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tone; quand le François a dit diable m'emporte! il a fini l'oraison funèbre de sa colère; celle d'un Italien est plus forte et plus déterminée: son Cospetto di Dio! cospetto di Bacco! forment toujours un dièse très aigu. Quoique le pleurer et le rire soient deux accents plus généraux dans la nature, ils ne sont pas les mêmes dans les différentes nations. Qu'on y fasse bien attention, et on trouvera qu'un Polonois ne pleure pas comme un Russe, et qu'un Suisse ne rit pas à l'unisson d'un Italien; et ainsi des autres, qui ont chacun leur accent, soit qu'ils pleurent, soit qu'ils rient.

C'est sur ces accents nationaux que le dialecte des théâtres s'est formé. La tragédie, qui est la grande scène de notre monde héroïque, en est une preuve convaincante. Garrick, sur le théâtre de Londres, ne chantoit pas Richard comme Lekain chantoit Oreste sur celui de Paris. La tragédie italienne a aussi un dialecte différent de l'allemand. Si quelque novateur hardi vouloit mettre toutes les tragédies de l'Europe à l'unisson, on ne s'entendroit plus au théâtre; il faudroit alors un interprète aux spectateurs, pour leur apprendre ce qui se passe sur la scène. C'est sur-tout dans cette musique parlante, qu'on cherche à rendre égale, qu'est le grand obstacle de l'uniformité. Mais, dira-t-on, indépendamment de l'accent vocal, qui n'est autre chose que l'inflexion de la voix plus ou moins forte, n'y a-t-il pas une expression musicale propre à émouvoir le cœur de toutes les nations? Non, il n'y en a point; chacune a besoin d'une musique particulière qui soit analogue à son ciel, parceque c'est de lui que dépend le degré de sensibilité des hommes

qui habitent les différents climats de la terre: on a besoin d'une musique bruyante pour exciter les habitants du Nord, comme des cors de chasse, des trompettes, des tambours, des timballes; il faut lancer la foudre pour remuer le Russe; les Suédois et les Polonois demandent une musique forte et sonore: il suffit de vaudevilles aux François pour les exciter.

N'est-il pas impossible d'établir un accord parfait en musique chez toutes les nations au milieu de tant de dissonances nationales? Cependant le goût de la musique italienne ne se borna pas aux peuples de l'Italie. Rome, qui, pendant seize siècles, avoit psalmodié tout bas pour que la politique ne l'entendît pas, eut ses théâtres et sa musique; sa mélodie, autrefois toute latine, prit un accent et des formes plus modernes; on donna plus d'argent à six ou sept acteurs pour représenter l'opéra d'Alexandre dans les Indes que la propagande n'en donnoit à douze missionnaires pour aller convertir tous les pays des Indes. Les papes, comme chefs de l'empire chrétien, défendirent aux femmes de paroître sur le théâtre romain; mais la réforme se fit à l'italienne, mezzo, mezzo, moitié eunuques et moitié hommes. Ce ne fut que sous le pontificat de Pie VI que la théologie décida que les droits de la nature avoient été assez long-temps outragés. Le théâtre de SanCarlo, à Naples, avoit coûté lui seul plus que six hôpitaux; jamais on n'avoit poussé si loin le luxe théâtral: l'édifice étoit rempli de glaces; du haut en bas ce n'étoit qu'un miroir où chaque spectateur pouvoit se voir. A Venise, les théâtres de San-Bennetto, San-Moïs, San-Angelo, étoient les trois saints en

a.

les

musique qui coûtoient le plus à la république. Saint Chrysostôme, qui avoit été un grand musicien, devint le théâtre d'Arlequin. Long-temps les musiciens habiles se rendirent à Bologne, et don Philippe leur prodiguoit ses trésors pour les attirer à Parme; ils y chantèrent si bien, qu'ils ruinèrent son gouvernement: Emmanuel de Savoie dépensa de son côté deux millions en violons, hautbois, flûtes, et bassons. A Madrid, tout étoit italien; orchestre, acteurs, chanteurs, jusqu'aux moucheurs de chandelles : le premier eunuque fut décoré d'un ordre royal, auquel on ajouta une pension plus forte que celle d'un général. En Portugal, Joseph I“, qui aimoit beaucoup les ariettes, payoit en prince qui a une mine d'or; il donnoit plus de cent vingt mille francs de notre monnoie à chaque musicien, et il en avoit six. Si l'on joint à cette première dépense celle des chanteurs et danseurs en sous ordre, et autres dépenses en musique ordinaire, trouve pour résultat la ruine de la monarchie entière. Mais le ciel vengea la finance; la terre s'ouvrit, elle engloutit le théâtre, la musique et la danse. Du temps de Pierre Ier les Russes ne connoissoient d'autre harmonie que celle du bruit du canon. C'étoient des barbares dont les organes n'étoient pas disposés à recevoir les impressions de cet art. Cependant ces sauvages du nord de l'Europe voulurent se mettre à l'unisson avec les nations policées du midi; les virtuoses d'Italie furent les premiers apôtres qui les convertirent à la foi des ariettes. Pour que leur conversion fit plus d'éclat, l'on composa de grands opéra. Quelques uns coûtèrent cent mille roubles; il est vrai qu'il falloit payer les musiciens,

on

non seulement pour le louage de leur voix, mais même pour la perte de leurs membres, car l'un perdoit le nez, l'autre la joue, le troisième une oreille, qui, sans se détacher de leur corps, restoient dans les glaces du Nord. Jamais prince ne consuma tant de trésors que le roi de Pologne pour acheter des accords; chaque opéra italien qu'il mettoit en scène lui coûtoit le revenu d'une province entière: ainsi on calcula que cinquante représentations lui coûtoient tout juste dix millions. La musique ne causa pas tant de dégât dans les finances à Berlin que dans les autres états de l'Europe. Cependant, comme les soprani et les tenori, avant de partir de Naples, Rome, Venise ou Milan, avoient mis un prix à leurs talents, il fallut que Frédéric, qui taxoit tous les autres états en politique, se taxât lui-même en musique. Mais aucune puissance ne fit pour la musique italienne les mêmes frais que la cour de Vienne; elle y dépensa près de vingt millions de florins: je ne parlerai point de ces petits princes allemands qui pour avoir une musique italienne se sont souvent couchés sans chandelle. Le théâtre de Hay-Market, en Angleterre, se forma; l'on y établit un Opéra. On fit venir des eunuques d'Italie, qu'on paya quinze cents livres sterling: c'étoit le moyen d'avoir la préférence sur les autres pays; et comme César, qui vint, vit et vainquit, ils vinrent, chantèrent, ramassèrent des guinées et s'en allèrent, et voilà comment, en moins de cent ans, ils emportèrent de l'Angleterre six cent mille livres sterling.

Anne d'Autriche fit venir de Florence un joueur de violon, pour apprendre à chanter aux Parisiens; ce

joueur de violon s'appeloit Lulli. Ce Lulli trouva la musique françoise hurlante, et il la laissa braillante, ce qui la radoucit un peu, car il y a cette différence du hurlement au braillement, que les oreilles sont écorchées un peu plus doucement. Campra, qui vint après Lulli, continua de radoucir notre musique. Dans son opéra de l'Europe galante, il fit chanter le grand Turc comme on chante en France. Mondonville, qui parut cinquante ans après, donna de très beaux opéra d'église. Tout le parterre du théâtre du PalaisRoyal accourut à ses messes et à ses motets. Ils étoient à grands chœurs et à symphonies brillantes: il n'y manquoit que les filles du magasin pour en faire un spectacle en plein. Rameau égaya la musique françoise plus que les autres; mais les lullistes prétendirent qu'il l'avoit rendue beaucoup trop gaie : ils l'appeloient par dérision le père aux rigaudons. Jusquelà c'étoit de la musique françoise, et l'on étoit si éloigné d'adopter la musique italienne, qu'on la regardoit à Paris comme folle, extravagante, sans génie, sans jugement, en tout dépouillée de bon sens. La musique françoise alloit briller de tout son éclat, quand la politique vint comprimer son essor. Il fut décidé dans le conseil des rois de marier un fils de France avec une princesse d'Autriche. Déja la gamme entroit pour beaucoup dans l'éducation royale. L'impératrice Marie-Thérèse avoit fait apprendre la musique à toutes les princesses ses filles, et l'archiduchesse MarieAntoinette donnoit la préférence à la musique italienne; c'étoit plus qu'il n'en falloit pour faire proscrire la musique françoise.

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