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laïde, dans quel état vous l'avez mis. Madame de Fonrose, qu était auprès d'Adélaïde, la pressait dans ses bras en la baignant de ses larmes. Eh quoi ! ma fille, lui disait-elle, nous ferezvous pleurer une seconde fois la mort de notre cher enfant? Le vieillard et sa femme, les yeux remplis de pleurs, et attachés sur Adélaïde, attendaient qu'elle prît la parole. Le ciel m'est témoin, dit Adélaïde en se levant, que je donnerais ma vie pour reconnaître tant de bontés. Ce serait mettre le comble à mes malheurs que d'avoir à me reprocher le vôtre; mais je veux que Fonrose lui-même soit mon juge; laissez-moi de grâce lui parler un moment. Alors, se retirant seule avec lui: Ecoutez, lui ditelle, Fonrose; vous savez quels liens sacrés me retiennent dans ces lieux; si je pouvais cesser de chérir et de pleurer un époux qui ne m'a que trop aimée, je serais la plus méprisable des femmes. L'estime, l'amitié, la reconnaissance sont des sentimens que je vous dois; mais rien de tout cela ne tient lieu d'amour; plus vous en avez conçu pour moi, plus vous avez droit d'en attendre ; c'est l'impossibilité de remplir ce devoir qui m'empêche de me l'imposer. Cependant je vous vois dans une situation qui attendrirait le cœur le moins sensible; il m'est affreux d'en être la cause; il me serait plus affreux d'entendre vos parens m'accuser de vous avoir perdu. Je veux donc bien m'oublier dans ce moment, et vous laisser, autant qu'il est en moi, l'arbitre de notre destinée. C'est à vous de choisir celle des deux situations qui vous paraît la moins pénible ou de renoncer à moi, de vous vaincre, et de m'oublier; ou de posséder une femme qui, le cœur plein d'un autre objet, ne pourrait vous accorder que des sentimens trop faibles pour remplir les vœux d'un amant. C'en est assez, s'écria Fonrose; et d'une âme comme la vôtre, l'amitié doit tenir lieu d'amour. Je serai jaloux sans doute des pleurs que vous donnerez à la mémoire d'un autre époux; mais la cause de cette jalousie, en vous rendant plus respectable, vous rendra plus chère à mes yeux.

Elle est à moi, dit-il en venant se jeter dans les bras de ses parens; c'est à son respect pour vous, à vos bontés que je la dois ;

et c'est vous devoir une seconde vie. Dès ce moment leurs bras furent des chaînes dont Adélaïde ne put se dégager.

Ne céda-t-elle qu'à la pitié, à la reconnaissance? Je veux le croire pour l'admirer encore; Adélaïde le croyait elle-même. Quoi qu'il en soit, avant de partir, elle voulut revoir ce tombeau qu'elle ne quittait qu'à regret. O mon cher d'Orestan, dit-elle, si du sein des morts tu peux lire au fond de mon âme, ton ombre n'a point à murmurer du sacrifice que je fais; je le dois aux sentimens généreux de cette vertueuse famille; mais mon cœur te

reste à jamais. Je vais tâcher de faire des heureux, sans aucun espoir d'être heureuse. On ne l'arracha de ce lieu qu'avec une espèce de violence; mais elle exigea qu'on y élevât un monument à la mémoire de son époux, et que la cabane de ses vieux maîtres, qui la suivirent à Turin, fût changée en une maison de campagne, aussi simple que solitaire, où elle se proposait de venir quelquefois pleurer les égaremens et les malheurs de sa jeunesse. Le temps, les soins assidus de Fonrose, les fruits de son second hymen, ont depuis ouvert son âme aux impressions d'une nouvelle tendresse; et on la cite pour exemple d'une femme intéressante, et respectable jusque dans son infidélité.

LA MAUVAISE MÈRE.

PARMI les productions monstrueuses de la nature, on peut compter le cœur d'une mère qui aime l'un de ses enfans à l'exclusion de tous les autres. Je ne parle point d'une tendresse éclairée, qui distingue entre ces jeunes plantes qu'elle cultive celle qui répond le mieux à ses premiers soins; je parle d'une tendresse aveugle, souvent exclusive, quelquefois jalouse, qui se choisit une idole et des victimes parmi ces petits innocens qu'on a mis au monde, et pour qui l'on est également obligé d'adoucir le fardeau de la vie. C'est de cet égarement, si commun et si honteux pour l'humanité, que je vais donner un exemple.

Dans l'une de nos provinces maritimes, un intendant qui s'était rendu recommandable par sa sévérité à réprimer les vexations de toute espèce, ayant pour principe d'appliquer la faveur au faible, et la rigueur au fort; cet homme de bien, appelé M. de Carandon, mourut pauvre et presque insolvable. Il avait laissé une fille que personne n'épousait, parce qu'elle avait beaucoup d'orgueil, peu d'agrémens, et point de fortune. Un riche et honnête négociant la rechercha, par considération pour la mémoire de son père. Il nous a fait tant de bien! disait le bon homme Corée (c'était le nom du négociant), il est bien juste que quelqu'un de nous le rende à sa fille. Corée se proposa donc humblement; et mademoiselle de Carandon, avec beaucoup de répugnance, consentit à lui donner la main; bien entendu qu'elle aurait dans sa maison une autorité absolue. Le respect du bon homme pour la mémoire du père s'étendait jusque sur la fille : il la consultait comme son oracle; et si quelquefois il lui arrivait d'avoir un avis différent du sien, elle

n'avait qu'à proférer ces paroles imposantes : Feu M. de Carandon mon père.... Corée n'attendait pas qu'elle achevât pour avouer qu'il avait tort.

Il mourut assez jeune, et lui laissa deux enfans, dont elle avait bien voulu lui permettre d'être le père. En mourant, il croyait devoir régler le partage de ses biens; mais M. de Carandon avait pour maxime, lui dit-elle, qu'afin de retenir les enfans sous la dépendance d'une mère, il fallait la rendre dispensatrice des biens qui leur étaient destinés. Cette loi fut la règle du testament de Corée, et son héritage fut mis en dépôt dans les mains de sa femme, avec le droit fatal de le distribuer à ses enfans comme bon lui semblerait. De ces deux enfans, l'aîné faisait ses délices; non qu'il fût plus beau, plus heureusement né que le cadet, mais elle avait couru le danger de la vie en le mettant au monde; il lui avait fait éprouver, le premier, les douleurs et la joie de l'enfantement; il s'était emparé de sa tendresse, qu'il semblait avoir épuisée; elle avait enfin, pour l'aimer uniquement, toutes les mauvaises raisons que peut avoir une mauvaise mère.

Le petit Jacquaut était l'enfant de rebut : sa mère ne daignait presque pas le voir, et ne lui parlait que pour le gronder. Cet enfant intimidé n'osait lever les yeux devant elle, et ne lui répondait qu'en tremblant. Il avait, disait-elle, le naturel de son père, une âme du peuple, et ce qu'on appelle l'air de ces gens-là.

Pour l'aîné, qu'on avait pris soin de rendre aussi volontaire, aussi mutin, aussi capricieux qu'il était possible, c'était la gentillesse même : son indocilité s'appelait hauteur de caractère; son humeur, excès de sensibilité. On s'applaudissait de voir qu'il ne cédait jamais quand il avait raison; or il faut savoir qu'il n'avait jamais tort. On ne cessait de dire qu'il sentait son bien, et qu'il avait l'honneur de ressembler à madame sa mère. Cet aîné, appelé M. de l'Etang ( car on ne crut pas qu'il fût convenable de lui laisser le nom de Corée), cet aîné, dis-je, eut des maîtres de toute espèce les leçons étaient pour lui seul, et le petit Jacquaut en recueillait le fruit; de manière qu'au bout de quelques années, Jacquaut savait tout ce qu'on avait enseigné à M. de l'Etang, qui en revanche ne savait rien.

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Les bonnes, qui sont dans l'usage d'attribuer aux enfans tout le peu d'esprit qu'elles ont, et qui rêvent tout le matin aux gentillesses qu'ils doivent dire dans la journée, les bonnes avaient fait croire à madame, dont elles connaissaient le faible, que son ainé était un prodige. Les maîtres, moins complaisans ou plus maladroits, en se plaignant de l'indocilité, de l'inattention de cet enfant chéri, ne tarissaient point sur les louanges de Jacquaut. Ils ne disaient pas précisément que M. de l'Etang fût un sot,

mais ils disaient que le petit Jacquaut avait de l'esprit comme u ange. La vanité de la mère en fut blessée; et, par une injustice qu'on ne croirait pas être dans la nature si ce vice des mères était moins à la mode, elle redoubla d'aversion pour ce peti malheureux, devint jalouse de ses progrès, et résolut d'ôter a son enfant gâté l'humiliation du parallèle.

Une aventure bien touchante réveilla cependant en elle les sentimens de la nature; mais ce retour sur elle-même l'humilia sans la coriger. Jacquaut avait dix ans, de l'Etang en avait près de quinze, lorsqu'elle tomba sérieusement malade. L'aîné s'occupait de ses plaisirs, et fort peu de la santé de sa mère : c'est la punition des mères folles, d'aimer des enfans dénaturés. Cependant on commençait à s'inquiéter; Jacquaut s'en aperçut; et voilà son petit cœur saisi de douleur et de crainte; l'impatience de voir sa mère ne lui permet plus de se cacher. On l'avait accoutumé à ne paraître que lorsqu'il était appelé; mais enfin sa tendresse lui donna du courage. Il saisit l'instant où la porte de la chambre est entr'ouverte; il entre sans bruit et à pas tremblans; il s'approche du lit de sa mère. Est-ce vous mon fils? demandat-elle. Non, ma mère, c'est Jacquaut. Cette réponse naïve et accablante pénétra de honte et de douleur l'âme de cette femme injuste; mais quelques caresses de son mauvais fils lui rendirent bientôt tout son ascendant, et Jacquaut n'en fut dans la suite ni mieux aimé, ni moins digne de l'être.

A peine madame Corée fut-elle rétablie, qu'elle reprit le dessein de l'éloigner de la maison: son prétexte fut que de l'Etang, naturellement vif, était trop susceptible de dissipation pour avoir un compagnon d'étude, et que les impertinentes prédilections des maîtres pour l'enfant qui était le plus humble ou le plus caressant avec eux, pouvaient fort bien décourager celui dont le caractère, plus haut et moins flexible, exigeait plus de ménagement. Elle voulut donc que de l'Etang fût l'unique objet de leurs soins, et se défit du malheureux Jacquaut, en l'exilant dans un collége.

A seize ans, l'Etang quitta ses maîtres de mathématiques, de physique, de musique, etc., comme il les avait pris; il commença ses exercices, qu'il fit à peu près comme ses études; et à vingt ans, il parut dans le monde avec la suffisance d'un sot, qui a entendu parler de tout, et qui n'a réfléchi sur rien.

De son côté, Jacquaut avait fini ses humanités; et sa mère était ennuyée des éloges qu'on lui donnait. Eh bien! dit-elle, puisqu'il est si sage, il réussira dans l'église; il n'a qu'à prendre ce parti.

Par malheur, Jacquaut n'avait aucune inclination pour l'état ecclésiastique; il vint supplier sa mère de l'en dispenser. Vous

croyez donc, lui dit-elle avec une hauteur froide et sévère, que j'ai de quoi vous soutenir dans le monde? Je vous déclare qu'il n'en est rien. La fortune de votre père n'était pas aussi considérable qu'on l'imagine; à peine suffira-t-elle à l'établissement de votre aîné. Pour vous, monsieur, vous n'avez qu'à voir si vous voulez courir la carrière des bénéfices, ou celle des armes; vous faire tonsurer, ou casser la tête; accepter, en un mot, un petit collet, ou une lieutenance d'infanterie; c'est tout ce que je puis faire pour vous. Jacquaut lui répondit avec respect, qu'il y avait des partis moins violens à prendre pour le fils d'un négociant. A ces mots, mademoiselle de Carandon faillit à mourir de douleur d'avoir mis au monde un fils si peu digne d'elle, et lui défendit de paraître à ses yeux. Le jeune Corée, désolé d'avoir encouru l'indignation de sa mère, se retira en soupirant, et résolut de tenter si la fortune lui serait moins cruelle que la nature. Il apprit qu'un vaisseau était sur le point de faire voile pour les Antilles, où il avait dessein de se rendre. Il écrivit à sa mère pour lui demander son aveu, sa bénédiction et une pacotille. Les deux premiers articles lui furent amplement accordés, mais le dernier avec économie. Sa mère, trop heureuse d'en être délivrée, voulut le voir avant son départ, et en l'embrassant lui donna quelques larmes. Son frère eut aussi la bonté de lui souhaiter un heureux voyage. C'étaient les premières caresses qu'il avait reçues de ses parens; son cœur sensible en fut pénétré; cependant il n'osa leur demander de lui écrire. Mais il avait un camarade de collége dont il était tendrement aimé; il le conjura, en partant, de lui donner quelquefois des nouvelles de sa mère.

Celle-ci ne fut plus occupée que du soin d'établir son enfant chéri. Il se déclara pour la robe: on lui obtint des dispenses d'études; et bientôt il fut admis dans le sanctuaire des lois. Il ne fallait plus qu'un mariage avantageux. On proposa une riche héritière ; mais on exigea de la veuve la donation de ses biens. Elle eut la faiblesse d'y consentir, en se réservant à peine de quoi vivre décemment, bien assurée que la fortune de son fils serait toujours en sa disposition.

A l'âge de vingt-cinq ans, M. de l'Étang se trouva donc un petit conseiller tout rond, négligeant sa femme autant que sa mère, ayant grand soin de sa personne, et fort peu de souci des affaires du palais. Comme il était du bon air qu'un mari eût quelqu'un qui ne fût pas sa femme, l'Étang crut se devoir à lui-même de s'afficher pour homme à bonnes fortunes. Une jeune personne qu'il lorgna au spectacle, répondit à ses agaceries, le reçut chez elle avec beaucoup de politesse, l'assura qu'il était charmant, ce qu'il n'eut pas de peine à croire, et dans peu de temps le débar

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