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propriétés, a un avantage inappréciable, c'est d'être extrêmement divisible et invariable. Nous pouvons la distribuer en parties distinctes par des divisions précises et permanentes, qui se représentent à nos sens toujours claires et toujours les mêmes; c'est là ce qui la rend éminemment mesurable; car on peut toujours la comparer à une de ses parties prise pour unité, et c'est là ce que l'on appelle mesurer. Or, c'est ce que nous ne pouvons pas faire de la couleur, de la chaleur, de la dureté, etc., non plus que de la durée.

Cependant si nous représentons la durée écoulée par un mouvement opéré, puisque le mouvement opéré est nécessairement représenté par l'étendue parcourue, voilà que tous deux participent aux excellentes divisions de l'étendue. Mais il manque encore une condition pour que l'une et l'autre soient exactement mesurées; car l'étendue parcourue étant toujours la même, la quantité de mouvement peut être plus grande et celle de durée plus petite, ou réciproquement. Pour remédier à cet inconvénient, il suffit de rapporter toute durée à un mouvement uniforme et constant, qui soit toujours le même, et de prendre pour unité de durée une de ses périodes, telle que le jour. C'est ce que nous faisons. Alors toute durée est mesurable, par la même raison tout mouvement est mesurable aussi; car quand nous avons l'étendue qu'il a parcourue et la durée qu'il a consommée, nous avons sa proportion avec le mouvement diurne. C'est ainsi que la durée et le mouvement sont mesurés avec la dernière précision, grâce à l'étendue, et que le sont plus ou

moins bien toutes les autres propriétés des êtres, à proportion qu'il nous est plus ou moins possible de ramener leurs effets à des mesures de l'étendue.

Cette dernière considération nous montre la cause des différens degrés de certitude des diverses sciences, ou du moins des différens degrés de facilité de leur certitude; car la certitude peut toujours avoir lieu; mais plus la précision des mesures est difficile et fugitive, plus il est aisé de se tromper sur les valeurs et les nuances des perceptions qu'il s'agit d'apprécier. La manière dont nous connaissons l'étendue nous montre aussi que nous ne sentons pas immédiatement les formes et les figures des corps qui sont des modifications de leur étendue, ni leurs distances et leurs positions qui en sont des circonstances comme nous sentons leur couleur, leur saveur ou leur odeur; mais que nous les découvrons par des expériences successives, ou que nous en jugeons par des analogies; au reste, ce n'est pas ici le moment d'entrer dans les détails. Je prétends donner actuellement les principes de la Logique, et non pas encore ceux de toutes les autres sciences. Il suffit donc d'avoir posé des bases. Peut-être trouvera-t-on que celles-ci débrouillent déjà bien des idées qui ont fort embarrassé les physiciens, géomètres et métaphysiciens qui n'étaient pas idéologistes.

Après avoir rendu compte de notre existence intime, des différens modes de notre sensibilité, de la génération des perceptions qu'elle nous donne, de sa relation avec l'existence des autres

êtres, et des principales conséquences de cette relation, en un mot de la marche générale de notre esprit, il semble qu'il ne nous reste plus qu'à en tirer des conclusions pour la direction de notre intelligence. Cependant, il y a encore un préliminaire nécessaire, dont nous devons nous occuper auparavant; il faut parler des signes sensibles de nos idées; car ce n'est qu'au moyen de ces signes que nous élaborons nos idées premières; sans eux, la plupart de celles que nous avons ou ne seraient jamais formées, ou seraient aussitôt évanouies; et ce n'est jamais que revêtues de signes qu'elles nous apparaissent, et que nous en formons de nouvelles combinaisons. Ainsi pour bien rendre raison de ces combinaisons, il faut avoir expliqué l'origine, la nature et les effets de ces signes. La nécessité de cet examen sera mieux sentie quand il sera exécuté. C'est ce qui fait que nous devons nous y livrer actuelle

ment.

CHAPITRE SEPTIÈME.

Des signes de nos idées, langage naturel et nécessaire.

Nous sommes faits de manière (et peut-être en cest-il de même des autres êtres sensibles) que quand nous avons une idée, si nous ne la revêtons

pas promptement d'un signe sensible, elle nous échappe bientôt, et nous ne pouvons ni nous la rappeler à volonté, ni la fixer dans notre pensée de façon à la développer, à la décomposer, à en faire le sujet d'une réflexion approfondie; ainsi les signes sensibles dont nos idées sont toutes revêtues, nous sont très nécessaires pour les élaborer, pour les combiner, pour en former différens groupes qui sont autant d'idées nouvelles, et pour nous représenter ces idées nouvelles ; par conséquent ils influent beaucoup sur les opérations de notre intelligence. C'est ce motif qui nous oblige à nous en occuper ici, mais ce n'est point celui qui les a fait imaginer.

Un être animé n'a pas plutôt découvert qu'il existe d'autres êtres sentans et voulans comme lui, qu'il sent le besoin de leur communiquer ses perceptions et ses affections, soit seulement pour le plaisir de sympathiser avec eux, soit pour déterminer leur volonté en sa faveur, ou du moins pour empêcher qu'elle ne lui nuise.

Mais une idée n'est pas une chose qui puisse passer directement et immédiatement d'un être à un autre. Elle est en soi absolument interne et intransmissible. Il faut donc pour qu'un être sensible fasse part de son idée à un autre être sensible, qu'il fasse sur ses sens une impression qui représente cette idée. Cela se peut dès qu'ils sont convenus ensemble que telle impression est le signe de telle idée; mais pour faire cette convention, il faut déjà s'entendre, c'est-à-dire s'être communiqué des idées. Ainsi une pareille convention suppose fait ce qui est à faire. Ce ne

peut donc pas être là le commencement du langage; et nos idées n'auraient jamais eu de signes conventionnels, si elles n'en avaient pas eu auparavant de nécessaires. Heureusement elles en ont de tels, et elles les doivent à la propriété qu'a notre volonté de réagir sur nos organes et de diriger nos mouvemens.

Par cela seul que nos actions sont les effets de ce qui se passe dans notre pensée, elles en sont les signes. Quand un homme veut approcher ou éloigner de lui une chose quelconque, il étend les bras pour l'atteindre ou la repousser. Ainsi ces mouvemens prouvent que cet homme désire ou rejette la chose vers laquelle ils se dirigent. Quand ce même homme est affecté de joie, de douleur ou de crainte, il jette des cris, et des cris différens dans trois occasions; ces cris montrent donc de quel sentiment il est affecté. Par conséquent ces mouvemens et ces cris sont les signes nécessaires des sentimens qui les causent; et ils les manifestent inévitablement à l'homme qui les aperçoit, et qui éprouve que de telles choses se passent en lui quand il ressent de pareilles affections.

Ce n'est même que par ce moyen qu'un homme découvre qu'il existe d'autres êtres sentans et pensans comme lui. C'est parce qu'il voit qu'ils font les même choses qu'il fait lui-même quand il a certaines pensées et certaines affections, qu'il juge qu'ils en ont de semblables. Ainsi dès qu'il connaît qu'ils sont des êtres sentans, il a des élémens de communication avec eux; et sans convention aucune, il peut, quand il le veut,

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