de la pudeur dérobaient aux rayons du jour effaçait la blancheur des lis; on croyait voir la tête d'une brune piquante sur les épaules d'une belle blonde.

Lubin avait cet air décidé, ouvert et joyeux, qui annonce un cœur libre et content. Son regard était celui du désir; son rire, celui de la joie. En éclatant, il laissait voir des dents plus blanches que l'ivoire. La fraîcheur de ses joues arrondies invitait la main à les flatter. Ajoutez à cela un nez en l'air, une fossette au menton, des cheveux blonds argentins, bouclés des mains de la nature, une taille leste, une démarche délibérée, l'ingénuité de l'âge d'or qui ne doute et ne rougit de rien. C'est le portrait du cousin d'Annette.

La philosophie rapproche l'homme de la nature; et c'est pour cela que l'instinct lui ressemble quelquefois. Je ne serais donc pas surpris que l'on trouvât mes bergers un peu philosophes; mais j'avertis que c'est sans le savoir.

Comme ils allaient souvent, l'un et l'autre, vendre des fruits et du lait à la ville, et qu'on se plaisait à les voir, ils avaient occasion d'observer ce qui se passait dans le monde, et se rendaient compte l'un à l'autre de leurs petites réflexions. Ils comparaient leur sort à celui des citoyens les plus opulens, et se trouvaient plus heureux et plus sages. Les insensés, disait Lubin, pendant les plus beaux jours de l'année ils s'enferment dans des carrières ! N'estil pas vrai, Annette, que notre cabane est préférable à ces prisons magnifiques qu'ils appellent des palais? Quand ce feuillage qui nous couvre est brûlé par le soleil, je vais dans la forêt voisine, et je te fais, dans moins d'une heure, une nouvelle maison plus riante que la première. L'air et la lumière sont à nous. Une branche de moins nous donne la fraîcheur du levant ou du nord;

une branche de plus nous garantit des ardeurs du midi et des pluies du couchant. Cela n'est pas bien cher, Annette ?

on y

Non, vraiment, disait-elle; et je ne sais pas pourquoi, dans la belle saison, ils ne viennent pas tous, deux à deux, habiter une jolie cabane. As-tu vu, Lubin, ces tapis dont ils sont si glorieux ? Quelle comparaison avec nos lits de verdure! comme dort! comme on s'y réveille! - Et toi, Annette, as-tu remarqué quel soin ils prennent pour donner un air de campagne aux murailles qui les enferment? Ces paysages qu'ils tâchent d'imiter, la nature les a faits pour nous; c'est pour nous que le soleil les éclaire; c'est pour nous que les saisons se plaisent à les varier. Tu as bien raison, disait Annette. Je portai l'autre jour des fraises à une dame de qualité; on lui faisait de la musique. Ah! Lubin, quel bruit terrible! Je disais en moi-même : Que ne vient-elle quelque matin entendre nos rossignols? La malheureuse femme était couchée sur des coussins; elle baillait à faire pitié. Je demandai qu'avait madame : on ne répondit qu'elle avait des vapeurs. Sais-tu, Lubin, ce que c'est que des vapeurs ? -Hélas! non: mais je me doute que c'est quelqu'une de ces maladies que l'on gagne à la ville, et qui ôtent l'usage des jambes aux personnes de qualité. Cela est bien triste, n'est-ce pas, Annette? et si l'on t'empêchait de courir sur le gazon, tu serais, je crois, bien fâchée!-Oh! très-fàchée, car j'aime à courir, surtout, Lubin, quand je cours après toi.

Telle était à peu près la philosophie de Lubin et d'Annette. Exempts d'envie et d'ambition, leur état n'avait pour eux rien d'humiliant, rien de pénible. Ils passaient les belles saisons dans cette cabane verdoyante, chef-d'œuvre de l'art de Lubin. Le soir, il fallait ramener les troupeaux au village; mais la fatigue et les plaisirs du jour leur préparaient un repos tranquille. L'aurore les rappelait dans les champs, plus empressés de se revoir. Le sommeil n'eflaçait de leur vie que les momens de l'absence; il les dérobait à l'ennui. Cependant un bonheur si pur ne fut pas inaltérable : la taille légère d'Annette s'arrondissait insensiblement; elle n'en savait pas la cause; Lubin lui-même ne s'en doutait pas.

Le bailli du village fut le premier qui s'en aperçut. Dieu vous garde! Annette, lui dit-il un jour. Vous me semblez bien rondelette! Il est vrai, dit-elle en faisant la révérence. Mais, Annette, quel accident est-il donc arrivé à ce joli corsage? auriez-vous eu quelque amoureux? - Quelque amoureux? non pas que je sache. Ah! ma fille, rien n'est plus certain; vous avez écouté quelqu'un de nos jeunes garçons. - Vraiment oui, je les écoute; est-ce que cela gâte la taille? - Non pas cela:

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