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Que vous dirai-je, madame? il fallut m'y résoudre. Je pris ce voile, ce bandeau; j'entrai dans la voie de la pénitence; et pendant ce temps d'épreuve où l'on est libre encore, je me flattai de me vaincre moi-même, et je n'attribuai mon irrésolution et ma faiblesse qu'à la funeste liberté de pouvoir revenir sur mes pas. Il me tardait de me lier par un serment irrévocable. Je le fis, ce serment; je renonçai au monde : c'était peu de chose. Mais, hélas! je renonçai à mon amant; et c'était plus pour moi que de renoncer à la vie. En prononçant ces vœux, mon âme, errante sur mes lèvres, semblait prête à m'abandonner. A peine avais-je eu la force de me traîner au pied des autels; mais il fallut qu'on m'en retirât expirante. Ma mère vint à moi, transportée d'une joie cruelle. Pardonnez-moi, mon Dieu! je la respecte, je l'aime encore, je l'aimerai jusqu'au dernier soupir. Ces paroles de Lucile furent coupées par ses sanglots, et deux ruisseaux de larmes inondèrent son visage.

Le sacrifice était consommé, reprit-elle après un long silence: j'étais à Dieu, je n'étais plus à moi-même. Tous les liens des sens devaient être rompus. Je venais de mourir pour la terre; j'osais le croire ainsi. Mais quelle fut ma frayeur en rentrant dans l'abîme de mon âme! j'y retrouvai l'amour, mais l'amour furieux et coupable, l'amour honteux et désespéré, l'amour révolté contre le ciel, contre la nature, contre moi-même, consumé de regrets, déchiré de remords, et transformé en rage. Qu'ai-je fait! m'écriai-je mille fois, qu'ai-je fait! Ce mortel adoré, que je ne devais plus voir, s'offrit à ma pensée avec tous ses charmes. Le nœud fortuné qui devait nous unir, tous les instans d'une vie délicieuse, tous les mouvemens de deux cœurs que le trépas seul eût séparés, se présentèrent à mon âme éperdue. Ah! madame, quelle image désolante! Il n'est rien que je n'aie fait pour l'effacer de mon souvenir. Depuis cinq ans je l'écarte et la revois sans cesse; en vain je m'arrache au sommeil qui me la retrace, en vain je me dérobe à la solitude où elle m'attend; je la retrouve au pied des autels, je la porte au sein de Dieu même. Cependant ce Dieu plein de clémence a pris enfin pitié de moi. Le temps, la raison, la pénitence ont affaibli les premiers accès de cette passion criminelle; mais une langueur douloureuse a pris la place. Je me sens mourir à chaque instant; et le plaisir d'approcher du tombeau est le seul que je goûte encore.

O ma chère Lucile! s'écria madame de Clarence après l'avoir entendue, qui de nous est la plus à plaindre? L'amour a fait vos malheurs et les miens; mais vous avez aimé le plus tendre, le plus fidèle, le plus reconnaissant des hommes; et moi, le plus perfide, le plus ingrat, le plus cruel qui fût jamais : vous vous êtes donnée

au ciel; je me suis livrée à un lâche: votre retraite a été un triomphe; la mienne est un opprobre: on vous pleure, on vous aime, on vous respecte; on m'outrage, et on me trahit.

De tous les amans, le plus passionné avant l'hymen ce fut le marquis de Clarence. Jeune, aimable, séduisant à l'excès, il annonçait le naturel le plus heureux. Il promettait toutes les vertus, comme il avait toutes les grâces. La docile facilité de son caractere recevait si vivement l'impression des sentimens honnêtes, qu'ils semblaient devoir ne s'en effacer jamais. Il lui fut, hélas! trop aisé de m'inspirer l'amour qu'il avait lui-même, ou qu'il croyait avoir pour moi. Toutes les convenances qui font les grands mariages s'accordaient avec ce penchant mutuel; et mes parens, qui l'avaient vu naître, consentirent à le couronner. Deux ans se passèrent dans l'union la plus tendre. O Paris! ô théâtre des vices! ò funeste écueil de l'amour, de l'innocence et de la vertu! Mon mari, qui jusqu'alors n'avait vu ceux de son âge qu'en passant, et pour s'amuser, disait-il, de leurs travers et de leurs ridicules, respira insensiblement le poison de leur exemple. L'appareil bruyant de leurs rendez-vous insipides, les confidences mystérieuses de leurs aventures, les récits fastueux de leurs vains plaisirs, les éloges prodigués à leurs indignes conquêtes, excitèrent d'abord sa curiosité. La douceur d'une union innocente et paisible n'eut plus pour lui les mêmes charmes. Je n'avais que les talens que donne une éducation vertueuse; je m'aperçus qu'il m'en désirait davantage. Je suis perdue, dis-je en moi-même: mon cœur ne suffit plus au sien. En effet, son assiduité ne fut dès-lors qu'une bienséance : ce n'était plus par goût qu'il préférait ces doux entretiens, ces tête-à-tête délicieux pour moi, au flux et reflux d'une société tumultueuse. Il m'invita lui-même à me dissiper pour l'autoriser à se répandre. Je devins plus pressante; je le gênais. Je pris le parti de le laisser en liberté, afin qu'il pût me souhaiter et me revoir avec plaisir, après une comparaison que je croyais devoir être à mon avantage. Mais de jeunes corrupteurs se saisirent de cette âme, par malheur trop flexible; et dès qu'il eut trempé ses lèvres dans la coupe empoisonnée, son ivresse fut sans remède, et son égarement sans retour. Je voulus le ramener : il n'était plus temps, Vous vous perdez, mon ami, lui dis-je; et, quoiqu'il me soit affreux de me voir enlever un époux, qui faisait mes délices, c'est plus pour vous que pour moi-même que je déplore votre erreur. Vous cherchez le bonheur où certainement il n'est pas de faux biens, de honteux plaisirs ne rempliront jamais votre âme. L'art de séduire et de tromper est l'art de ce monde qui vous enchante; votre épouse ne le connaît point, vous ne le connaissez pas mieux qu'elle. Ce manége infâme n'est pas fait pour

nos cœurs; le vôtre se laisse égarer dans son ivresse; mais son ivresse n'aura qu'un temps; l'illusion se dissipera comme les vapeurs du sommeil; vous reviendrez à moi; vous me retrouverez la même. L'amour indulgent et fidèle vous attend au retour; tout sera oublié ; vous n'aurez à craindre de moi ni reproche, ni plainte. Heureuse si je vous console de tous les chagrins que vous m'aurez causés! Mais vous, qui connaissez le prix de la vertu, et qui en avez goûté les charmes; vous, que le vice aura précipité d'abîme en abîme; vous, qu'il renverra, peut-être avec mépris, cacher auprès de votre épouse les jours languissans d'une vieillesse prématurée, le cœur flétri par la tristesse, l'âme en proie aux cruels remords, comment vous réconcilierez-vous avec vous-même ? comment pourrez-vous goûter encore le plaisir pur d'être aimé de moi? Hélas! mon amour même sera votre supplice. Plus cet amour sera vif et tendre, plus il sera humiliant pour vous. C'est là, mon cher marquis, c'est là ce qui me désole et m'accable. Cessez de m'aimer, j'y consens; je vous le pardonne, puisque j'ai cessé de vous plaire; mais ne vous rendez jamais indigne de ma tendresse, et soyez du moins tel que vous n'ayez point à rougir à mes yeux. Le croiriez-vous, ma chère Lucile? une plaisanterie fut sa réponse. Il me dit que je parlais comme un ange, et que cela méritait d'être écrit; mais voyant mes yeux se remplir de larmes: Ne fais donc pas l'enfant, me dit-il; je t'aime, tu le sais : laisse-moi m'amuser de tout, et sois sûre que rien ne m'attache.

Cependant d'officieux amis ne manquèrent pas de m'instruire de tout ce qui pouvait me désoler et me confondre. Hélas! mon époux lui-même se lassa bientôt de se contraindre et de me flatter.

Je ne vous dirai point, ma chère Lucile, tout ce que j'ai souffert d'humiliations et de dégoûts; vos peines, auprès des miennes, vous sembleraient encore légères. Imaginez, s'il est possible, la situation d'une âme vertueuse et passionnée, vive et délicate à l'excès, qui reçoit tous les jours de nouveaux outragès de celui qu'elle aime uniquement; qui vit pour lui seul encore, quand il ne vit plus pour elle, quand il ne rougit pas de vivre pour des objets dévoués au mépris. J'épargne à votre pudeur ce que ce tableau a de plus horrible. Rebutée, abandonnée, sacrifiée par mon mari, je dévorais ma douleur en silence; et si j'étais l'objet des railleries de quelques sociétés sans mœurs, un public plus compatissant et plus estimable me consolait par sa pitié. Je jouissais du seul bien que le vice n'avait pu m'ôter, d'une réputation sans tache. Je l'ai perdue, ma chère Lucile : la méchanceté des femmes, que mon exemple humiliait, n'a pu me voir irréprochable. On a interprété comme on a voulu ma solitude et ma tranquillité apparente; on m'a donné le premier homme qui a eu

l'imprudence de laisser croire qu'il était bien reçu de moi. Mon mari, pour qui ma présence était un reproche continuel, et qui ne se trouvait pas encore assez libre, a pris, pour s'affranchir de ma douleur importune, le premier prétexte qu'on lui a présenté, et m'a exilée dans l'une de ses terres. Inconnue au monde, loin du spectacle de mes malheurs, j'avais du moins, dans ma solitude, la liberté de répandre des larmes; mais le cruel m'a fait annoncer que je pouvais choisir un couvent; que la terre de Florival était vendue, et qu'il fallait m'en retirer. Florival! interrompit Lucile tout émue. C'était mon exil, reprit la marquise. — Ah! madame, quel nom avez-vous prononcé? Le nom que portait mon époux avant d'acquérir le marquisat de Clarence. - Qu'entends-je? ô ciel! ô juste ciel! est-il possible! s'écria Lucile en se précipitant dans le sein de son amie. Qu'avez-vous donc? quel trouble! quelle soudaine révolution! Lucile, reprenez vos sens. — Quoi! madame, Florival est donc le perfide, le scélérat qui vous trahit et vous déshonore!-Vous est-il connu?-C'est lui, madame, que j'adorais, que je pleure depuis cinq ans, lui qui aurait eu mes derniers soupirs!-Que dites-vous? C'est lui, madame. Hélas! quel eût été mon sort! A ces mots, Lucile se prosternant le visage contre terre : O mon Dieu! dit-elle, ô mon Dieu! c'est vous qui me tendiez la main. La marquise confondue ne pouvait revenir de son étonnement. N'en doutez pas, dit-elle à Lucile, les desseins du ciel sont marqués visiblement sur nous: il nous réunit, il nous inspire une confiance mutuelle, il ouvre nos cœurs l'un à l'autre, comme deux sources de lumières et de consolation. Eh bien! ma digne et tendre amie, tâchons d'oublier ensemble et nos malheurs, et celui qui les cause.

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Dès ce moment, la tendresse et l'intimité de leur union furent extrêmes. Leur solitude eut pour elles des douceurs qui ne sont connues que des malheureux; mais bientôt après, ce calme fut interrompu par la nouvelle du danger qui menaçait les jours du marquis. Ses égaremens lui coûtaient la vie ; au bord du tombeau, il demandait sa vertueuse épouse. Elle s'arrache des bras de sa compagne désolée; elle accourt; elle arrive; elle le trouve expirant. O vous que j'ai tant et si cruellement outragée, dit-il en la reconnaissant, voyez le fruit de mes désordres; voyez la plaie épouvantable dont la main de Dieu m'a frappé. Si je suis digne encore de votre pitié, élevez au ciel une voix innocente, et présentez-lui mes remords. Sa femme, éperdue, voulut se jeter dans son sein. Éloignez-vous, lui dit-il, je me fais horreur; mon souffle est le souffle de la mort. Il ajoute, après un long silence : Me reconnais-tu dans l'état où m'a réduit le crime? Est-ce là cette âme pure qui se confondait avec la tienne? est-ce là cette

moitié de toi-même ? est-ce là ce lit nuptial qui me reçut digne de toi? Perfides amis, détestables enchanteresses, venez, voyez et frémissez! O mon âme! qui te délivrera de cette prison hideuse! Monsieur, demandait-il à son médecin, en ai-je pour long-temps encore ? mes douleurs sont intolérables. Ne me quitte pas, ma généreuse amie; je tomberais sans toi dans le plus affreux désespoir... Mort cruelle, achève, achève d'expier ma vie. Il n'est point de maux que je ne mérité : j'ai trahi, déshonoré, persécuté lâchement l'innocence et la vertu même.

Madame de Clarence, dans les convulsions de sa douleur, faisait à chaque instant de nouveaux efforts pour se précipiter sur ce lit d'où l'on tâchait de l'éloigner. Enfin le malheureux expira, les yeux attachés sur elle, et sa voix acheva de s'éteindre en lui demandant pardon.

La seule consolation dont madame de Clarence fut capable, était la confiance religieuse que lui inspirait une si belle mort. It fut, disait-elle, plus faible que méchant, et plus fragile que coupable. Le monde l'avait égaré par les plaisirs, Dieu l'a ramené par les douleurs. Il l'a frappé; il lui pardonne. Oui, mon époux, mon cher Clarence! s'écriait-elle, dégagé des liens du sang et du monde, tu m'attends dans le sein de ton Dieu.

L'âme remplie de ces saintes idées, elle vint sé réunir à son amie, qu'elle trouva au pied des autels. Le cœur de Lucile fut déchiré au récit de cette mort cruelle et vertueuse. Elles pleurèrent ensemble pour la dernière fois; et quelque temps après, madame de Clarence consacra à Dieu, par les mêmes vœux que Lucile, ce cœur, ces charmes, ces vertus, dont le monde n'était pas digne.

TOUT OU RIEN.

DANS l'âge où il est si doux d'être veuve, Cécile ne daissait pas de penser à un nouvel engagement. Deux rivaux se disputaient son choix. L'un, modeste et simple, n'aimait qu'elle; l'autre, artificieux et vain, était surtout amoureux de lui-même. Le premier avait la confiance de Cécile; le second avait son amour. Cécile était injuste, allez-vous dire. Point du tout. Les gens simples se négligent; il leur semble que pour plaire il suffit d'aimer de bonne foi, et de persuader que l'on aime. Mais il est peu de naturels qui n'aient besoin d'un peu de parure. Un homme sans artifice, au milieu du monde est comme, au spectacle, une femme sans rouge.

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