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bête? Non, Dieu de mon ame, je ne te reprocherai jamais de l'avoir faite à ton image, afin que je pusse être libre, bon et heureux comme toi!

C'est l'abus de nos facultés qui nous rend malheureux et méchants. Nos chagrins, nos soucis, nos peines nous viennent de nous. Le mal moral est incontestablement notre ouvrage, et le mal physique ne seroit rien sans nos vices qui nous l'ont rendu sensible. N'est-ce pas pour nous conserver que la nature nous fait sentir nos besoins? La douleur du corps n'est-elle pas un signe que la machine se dérange, et un avertissement d'y pourvoir? La mort.... les méchants n'empoisonnent-ils pas leur vie et la nôtre ? Qui est-ce qui voudroit toujours vivre ? La mort est le remede aux maux que vous vous faites; la nature a voulu que vous ne souffrissiez pas toujours. Combien l'homme vivant dans la simplicité primitive est sujet à peu de maux ! Il vit presque sans maladies ainsi que sans passions, et ne prévoit ni ne sent la mort; quand il la sent, ses miseres la lui rendent desirable: dès-lors

Emile. Tome III.

E

elle n'est plus un mal pour lui. Si nous nous contentions d'être ce que nous sommes, nous n'aurions point à déplorer notre sort; mais pour chercher un bienêtre imaginaire nous nous donnons mille maux réels. Qui ne sait pas supporter un peu de souffrance doit s'attendre à beaucoup souffrir. Quand on a gâté sa constitution par une vie déréglée, on la veut rétablir par des remedes ; au mal qu'on sent on ajoute celui qu'on craint; la prévoyance de la mort la rend horrible et l'accélere; plus on la veut fuir, plus on la sent; et l'on meurt de frayeur durant toute sa vie, en murmurant contre la nature, des maux qu'on s'est faits en l'offensant.

Homme, ne cherche plus l'auteur du mal; cet auteur c'est toi - même. Il n'existe point d'autre mal que celui que tu fais ou que tu souffres, et l'un et l'autre te viennent de toi. Le mal général ne peut être que dans le désordre, et je vois dans le systême du monde un ordre qui ne se dément point. Le mal particulier n'est que dans le sentiment de l'être qui souffre; et ce sentiment,

l'homme ne l'a pas reçu de la nature, il se l'est donné. La douleur a peu de prise sur quiconque, ayant peu réflé→ chi, n'a ni souvenir, ni prévoyance. Otez nos funestes progrès, ôtez nos erreurs et nos vices, ôtez l'ouvrage de l'homme, et tout est bien.

Où tout est bien, rien n'est injuste. La justice est inséparable de la bonté. Or la bonté est l'effet nécessaire d'une puissance sans borne et de l'amour de soi, essentiel à tout être qui se sent. Celui qui peut tout, étend, pour ainsi dire, son existence avec celle des êtres. Produire et conserver sont l'acte perpétuel de la puissance; elle n'agit point sur ce qui n'est pas ; Dieu n'est pas le Dieu des morts, il ne pourroit être destructeur et méchant sans se nuire. Celui qui peut tout ne peut vouloir que ce qui est bien. (1) Donc l'Etre souverainement bon, parce qu'il est souverai

(1) Quand les anciens apelloient Optimus Maximus, le Dieu suprême, ils disoient très - vrai; mais en disang Maximus Optimus, ils auroient parlé plus exactement, puisque sa bonté vient de sa puissance : il est bon parce qu'il est grand.

nement puissant, doit être aussi souverainement juste, autrement il se contrediroit lui-même; car l'amour de l'ordre qui le produit s'appelle bonté, et l'amour de l'ordre qui le conserve s'appelle justice.

Dieu, dit-on, ne doit rien à ses créatures; je crois qu'il leur doit tout ce qu'il leur promit en leur donnant l'être. Or c'est leur promettre un bien que de leur en donner l'idée et de leur en faire sentir le besoin. Plus je rentre en moi, plus je me consulte, et plus je lis ces mots écrits dans mon ame: sois juste, et tu seras heureux. Il n'en est rien pourtant, à considérer l'état présent des choses: le méchant prospere, et le juste reste opprimé. Voyez aussi quelle indignation s'allume en nous quand cette attente est frustrée ! La conscience s'éleve et murmure contre son auteur; elle lui -crie en gémissant: tu m'as trompé !

Je t'ai trompé, téméraire ! et qui te l'a dit? Ton ame est-elle anéantie? Astu cessé d'exister? O Brutus! ô mon fils ne souille point ta noble vie en la finissant ne laisse point ton espoir et ta gloire avec ton corps aux champs de

Philippes. Pourquoi dis-tu : la vertu n'est rien, quand tu vas jouir du prix de la tienne? Tu vas mourir, penses-tu; non, tu vas vivre, et c'est alors que je tiendrai tout ce que je t'ai promis.

On diroit, aux murmures des impatients mortels, que Dieu leur doit la récompense avant le mérite, et qu'il est obligé de payer leur vertu d'avance. Oh! soyons bons premiérement, et puis nous serons heureux. N'exigeons pas le prix avant la victoire, ni le salaire avant le travail. Ce n'est point dans la lice, disoit Plutarque, que les vainqueurs de nos jeux sacrés sont couronnés, c'est après qu'ils l'ont par

courue.

Si l'ame est immatérielle, elle peut survivre au corps; et si elle lui survit, la providence est justifiée. Quand je n'aurois d'autre preuve de l'immatérialité de l'ame, que le triomphe du méchant, et l'oppression du juste en ce monde, cela seul m'empêcheroit d'en douter. Une si choquante dissonance dans l'harmonie universelle, me feroit chercher à la résoudre. Je me dirois : tout ne finit pas pour nous avec la vie, tout rentre dans

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