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occasion favorable demande essentiellement un de ces instruments, l'effet qu'il devroit produire n'est plus aussi sensible à beaucoup près que s'il n'avoit pas été entendu : l'on diroit qu'une ouverture est maigre, si l'on n'y employoit la plus forte partie des instruments qui composent l'orchestre. Les Allemands, dès leur plus tendre jeunesse, étudient savamment l'harmonie; les douze gammes que renferme l'octave chromatique leur sont présentées sous toutes les faces, c'est-à-dire qu'en tenant un accord sous ses doigts l'Allemand voit d'un coup d'œil à combien d'accords il conduit: leurs marches en sont souvent dures, mais ils s'y accoutument, et cessent de les trouver telles. L'Italien, au contraire, semble craindre de s'initier dans le secret des accords; la sensibilité lui donne ses chants, et il craint de les perdre dans le labyrinthe harmonique: il veut que l'expression aille chercher l'accord dissonant, et l'Allemand la trouve au contraire dans l'accord même, On a dit que Gluck avoit reculé les progrès de l'art; soyons plus justes: il créa un nouveau genre; son harmonie osa tout peindre, et les accents de sa déclamation exprimèrent les passions. Combien de temps les hommes n'ont-ils pas erré en musique, comme dans toutes les sciences, avant d'arriver au vrai beau! tantôt en se livrant à une simplicité puérile, tantôt à une complication fastueuse et désordonnée.

D'abord les chants les plus simples, formés de quatre ou cinq notes, ont suffi pour exprimer la joie ou la douleur des hommes simples et abandonnés à la nature: l'art naissant de la mélodie s'est enrichi; les chants se sont multipliés à mesure que les idées physiques

ou morales se sont développées; la mélodie dut donner naissance à l'harmonie. On s'aperçut qu'après avoir monté sept notes la première renaissoit dans la huitième; les savants virent des rapports entre tel et tel son : l'harmonie une fois soumise au calcul dut augmenter les progrès de la mélodie, qui ne marchoit qu'à l'aide des nouvelles sensations qui l'inspiroient. Avant le règne de Pergolèze, Lulli, attiré de Florence à Paris, avoit quelques pressentiments de la musique déclamée; son récitatif le prouve ; mais il ne sut que noter la déclamation, et non chanter en déclamant. Rameau lui succéda ; il étoit moins sensible, mais plus savant, et plus riche d'harmonie. Il connoissoit la musique des Vinci, Pergolèze, Leo, Terradellas, Buranello; mais il avoit commencé fort tard à travailler pour le théâtre il fut contraint de suivre sa manière, qu'il ne regardoit pas comme la meilleure. Rameau fut un des plus grands harmonistes de son siècle; il fit des chœurs magnifiques, où l'harmonie non seulement est savante, mais très expressive: son monologue, Tristes apprêts, pâles flambeaux, etc., dans Castor et Pollux, est vrai, sur-tout à l'endroit je ne verrai plus; ses airs de danse sont variés, fort adaptés à la chose, et sur-tout fort dansants. Les tournures de son chant ont vieilli; mais tel sera le sort de toute mélodie vague. Son harmonie a servi long-temps de modéle, parceque le cachet du maître y est empreint. Cependant l'Allemagne se fortifioit de plus en plus des ressources de l'harmonie. C'est alors que les bouffons italiens arrivèrent en France. Les gens de goût n'eurent qu'un cri pour approuver cette musique expressive et pitto

resque, le reste de la nation résista; mais elle fut obligée de céder à l'empire de la raison et de l'ennui: la France, toujours accoutumée à perfectionner ce qui lui vient de ses voisins, tenant le milieu entre l'Italie et l'Allemagne, adopta la mélodie italienne qu'elle unit à l'harmonie allemande; c'est ce que Philidor exécuta dans plusieurs chefs-d'œuvre.

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Jean-Jacques Rousseau a écrit plusieurs ouvrages sur la musique; il aima toute sa vie cet art avec passion le Devin du Village annonce même du talent pour la composition. Il vouloit faire adopter en France les mélodrames; il en donna Pygmalion pour exemple. Quand les paroles succédent à la musique, et la musique aux paroles, l'effet des unes et de l'autre est plus grand; elles se servent mieux quand elles ne sont pas forcées d'aller ensemble : la musique exprime les situations, et les paroles les développent. La musique pourroit se charger de peindre les mouvements au-dessus des paroles, et les paroles des sentiments trop nuancés pour la musique. Mais quelle éloquence dans le monologue de Pygmalion! Comme l'on trouve vraisemblable que la statue s'anime à sa voix ! comme l'on seroit tenté de croire que les dieux ne sont pour rien dans ce miracle! Jean-Jacques a fait pour plusieurs romances des airs simples et sensibles, de ces airs qui s'allient si bien avec la situation de l'ame, et que l'on peut chanter encore quand on est malheureux; il en est quelques uns qui semblent nationaux; on se croit, en les entendant, transporté sur le sommet des montagnes de la Suisse lorsque le son de la flûte du berger se prolonge lentement au loin par les échos

qui successivement le répétent: ils rappellent cette musique plutôt calme que sombre qui se prête au sentiment de celui qui l'écoute, et devient pour lui l'expression de ce qu'il éprouve. Quel est l'homme sensible que la musique n'a jamais ému ? Rousseau n'aimoit que les airs mélancoliques : à la campagne c'est ce genre de musique que l'on souhaite; la nature entière semble accompagner les sons plaintifs d'une voix touchante. Il faut avoir une ame douce et pure pour sentir ces jouissances; un homme agité par le souvenir de ses fautes ne pourroit supporter la rêverie dans laquelle plonge une musique sensible; un homme tourmenté par des remords déchirants ne pourroit aimer à se rapprocher ainsi de lui-même, à distinguer tous ses sentiments, à les éprouver tous, lentement et successivement. On est porté à se confier à celui que la musique, les fleurs et la campagne ravissent.

Il s'est rencontré des gens qui ont voulu contester à Rousseau la gloire d'avoir composé la musique du Devin du Village; on fut jusqu'à nommer les maîtres italiens auxquels Jean-Jacques l'avoit empruntée sans en mot dire: on ne vouloit pas absolument qu'il fût musicien. Vainement avoit-il composé, à la demande de Diderot, plusieurs articles sur la musique pour l'Encyclopédie; vainement avoit-il consacré des années entières à rassembler les éléments d'un dictionnaire de musique, à les rédiger, à en former un corps d'ouvrage; vainement y avoit-il dans ce dictionnaire plusieurs articles qui étoient, pris chacun séparément, des morceaux fort remarquables, on s'obstinoit à ne trouver dans ce dictionnaire de musique que celui de

l'abbé Brossard, dont Rousseau s'étoit contenté de retoucher les articles, ou même le dictionnaire de Mende Montpas. On vouloit que Rousseau eût fait aux écrivains les plus obscurs le même honneur qu'à Plutarque, à Sénéque et à Montaigne. Quand il publia Émile, le bénédictin dom Cajot ne trouva rien dans ce livre qui ne fût dans un vieux poëme latin de Scoœvole de Sainte-Marthe; sans Diderot, il auroit envisagé sous un tout autre point de vue la question proposée par l'académie de Dijon ; il devoit à la lecture d'un roman manuscrit, qui lui étoit tombé dans les mains, l'idée de la Nouvelle Héloïse : il n'avoit jamais eu que des pensées d'emprunt.

Voilà pourtant comment la calomnie se plaisoit à traiter celui de tous nos écrivains qui a peut-être le plus travaillé sur ses propres idées! Rousseau nous apprend lui-même, au IX' livre de ses Confessions, comment il composa son Dictionnaire de Musique: « J'avois eu, dit-il, la précaution de me pourvoir, en allant habiter l'Ermitage, d'un travail de cabinet pour les jours de pluie; c'étoit mon Dictionnaire de Musique, dont les matériaux épars, mutilés, informes, rendoient l'ouvrage nécessaire à reprendre jusqu'à neuf. J'apportois quelques livres dont j'avois besoin pour cela : j'avois passé deux mois à faire l'extrait de beaucoup d'autres qu'on me prêtoità la Bibliothèque du roi. » Le Dictionnaire de Musique fut imprimé pour la première fois en 1767, à Amsterdam, par Rey; il en parut dans la même année une édition à Paris, publiée par Duchesne, en un vol. in-4°. Rousseau ne voulut permettre la publication de cette nouvelle édition qu'après que l'ouvrage eut été de nou

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