arts à suivre l'évolution de la conscience humaine, doit finir cependant par en tenir compte, lui aussi, dans une certaine mesure. Il est certain que les anecdotes antiques et fatales qui constituent tout le fond du théâtre classique, que les anecdotes italiennes, espagnoles, scandinaves ou légendaires qui forment la trame de toutes les œuvres de l'époque shakespearienne et aussi,— pour ne pas passer entièrement sous silence un art infiniment moins spontané,-de toutes celles du romantisme allemand et français, il est certain, dis-je, que ces anecdotes n'offrent plus pour nous l'intérêt immédiat qu'elles offraient en un temps où elles étaient quotidiennement et très naturellement possibles, en un temps, où, tout au moins, les circonstances, les sentiments, les mœurs qu'elles évoquaient n'étaient pas encore éteints dans l'esprit de ceux qui les voyaient reproduites devant eux. Mais ces aventures ne correspondent plus pour nous à une réalité profonde, vivante et actuelle. Si un jeune homme aime aujourd'hui, au milieu d'obstacles qui représentent plus ou moins, dans un autre ordre d'idées et d'événements, ceux qui entravèrent l'amour de Roméo, nous savons parfaitement que rien de ce qui fait la poésie et la grandeur des amours de Roméo et de Juliette n'embellira son aventure. Il n'y aura plus là l'atmosphère enivrante d'une vie seigneuriale et passionnée. Il n'y aura plus de combats dans les rues, plus d'intermèdes somptueux ou sanglants, plus de poison mystérieux, plus de tombeau fastueux. Il n'y aura plus la grande nuit d'été, qui n'est si grande, si savoureuse et si compréhensible que parce qu'elle est déjà toute pleine de l'ombre d'une mort inévitable et héroïque. Otez tous ces beaux ornements à l'histoire de Roméo et de Juliette, et vous n'aurez plus que le très simple et très ordinaire désir d'un malheureux adolescent de noble cœur, vers une jeune fille que des parents obstinés lui refusent. Toute la poésie, toute la splendeur, toute la vie personnelle de ce désir est faite de l'éclat, de la noblesse, du tragique propres au milieu où il s'épanouit, et il n'est pas un baiser, pas un murmure d'amour, pas un cri de colère, de douleur ou de désespoir qui n'emprunte toute sa grandeur, toute sa grâce, toute sa tendresse, tout son héroïsme, en un mot, toutes les |