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que, dans un salon, une femme le louait de montrer du caractère, il lui répondit : « Du caractère, madame, on n'en peut avoir dans certains pays; mais si j'étais né à Sparte, je sens que j'aurais été quelque chose'. » Il se considérait comme un homme antique égaré chez les modernes, comme un Spartiate fourvoyé dans un siècle qui n'était pas digne de le posséder. Cette étrange opposition allait jusqu'à la colère. Mably mourut en 1785, en appelant de ses vœux une révolution violente, car il ne cachait pas qu'à ses yeux le bien que pouvait faire le gouvernement avait l'inconvé nient de soutenir encore la vieille machine qu'il fallait renverser.

Au milieu des agitations qui annoncèrent 1789, parut un livre, vaste tableau de la Grèce, de ses mœurs, de ses arts, de sa reli

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Eloge historique de l'abbé de Mably, par l'abbé Brizard,

1787.

'La première édition du Voyage du jeune Anacharsis fut publiée en 1788.

gion, de sa philosophie et de sa civilisation. Ce n'était pas une histoire, et c'était presque un roman. C'était pour ainsi parler une grande toile où le peintre avait associé, sans y songer assurément, la couleur de Boucher au dessin de David.

L'érudition, qui avait rassemblé pendant trente ans les matériaux de ce grand ouvrage, était profonde et sincère le ton du livre se trouva faux. Cependant Barthélemy avait le sens juste et droit, mais il était le contemporain de Mme de Pompadour, mais il fut dominé sans le savoir par l'esprit à la fois frivole et déclamateur de son époque. Aux richesses si variées de son érudition, il donna le cadre d'une fiction vulgaire, et pour le fond il céda à l'engouement général qui voulait que dans les républiques anciennes tout fût admirable et vrai. C'est ainsi qu'il arriva qu'un très-savant écrivain, qui pouvait mieux que personne tracer la plus fidèle image de la réalité,

ne nous a trop souvent montré qu'une antiquité factice et conventionnelle.

Ces défauts du livre, plus encore que ses mérites, expliquent son rapide succès. On fut enchanté de retrouver sous la garantie d'une science incontestable l'antiquité telle qu'on la rêvait, avec la perfection idéale de ses institutions et de ses vertus. L'image des républiques grecques fut bien accueillie au milieu des préoccupations qui commençaient à donner aux esprits comme une fièvre ardente.

Devant les emportements révolutionnaires, les savantes illusions de Barthélemy tombèrent avec rapidité. Il ne les perdit pas moins que les brillants avantages qu'il avait dus à l'illustre amitié du duc et de la duchesse de Choiseul. Il a peint lui-même l'amertume de ses dernières années : « Battu presque sans relâche par la tempête révolutionnaire, accablé sous le poids des ans et des infirmités, dépouillé

de tout ce que je possédais, privé chaque jour de quelqu'un de mes amis les plus chers, tremblant sans cesse pour le petit nombre de ceux qui me restent, ma vie n'a plus été qu'un enchaînement de maux. Si la fortune m'avait traité jusqu'alors avec trop de bonté, elle s'en est bien vengée. Mais mon intention n'est pas de me plaindre; quand on souffre de l'oppression générale, on gémit, on ne se plaint pas....'» Au mois de septembre 1793, Barthélemy fut arrêté avec les autres gardes de la Bibliothèque nationale. Constitué prisonnier aux Madelonettes, il fut, il est vrai, promptement élargi ; et Paré, ministre de l'intérieur, lui fit connaître qu'il était replacé à la tête de la Bibliothèque nationale, dans une lettre où nous retrouvons tout l'esprit du temps. Le ministre y parlait de « la justice d'un peuple qui se fera toujours une loi de récompenser l'auteur d'un ouvrage où sont rappelés avec

1 Mémoires sur la vie de J. J. Barthélemy, ecrits par lui

même.

tant de séduction les beaux jours de la Grèce, et ces mœurs républicaines qui produisaient tant de grands hommes et de grandes choses'. » Mais la vieillesse, le malheur, et surtout l'épouvantable surprise que lui avait causée la révolution, qu'il n'appelait plus qu'une révélation, avaient non-seulement brisé les forces de Barthélemy, mais éteint cet amour des lettres et de la gloire qui l'avait si longtemps animé. Barthélemy n'accepta pas l'offre du ministre de la république, et s'éteignit deux ans après dans un douloureux dépérissement.

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A la fin du xviie siècle, les germes qu'avaient fait naître les agitations et les événements du xve eurent un épanouissement funeste. La renaissance de l'antiquité, l'enthousiasme qu'elle excita, les innombrables travaux par lesquels, pendant trois siècles, les anciens avaient été mis en lumière, depuis Amyot jusqu'à Barthélemy; les idées chimé

1 Mémoires sur la vie de J. J. Barthélemy, écrits par lui

même.

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