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veau censuré : c'est lui-même qui nous apprend cette circonstance, dans une lettre à M. de Malesherbes du 9 septembre 1767.

Jean-Jacques s'est plaint de ce que d'Alembert avoit inséré dans ses Éléments de Musique des articles qu'il lui avoit donnés pour l'Encyclopédie: mais il faut remarquer que lorsque Rousseau faisoit ce reproche à d'Alembert, il croyoit avoir sujet de se plaindre de lui; il le regardoit comme un de ses ennemis les plus acharnés, l'un de ceux qui conspiroient contre lui, qui étoient armés contre sa gloire et même contre sa vie. C'est dans une telle disposition d'esprit qu'il accuse d'Alembert de s'être approprié les articles sur la musique qu'il lui avoit confiés, et qu'il prétend ailleurs que le géomètre n'auroit fait qu'un Arlequin du grand duc, s'il élevoit ce petit garçon. Tant il est vrai qu'on ne sait pas toujours se défendre soi-même des défauts qu'on reproche aux autres. C'étoit parceque JeanJacques soutenoit que d'Alembert avoit refondu dans ses Éléments de Musique des articles qui lui avoient été remis pour l'Encyclopédie, que d'autres, et peutêtre d'Alembert lui-même, avançoient que Jean-Jacques n'avoit point fait la musique du Devin du Village. Il y avoit de part et d'autre injustice et desir de la vengeance. D'Alembert auroit voulu se relever du coup que Rousseau lui avoit porté dans sa Lettre sur les Spectacles; Jean-Jacques, de son côté, savoit que d'Alembert avoit trempé dans la mystification de la lettre écrite par Horace Walpole, et donnée comme étant du roi de Prusse : d'Alembert avoit encore à ses yeux le tort d'être l'ami, le confident de Voltaire. C'en

étoit assez pour ne voir en lui qu'un misérable plagiaire, qu'un homme infame. D'Alembert, si on écoute le témoignage impartial des mathématiciens, étoit un génie du premier ordre, et il a laissé, dans cette carrière, des traces de son passage. Des juges moins instruits en cette matière ne s'étonneront pas de cette opinion, en lisant la portion du discours préliminaire de l'Encyclopédie qui a rapport aux sciences exactes. Peut-être n'a-t-on jamais porté dans l'examen de leurs principes et de leurs résultats plus de finesse et de bonne foi. L'analyse qu'il fait de leurs procédés, la manière dont il montre la vérité, acquérant d'autant plus de certitude qu'on fait abstraction d'un plus grand nombre de circonstances réelles, et n'étant vraiment compléte que lorsqu'elle devient l'identité de deux signes exprimant la même idée; tout cela est d'un homme qui plane de haut sur la science qu'il professe. Mais l'autre partie du discours est loin de donner une aussi haute idée de d'Alembert. Quand il en vient à rechercher les sources et les principes des autres divisions des connoissances humaines, il se montre alors incomplet et superficiel. S'il avoit une connoissance approfondie des sciences qui classent et comparent nos perceptions, il étoit loin de connoître celles qui consistent à décrire les perceptions de l'ame : sans doute l'algébre est la plus belle des langues, dans le même sens que les sciences mathématiques sont les plus vraies des sciences; la vérité mathématique est le résultat de la comparaison et de la combinaison d'idées factices qui ne doivent leur naissance qu'à des abstractions faites par un travail de l'esprit humain; ainsi

DICT. DE MUSIQUE. T. 1.

c

l'algébre est le langage qui convient le mieux pour rechercher ce genre de vérité : il rappelle continuellement que l'idée exprimée par un signe est telle qu'on l'a d'abord définie; cette idée abstraite est la même pour tous, ne fait à aucun une impression différente de celle qu'un autre en pourroit recevoir. A l'aide de ce langage on marche d'un pas sûr dans le raisonnement mathématique et dans la découverte des vérités abstraites et artificielles; mais dès qu'il s'agit de rendre des impressions qui ne sont pas les mêmes pour tous et qui diffèrent d'un instant à l'autre dans le même individu, dès qu'on sort de la sphère des idées mathématiques, de ces idées qu'on a rendues complétement pareilles pour chaque homme, il faut un langage flexible qui puisse recevoir de chacun le témoignage de ce qu'il éprouve; qui puisse varier de forme et de puissance, suivant celui qui parle, pour retracer l'image de son ame et de son caractère. D'Alembert, ainsi que nous l'avons dit, a mérité une grande renommée par ses travaux mathématiques; vivant dans un autre siècle, il se seroit sans doute contenté de cette gloire; la société où il vivoit, lę desir d'obtenir des succès plus populaires, l'envie de se montrer universel, firent de lui un littérateur assez froid. Quand le desir de briller est la cause pour la quelle on écrit, on se sent un égal besoin de s'occuper de toutes choses; il n'y a que le génie qui, écrivant par la nécessité de produire, sache porter ses propres fruits: Voltaire avoit essayé les sciences exactes pour être universel; d'Alembert étoit trop loin de la poésie pour chercher à y atteindre, mais il fit voir que

son esprit s'appliquoit mal aux matières littéraires. A la chaleur que met Rousseau à se défendre de ne pas être l'auteur de la musique du Devin du Village, on sent qu'il tient plus à sa réputation de musicien qu'à celle d'écrivain. La musique avoit été la première occupation de sa vie; il lui avoit consacré les plus belles années de sa jeunesse; il n'avoit connu le bonheur que lorsqu'il n'avoit d'autre ambition que celle d'être un jour un musicien passable; il avoit pendant un moment nourri l'espoir qu'il opèreroit une révolution en musique ; c'étoit par la musique qu'il comptoit arriver plus vite et plus sûrement à la gloire; les lettres ne devoient composer que l'accessoire de sa renommée. C'est ainsi que de nos jours un peintre célèbre s'imagincit qu'il manioit beaucoup mieux l'archet que le pinceau; qu'un habile musicien croit trouver en peignant des devants de cheminée la renommée qu'il s'est acquise en jouant de la flûte comme le dieu Pan; qu'un grand naturaliste a cessé de continuer la gloire de Buffon pour mettre Télémaque et la Jérusalem Délivrée en musique.

On a remarqué que, dans le cours du dix-huitième siècle, plusieurs hommes de lettres ont écrit sur la musique avec un talent remarquable. La poétique de la musique, par M. de Lacépède, est restée un bon livre. Rousseau convient lui-même que Grimm avoit beaucoup de connoissances en musique, et en écrivoit en homme qui avoit étudié les principes de l'art, et pouvoit en apprécier les beautés. Le baron d'Holbach entendoit la composition musicale. La Harpe, Marmontel et Sicard ont écrit avec succès sur la révolu

tion de la musique en France. Ginguené et Framery ont prouvé qu'ils en connoissoient la théorie et l'histoire, en traitant la partie de la musique dans l'Encyclopédie méthodique; Rouget de Lille, en faisant luimême la musique de sa Marseilloise. Nous avons parlé des Éléments de Musique de d'Alembert; et tandis que l'auteur du Contrat Social écrivoit la partition du Devin du Village, le compositeur qui avoit mis en musique Aucassin et Nicollette, Zémire et Azor, et Barbe-Bleue, écrivoit un ouvrage politique sur l'état passé, présent et futur de la France, en trois volumes in-8°. C'est cette variété de connoissances qui compose la philosophie du dix-huitième siècle.

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