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on parle à des Genevois? Y a-t-il dans votre ville un seul homme qui n'en sente la mauvaise foi? et peut-on sérieusement balancer l'usage d'un droit sacré, fondamental, confirmé, nécessaire, par des inconvénients chimériques, que ceux mêmes qui les objectent savent mieux que personne ne pouvoir exister; tandis qu'au contraire ce droit enfreint ouvre la porte aux excès de la plus odieuse oligarchie, au point qu'on la voit attenter déja sans prétexte à la liberté des citoyens, et s'arroger hautement le pouvoir de les emprisonner sans restriction ni condition, sans formalité d'aucune espèce, contre la teneur des lois les plus précises, et malgré toutes les protestations?

L'explication qu'on ose donner à ces lois est plus insultante encore que la tyrannie qu'on exerce en leur nom. De quels raisonnements on vous paie! Ce n'est pas assez de vous traiter en esclaves, si l'on ne vous traite encore en enfants. Eh Dieu ! comment a-t-on pu mettre en doute des questions aussi claires? comment a-t-on pu les embrouiller à ce point? Voyez, monsieur, si les poser n'est pas les résoudre. En finissant par-là cette lettre, j'espère ne la pas allonger de beaucoup.

Un homme peut être constitué prisonnier de trois manières : l'une, à l'instance d'un autre homme, qui fait contre lui partie formelle; la seconde, étant surpris en flagrant délit, et saisi surle-champ, ou, ce qui revient au même, pour crime notoire, dont le public est témoin ; et la troisième, d'office, par la simple autorité du magistrat, sur des avis secrets, sur des indices, ou sur d'autres raisons qu'il trouve suffisantes.

Dans le premier cas, il est ordonné par les lois de Genève que l'accusateur revête les prisons, ainsi que l'accusé; et de plus, s'il n'est pas solvable, qu'il donne caution des dépens et de l'adjugé. Ainsi l'on a de ce côté, dans l'intérêt de l'accusateur, une sûreté raisonnable que le prévenu n'est pas arrêté injustement.

Dans le second cas, la preuve est dans le fait même, et l'accusé est en quelque sorte convaincu par sa propre détention.

Mais, dans le troisième cas, on n'a ni la même sûreté que dans le premier, ni la même évidence que dans le second; et c'est pour ce dernier cas que la loi, supposant le magistrat équitable, prend seulement des mesures pour qu'il ne soit pas surpris.

Voilà les principes sur lesquels le législateur se dirige dans ces trois cas; en voici maintenant l'application.

Dans le cas de la partie formelle, on a, dès le commencement,

:

un procès en règle qu'il faut suivre dans toutes les formes judiciaires c'est pourquoi l'affaire est d'abord traitée en première instance. L'emprisonnement ne peut être fait, si, parties ouïes, il n'a été permis par justice ('). Vous savez que ce qu'on appelle à Genève la justice est le tribunal du lieutenant et de ses assistants, appelés auditeurs. Ainsi c'est à ces magistrats et non à d'autres, pas même aux syndics, que la plainte en pareil cas doit être portée; et c'est à eux d'ordonner l'emprisonnement des deux parties, sauf alors le recours de l'une des deux aux syndics, si, selon les termes de l'édit, elle se sentoit grevée par ce qui aura été ordonné (2). Les trois premiers articles du titre XII sur les matières criminelles se rapportent évidemment à ce cas-là.

Dans le cas du flagrant délit, soit pour crime, soit pour excès que la police doit punir, il est permis à toute personne d'arrêter le coupable; mais il n'y a que les magistrats chargés de quelque partie du pouvoir exécutif, tels que les syndics, le conseil, le lieutenant, un auditeur, qui puissent l'écrouer; un conseiller ni plusieurs ne le pourroient pas; et le prisonnier doit être interrogé dans les vingt-quatre heures. Les cinq articles suivants du même édit se rapportent uniquement à ce second cas, comme il est clair, tant par l'ordre de la matière que par le nom de criminel donné au prévenu, puisqu'il n'y a que le seul cas du flagrant délit ou du crime notoire, où l'on puisse appeler criminel un accusé avant que son procès lui soit fait. Que si l'on s'obstine à vouloir qu'accusé et criminel soient synonymes, il faudra, par ce même langage, qu'innocent et criminelle soient aussi.

Dans le reste du titre XII il n'est plus question d'emprisonnement; et depuis l'article Ix inclusivement, tout roule sur la procédure et sur la forme du jugement, dans toute espèce de procès criminel. Il n'y est point parlé des emprisonnements faits d'office.

Mais il en est parlé dans l'édit politique sur l'office des quatre syndics. Pourquoi cela? parceque cet article tient immédiatement à la liberté civile, que le pouvoir exercé sur ce point par le magistrat est un acte de gouvernement plutôt que de magistrature, et qu'un simple tribunal de justice ne doit pas être revêtu d'un pareil pouvoir. Aussi l'édit l'accorde-t-il aux syndics seuls, non au lieutenant ni à aucun autre magistrat.

(') Édits civils. tit. xII, art. 4.

(2) Ibid. art. 2.

Or, pour garantir les syndics de la surprise dont j'ai parlé, l'édit leur prescrit de mander premièrement ceux qu'il appartiendra d'examiner, d'interroger, et enfin de faire emprisonner, si mestier est. Je crois que, dans un pays libre, la loi ne pouvoit pas moins faire pour mettre un frein à ce terrible pouvoir. Il faut que les citoyens aient toutes les sûretés raisonnables qu'en faisant leur devoir ils pourront coucher dans leur lit.

L'article suivant du même titre rentre, comme il est manifeste, dans le cas du crime notoire et du flagrant délit; de même que l'article premier du titre des matières criminelles, dans le même édit politique. Tout cela peut paroître une répétition : mais dans l'édit civil, la matière est considérée quant à l'exercice de la justice, et dans l'édit politique, quant à la sûreté des citoyens. D'ailleurs les lois ayant été faites en différents temps, et ces lois étant l'ouvrage des hommes, on n'y doit pas chercher un ordre qui ne se démente jamais et une perfection sans défaut. Il suffit qu'en méditant sur le tout, et en comparant les articles, on y découvre l'esprit du législateur et les raisons du dispositif de son ouvrage.

Ajoutez une réflexion. Ces droits si judicieusement combinés, ces droits réclamés par les représentants en vertu des édits, vous en jouissiez sous la souveraineté des évêques; Neufchâtel en jouit sous ses princes; et à vous, républicains, on veut les ôter! Voyez les articles X, XI, et plusieurs autres des franchises de Genève, dans l'acte d'Ademarus Fabri. Ce monument n'est pas moins respectable aux Genevois que ne l'est aux Anglois la grande chartre, encore plus ancienne; et je doute qu'on fût bien venu chez ces derniers à parler de leur chartre avec autant de mépris que l'auteur des Lettres ose en marquer pour la vôtre.

Il prétend qu'elle a été abrogée par les constitutions de la république ('). Mais, au contraire, je vois très souvent dans vos édits ce mot, comme d'ancienneté, qui renvoie aux usages anciens, par conséquent aux droits sur lesquels ils étoient fondés; et comme si l'évêque eût prévu que ceux qui devoient protéger les franchises les attaqueroient, je vois qu'il déclare dans l'acte même qu'elles seront perpétuelles, sans que le non-usage ni aucune prescription, les puisse abolir. Voici, vous en conviendrez, une

(*) C'étoit par une logique toute semblable qu'en 1742 on n'eut aucun égard au traité de Soleure de 1579, soutenant qu'il étoit suranné, quoiqu'il fût déclaré perpétuel dans l'acte même, qu'il n'ait jamais été abrogé par aucun autre, et qu'il ait été rappelé plusieurs fois, notamment dans l'acte de médiation.

opposition bien singulière. Le savant syndic Chouet dit, dans son Mémoire à milord Towsend, que le peuple de Genève entra, par la réformation, dans les droits de l'évêque, qui étoit prince temporel et spirituel de cette ville l'auteur des Lettres nous assure au contraire que ce même peuple perdit en cette occasion les franchises que l'évêque lui avoit accordées. Auquel des deux croirons-nous?

Quoi! vous perdez, étant libres, des droits dont vous jouissiez étant sujets! Vos magistrats vous dépouillent de ceux que vous accordèrent vos princes! Si telle est la liberté que vous ont acquise vos pères, vous avez de quoi regretter le sang qu'ils versèrent pour elle. Cet acte singulier, qui vous rendant souverains vous ôta vos franchises, valoit bien, ce me semble, la peine d'être énoncé ; et du moins, pour le rendre croyable, on ne pouvoit le rendre trop solennel. Où est-il donc cet acte d'abrogation? Assurément, pour se prévaloir d'une pièce aussi bizarre, le moins qu'on puisse faire est de commencer par la montrer.

De tout ceci je crois pouvoir conclure avec certitude qu'en aucun cas possible la loi dans Genève n'accorde aux syndics, ni à personne, le droit absolu d'emprisonner les particuliers sans astriction ni condition. Mais n'importe le conseil, en réponse aux représentations, établit ce droit sans réplique. Il n'en coûte que de vouloir, et le voilà en possession. Telle est la commodité du droit négatif.

Je me proposois de montrer dans cette lettre que le droit de représentation, intimement lié à la forme de votre constitution, n'étoit pas un droit illusoire et vain; mais qu'ayant été formellement établi par l'édit de 1707, et confirmé par celui de 1738, il devoit nécessairement avoir un effet réel; que cet effet n'avoit pas été stipulé dans l'acte de la médiation, parcequ'il ne l'étoit pas dans l'édit; et qu'il ne l'avoit pas été dans l'édit, tant parcequ'il résultoit alors par lui-même de la nature de votre constitution, que parceque le même édit en établissoit la sûreté d'une autre manière; que ce droit, et son effet nécessaire, donnant seul de la consistance à tous les autres, étoit l'unique et véritable équivalent de ceux qu'on avoit ôtés à la bourgeoisie; que cet équivalent, suffisant pour établir un solide équilibre entre toutes les parties de l'état, montroit la sagesse du réglement, qui, sans cela, seroit l'ouvrage le plus inique qu'il fût possible d'imaginer; qu'enfin les difficultés qu'on élevoit contre l'exercice de ce droit

étoient des difficultés frivoles, qui n'existoient que dans la mauvaise volonté de ceux qui les proposoient, et qui ne balançoient en aucune manière les dangers du droit négatif absolu. Voilà, monsieur, ce que j'ai voulu faire; c'est à vous à voir si j'ai réussi.

LETTRE IX.

Manière de raisonner de l'auteur des Lettres écrites de la campagne. Son vrai but dans cet écrit. Choix de ses exemples. Caractère de la bourgeoisie de Genève. Preuve par les faits. Conclusion.

J'ai cru, monsieur, qu'il valoit mieux établir directement ce que j'avois à dire, que de m'attacher à de longues réfutations. Entreprendre un examen suivi des Lettres écrites de la campagne seroit s'embarquer dans une mer de sophismes. Les saisir, les exposer, seroit, selon moi, les réfuter; mais ils nagent dans un tel flux de doctrine, ils en sont si fort inondés, qu'on se noie en voulant les mettre à sec.

Toutefois, en achevant mon travail, je ne puis me dispenser de jeter un coup d'œil sur celui de cet auteur. Sans analyser les subtilités politiques dont il vous leurre, je me contenterai d'en examiner les principes, et de vous montrer dans quelques exemples le vice de ses raisonnements.

Vous en avez vu ci-devant l'inconséquence par rapport à moi; par rapport à votre république, ils sont plus captieux quelquefois, et ne sont jamais plus solides. Le seul et véritable objet de ces lettres est d'établir le prétendu droit négatif dans la plénitude que lui donnent les usurpations du conseil. C'est à ce but que tout se rapporte, soit directement, par un enchaînement nécessaire, soit indirectement, par un tour d'adresse, en donnant le change au public sur le fond de la question.

Les imputations qui me regardent sont dans le premier cas. Le conseil m'a jugé contre la loi des représentations s'élèvent. Pour établir le droit négatif, il faut éconduire les représentants; pour les éconduire, il faut prouver qu'ils ont tort; pour prouver qu'ils ont tort, il faut soutenir que je suis coupable, mais coupable à tel point, que pour punir mon crime, il a fallu déroger à la loi.

Que les hommes frémiroient au premier mal qu'ils font, s'ils voyoient qu'ils se mettent dans la triste nécessité d'en toujours faire, d'être méchants toute leur vie pour avoir pu l'être un mo

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