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>> Une bagatelle fera juger de l'art » qu'employoit cet homme bienfaisant » pour élever insensiblement le cœur de » son disciple au-dessus de la bassesse, >> sans paroître songer à son instruc» tion. L'ecclésiastique avoit une pro» bité si bien reconnue et un discerne» ment si sûr, que plusieurs personnes >> aimoient mieux faire passer leurs au» mônes par ses mains, que par celles >> des riches curés des villes. Un jour » qu'on lui avoit donné quelqu'argent » à distribuer aux pauvres, le jeune » homme eut, à ce titre, la lâcheté de » lui en demander. Non, dit-il, nous » sommes freres, vous m'appartenez, et » je ne dois pas toucher à ce dépôt pour » mon usage. Ensuite il lui donna de » son propre argent autant qu'il en avoit » demandé. Des leçons de cette espece » sont rarement perdues dans le cœur » des jeunes gens qui ne sont pas tout» à-fait corrompus.

» Je me lasse de parler en tierce>> personne et c'est un soin fort su» perflu; car vous sentez bien, cher > concitoyen, que ce malheureux fu

C

>> gitif c'est moi-même ; je me crois > assez loin des désordres de ma jeu» nesse pour oser les avouer; et la main » qui m'en tira, mérite bien qu'aux » dépens d'un peu de honte, je rende >> au moins quelque honneur à ses bien>> faits.

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» Ce qui me frappoit le plus, étoit » de voir, dans la vie privée de mon >> digne maître, la vertu sans hypocri» sie, l'humanité sans foiblesse, des » discours toujours droits et simples, et >> une conduite toujours conforme à ses » discours. Je ne le voyois point s'in» quiéter si ceux qu'il aidoit alloient à » vêpres; s'ils se confessoient souvent; » s'ils jeûnoient les jours prescrits; s'ils >> faisoient maigre ni leur imposer >> d'autres conditions semblables, sans >> lesquelles, dût-on mourir de misere, » on n'a nulle assistance à espérer des » dévots.

» Encouragé par ces observations, loin » d'étaler moi-même à ses yeux le zele » affecté d'un nouveau converti, je ne >> lui cachois point trop mes manieres de >penser, et ne l'en voyois pas plus scan

>> dalisé. Quelquefois j'aurois pu me dire : >> il me passe mon indifférence pour le >> culte que j'ai embrassé, en faveur de » celle qu'il me voit aussi pour le culte » dans lequel je suis né; il sait que mon » dédain n'est plus une affaire de parti. » Mais que devois-je penser, quand je » l'entendois quelquefois approuver des >> dogmes contraires à ceux de l'église » romaine, et paroître estimer médio>> crement toutes ses cérémonies? Je l'au>> rois cru protestant déguisé, si je l'avois »vu moins fidele à ces mêmes usages » dont il sembloit faire assez peu de cas; » mais sachant qu'il s'acquittoit sans té>> moin de ses devoirs de prêtre aussi ponc>>tuellement que sous les yeux du public, » je ne savois plus que juger de ces con»tradictions. Au défaut près, qui jadis » avoit attiré sa disgrace, et dont il n'é

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toit pas trop bien corrigé, sa vie étoit » exemplaire, ses mœurs étoient irré» prochables, ses discours honnêtes et >> judicieux. En vivant avec lui dans la » plus grande intimité, j'apprenois à le » respecter chaque jour davantage; et > tant de bontés m'ayant tout-à-fait gagné

» le cœur, j'attendois avec une curieuse » inquiétude le moment d'apprendre sur >> quel principe il fondoit l'uniformité >> d'une vie aussi singuliere.

>> Ce moment ne vint pas si-tôt. Avant » de s'ouvrir à son disciple, il s'efforça » de faire germer les semences de raison » et de bonté qu'il jetoit dans son ame. >> Ce qu'il y avoit en moi de plus diffi» cile à détruire étoit une orgueilleuse >> misanthropie, une certaine aigreur con>tre les riches et les heureux du monde, » comme s'ils l'eussent été à mes dépens, » et que leur prétendu bonheur eût été >> usurpé sur le mien. La folle vanité de » la jeunesse qui regimbe contre l'humi»liation, ne me donnoit que trop de >> penchant à cette humeur colere; et » l'amour-propre que mon mentor tâchoit » de réveiller en moi, me portant à la » fierté, rendoit les hommes encore plus » vils à mes yeux, et ne faisoit qu'a> jouter, pour eux, le mépris à la haine.

» Sans combattre directement cet or-.. > gueil, il l'empêcha de se tourner en » dureté d'ame, et sans m'ôter l'estime

de moi-même il la rendit moins

>> dédaigneuse pour mon prochain. En » écartant toujours la vaine apparence » et me montrant les maux réels qu'elle » couvre, il m'apprenoit à déplorer les » erreurs de mes semblables, à m'atten>> drir sur leurs miseres, et à les plain» dre plus qu'à les envier. Emu de com→ >> passion sur les foiblesses humaines, par > le profond sentiment des siennes, il » voyoit par-tout les hommes victimes » de leurs propres vices et de ceux d'au>>trui; il voyoit les pauvres gémir sous > le joug des riches, et les riches sous » le joug des préjugés. Croyez – moi, >> disoit-il, nos illusions, loin de nous >> cacher nos maux, les augmentent, en >> donnant un prix à ce qui n'en a point, » et nous rendant sensibles à mille faus» ses privations que nous ne sentirions » pas sans elles. La paix de l'ame con» siste dans le mépris de tout ce qui peut > la troubler; l'homme qui fait le plus » de cas de la vie, est celui qui sait le >> moins en jouir, et celui qui aspire > le plus avidement au bonheur, est toujours le plus misérable.

» Ah! quels tristes tableaux, m'é

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