Images de page
PDF
ePub

imprima quelques mouvements à l'articulation, et on obtint la triste conviction qu'on serait dans la nécessité de l'ouvrir. La capsule était intimement adhérente à la tumeur et en partie désorganisée : la tête de l'humérus, qui fut ainsi mise à découvert, fut trouvée noirâtre, privée dans une partie de sa surface de son cartilage d'incrustation, et on dut la cautériser avec le fer rouge.

« L'ablation du restant de la tumeur fut faite au moyen de quelques coups de bistouri, et il ne resta plus que l'aisselle à dégager. Cette partie de l'opération fut très-laborieuse: une partie du plexus brachial, une assez longue portion de l'artère axillaire durent être disséquées; enfin, après quinze minutes d'un travail soutenu, cette énorme tumeur fut enlevée.

« Les tissus qu'on a dù emporter sont, en avant, le faisceau antérieur du grand pectoral, une grande portion du muscle deltoïde formant éventail sur la tumeur, quelques fibres du trapèze, tout le muscle sus-épineux, une partie du sous-épineux, le grand et le petit rond, et le bord supérieur du grand dorsal et son attache à l'humérus. Toute l'épine de l'omoplate a été enlevée ; une partie des fosses sus et sous-épineuses, lieux d'adhérence de la tumeur, a été cautérisée : cinq fers rougis à blanc ont été éteints dans cette partie de la plaie. Quelques branches de l'artère cervicale transverse et l'artère scapulaire supérieure ont été liées; beaucoup d'autres branches, moins importantes, ont été tordues.

« Le premier pansement n'a été fait qu'après quelque temps, afin de se mettre à l'abri de l'hémorragie on a rapproché et maintenu les lambeaux par de nombreux points de suture, l'incision du milieu étant laissée ouverte, afin de surveiller les diverses parties de

[ocr errors]

cette vaste cavité et surtout l'articulation de l'épaule. Le pansement fut simple; le lendemain, il y avait peu de fièvre, et, à la demande du malade, on lui accorda du bouillon. Le cinquième jour, le premier appareil fut totalement enlevé, et l'on put voir que la plaie offrait déjà un bon aspect rougeâtre et qu'elle avait une tendance à la granulation.

« Dès ce jour, le malade s'est levé, et l'appétit étant devenu bon, une nourriture modérée fut accordée.

«Dix jours après l'opération, les escarres de la tête de l'humérus et de l'omoplate étaient non-seulement tombées, mais on les trouva en partie remplacées par un bourgeonnement de bonne nature. Les jours suivants, on vit le cartilage d'incrustation de la tête de l'humérus et de la cavité glénoïdale, chassé par les bourgeons charnus, et enfin remplacé en totalité par ces derniers.

<< Vers le vingtième jour, l'articulation était parfaitement abritée ; elle avait conservé ses rapports, et le malade exécutait quelques mouvements.

« Au premier juillet, époque de la communication de l'observation à l'Académie, on peut, dit l'auteur, regarder le malade comme guéri, bien qu'il reste quelques vides à combler.

« M. Limauge, après avoir dit que l'analyse de la tumeur par M. le professeur Gluge complétera l'histoire de cette observation, termine son travail par quelques considérations générales sur les plaies pénétrantes des articulations.

« Dans ce résumé succinct de l'observation de M. le docteur Limauge, et afin de donner une idée exacte de son importance, votre rapporteur a été obligé de se servir plusieurs fois des expressions mêmes de l'auteur,

à cause du peu de développement que celui-ci a donné à la rédaction de son travail.

9

« Malgré son extrême concision, cette observation, qui appartient à la série de ces cas qu'on rencontre rarement dans la pratique et auxquels plus rarement encore on ose opposer une thérapeutique aussi active, donne lieu à de nombreuses réflexions. Elle confirme que ces sortes de tumeurs, de nature ordinairement fibro-cartilagineuse, tirent le plus communément leur origine première, quel que soit leur siége, du périoste ou du tissu osseux lui-même, dont la texture offre parfois une altération très-profonde ; que leur extirpation doit toujours présenter de sérieuses difficultés ; qu'il ne suffit pas qu'on les sépare des parties molles voisines auxquelles elles adhèrent intimement et que souvent elles ont désorganisées ; mais qu'on doit détruire par le fer et le feu tout ou partie de l'os même d'où elles partent, et auquel elles adhèrent en faisant corps avec lui, si on tient à obtenir une guérison prompte, solide et à l'abri de toute récidive. Dans ce cas, la fosse sus et sousépineuse, la tête de l'humérus et la cavité glénoïdale ont été cautérisées, et toute l'épine de l'omoplate enlevée par la résection.

« Cette résection des os, dans les cas d'extirpation de tumeurs fibro-cartilagineuses ou ostéo-sarcomateuses est encore une nouvelle acquisition de la chirurgie moderne; et ceux-mêmes qui prétendront en trouver quelques traces dans l'antiquité médicale, seront toujours obligés de convenir que la chirurgie de nos jours l'a faite sienne en lui donnant un degré d'extension, en lui imprimant une perfection inconnue aux anciens. Dans ces derniers temps, un grand nombre d'exemples

de résections ont été publiés; mais celles pratiquées sur diverses parties de l'omoplate sont extrêmement rares, et donnent un mérite tout particulier à l'opération de M. Phillips. A côté du cas de Jæger, cité par Velpeau, se range celui de Syme, professeur de clinique à Édimbourg, et inséré dans The Edinburgh Medical and Surgical Journal, du mois d'octobre 1856 ; mais, dans l'une et l'autre, le bras fut aussi extirpé dans son articulation scapulo-humérale; dans celui de Jæger, l'épine et la presque totalité du corps du scapulum, dans celui de Syme le col de l'omoplate furent reséqués. Le cas du malade de ce dernier offre d'ailleurs la plus grande analogie avec celui du malade opéré par notre collègue; mais avec quelle énorme différence dans les résultats! Chez l'un, toute l'extrémité supérieure fut enlevée; chez l'autre le bras est conservé, et tout espoir de conserver même quelques-uns de ses mouvements, n'est pas perdu. Sous ce rapport le fait de M. Phillips est peut-être encore unique dans la science (1). Une autre observation d'ablation totale du scapulum, faite à l'hôpital du Caire, par Gaëtani-Bey, est consignée dans la Gazette médicale de 1841, page 440. Pratiquée en 1850, par suite d'une grave lésion traumatique qui avait fracassé presque tout le membre, qui fut enlevé, elle n'appartient pas à la catégorie de celles dont nous nous occupons en ce moment.

« Une autre réflexion, non moins importante, est suscitée par l'innocuité de l'ouverture de l'articulation; en

(1) Le cas recueilli par le Docteur S. Dietz, à la clinique chirurgicale de l'Université d'Erlangen, et rapporté dans la Gazette médicale de 1838, p. 26, offre quelques points d'analogie avec celui de notre collègue.

9

tamées par le fer et le feu, les surfaces articulaires n'ont donné lieu à aucun accident sérieux, et la largeur de l'ouverture de la capsule a favorisé la séparation des escarres, ainsi que leur élimination au dehors. Ce fait ne dépose-t-il pas en faveur de la doctrine déjà professée par J.-L. Petit, corroborée de nos jours par des observations authentiques, et partagée par plusieurs chirurgiens distingués de notre époque? Ne démontre-t-il pas que les plaies des grandes articulations, largement ouvertes, se guérissent parfois avec une rapidité et une facilité étonnantes, et que toujours elles entraînent des accidents moins graves et moins fâcheux que quand elles sont étroites? Ne tend-il pas enfin à justifier le précepte donné par des praticiens de mérite, qui, dans quelques cas de phlegmasie chronique des articulations, n'hésitent pas à conseiller de faire de grandes et profondes incisions, de mettre leurs surfaces largement à découvert, comme moyen propre à éviter la nécessité de l'amputation?

« L'opération dont il s'agit fait le plus grand honneur au talent de notre collègue, M. Phillips, qui a osé la pratiquer. On ne saurait mettre en doute que ce ne soit à son habileté et à son sang-froid que sont dus les beaux résultats qu'il a obtenus. Quelle n'a pas été sa dextérité et sa prudence, quand, à la fin, il a fallu séparer les dernières portions de la tumeur et du plexus brachial et de l'artère axillaire qui, déviés et déplacés, avaient contracté avec elles des adhérences si intimes et si étendues! Cette opération fournit une preuve nouvelle des progrès immenses que la chirurgie ne cesse de faire tous les jours; elle atteste, dans des cas naguère réputés incurables, les ressources infinies de la médecine

« PrécédentContinuer »