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Frascatana: l'Anglois, voyant que cette pièce le suivoit par-tout, s'imagine que l'Italien, son compagnon de voyage, entretient à ses gages une troupe de campagne qui le suit par-tout; le soir, comme l'Italien l'invite encore à venir au spectacle, le Breton lui dit : Signor, sempre Frascatana, sempre Frascatana! date mi questa sera la Serva padrona.

L'école italienne est la meilleure qui ait existé tant pour la composition que pour le chant; la mélodie des Italiens est simple et belle : jamais il n'est permis de la rendre dure et baroque; un trait de chant n'est beau que lorsqu'il est placé de lui-même et sans aucun effort. Dans le genre sérieux comme dans le comique, leurs récitatifs obligés, les airs d'expression, ou cantabile; les duo, les cavatines, qui coupent si heureusement le récitatif; les airs de bravoure, les finales, ont servi de modèle à toute l'Europe. Il est inutile de leur faire un mérite de la justesse de la prosodie, car il est presque impossible d'y manquer, tant leur langue est accentuée, et libre par les élisions fréquentes des voyelles. Le public, d'ailleurs, ne critique jamais le musicien sur ce point; l'Italien aime trop la musique pour lui donner d'autres entraves que celles de ses régles: il sacrifie volontiers sa langue aux beautés du chant. La langue italienne est elle-même si amoureuse de la mélodie, qu'elle se prête à tout, même aux extravagances du musicien, sans que jamais ses grammairiens lui fassent le moindre reproche.

Le meilleur chanteur n'est pas toujours chargé du rôle le plus important dans l'action du drame, parceque souvent les airs de demi-caractère, par exemple,

lui conviennent, et qu'ils se trouvent dans les rôles secondaires; cependant, soit par son talent, soit parceque le compositeur s'est plu à soigner son rôle, il répand un charme si puissant sur tout ce qu'il chante, qu'il devient rôle principal, contre l'intention du poëme l'on comprend aisément que l'intérêt du drame ainsi renversé jette le spectateur dans une incertitude accablante, et que le meilleur chanteur cesse d'être acteur du moment qu'il intéresse aux dépens du rôle vraiment intéressant par ses situations. La tragédie offre sans doute moins de variétés aux musiciens que le comique, parceque tous les personnages sont nobles; mais il n'est pas nécessaire que le musicien n'ait que trois formules d'air dans la tête pour peindre toutes les passions d'un drame tragique: il existe tant de nuances pour différencier chaque caractère, sans s'assujettir à ne savoir produire qu'un air de bravoure, pathétique, ou de demicaractère ! Voyez d'ailleurs tous les airs de bravoure que renferme un opéra italien, et vous trouverez par-tout un même caractère, la même manière et presque les mêmes roulades, quoiqu'ils soient tous dans des situations différentes. Comment ne pas s'ennuyer de cette uniformité? et comment empêcher le public de se rejeter sur un excellent chanteur qui a le talent de lui faire oublier l'opéra ?

L'on convient généralement que la musique instrumentale des Italiens est foible; comment pourroit-elle prétendre à tenir un rang parmi les bonnes compositions? Il n'y a presque jamais de mélodie parcequ'ils veulent, dans ce cas, courir après des effets

d'harmonie, parcequ'ils ignorent l'art de moduler. Les chœurs sont nuls du côté des effets; leurs airs de danse sont pitoyables, en général, car ils ne sont ni dansants, ni chantants, ni harmonieux: le récitatif simple est pris de l'accent de la langue, mais la longueur des scènes et le peu d'énergie des hommes énervés qui le chantent le rendent soporifique et fatigant. Convenons ensuite qu'il y a de la sécheresse et peu de variété dans les compositions italiennes; ce défaut provient encore de l'oubli de l'harmonie. Cette reine de la musique est trop négligée par les éléves mêmes de Durante, qui la possédoit à un si haut degré. Quel effet doit produire la représentation d'un opéra dont le principal acteur quitte la scène pour sucer une orange pendant que son interlocuteur lui parle comme s'il étoit présent?

La musique n'ayant besoin pour être bien sentie que de cet heureux instinct que donne la nature, il sembleroit que l'esprit nuit à l'instinct, que l'on n'approche de l'un qu'en s'éloignant de l'autre, et qu'enfin plus vous aurez de facilité à combiner et à rapprocher des idées, plus vous affoiblirez le tact naturel, qui ne sent qu'une chose à-la-fois, et c'est assez pour bien sentir. L'homme livré à la simple nature reçoit sans résistance la douce émotion qu'on lui donne; l'homme d'esprit, au contraire, veut savoir d'où lui vient le plaisir; et avant qu'il parvienne à son cœur il est évanoui. Le sentiment est volatil comme l'essence renfermée dans un vase, que le contact de l'air fait évaporer; de même une sensation est perdue si elle frappe des organes habitués à analyser pour sentir. Tout le monde ce

pendant veut avoir l'air d'aimer la musique; chacun sait qu'elle est un élan de l'ame, le langage du cœur. Convenir que cette langue nous est étrangère seroit faire un aveu d'insensibilité; l'on se donne donc pour connoisseur, l'on compare entre eux des talents qui n'ont que de légers rapports, et qui ne peuvent en avoir de plus intimes sans s'anéantir, en rentrant dans le tronc dont ils ne sont que les branches.

Si l'harmonie, pour être appréciée, exige une connoissance approfondie des règles, la mélodie ne demande qu'une oreille délicate, et sur-tout une ame tendre et sensible. Un beau chant, quoique vague pour bien des gens, ne le sera pas pour tout le monde; si le compositeur a été affecté, tôt ou tard il trouve une ame qui éprouve la même sensation. La musique donne des jouissances supérieures à celles des autres arts, parceque les sons toujours mélodieux dont se repaît le musicien agissent plus directement sur les nerfs. C'est en étudiant le poëme, et non les paroles de chaque ariette, que le musicien parvient à varier ses tons; c'est sur-tout en saisissant le caractère des premiers morceaux que chante chaque acteur, que l'on s'impose la loi de les suivre, en leur donnant à chacun une physionomie particulière. Sans cette étude on ne reconnoît par-tout que le musicien; ce sont toujours les mêmes traits de chant qui se représentent pour tout exprimer, avec la différence puérile d'une trompette désignant la fierté du guerrier, ou d'une flûte exprimant la tendresse de l'amour. Les anciens ont beaucoup parlé de l'empire du rhythme, ou du mouvement; il opère plus puissamment que la mélo

die et l'harmonie, mais lorsqu'il y est réuni son empire est irrésistible. Lorsqu'un air marqué et symétrique s'empare d'un auditoire, on entend les pieds, les cannes frapper la mesure; tout est subjugué, et contraint de suivre le mouvement donné. Le symphoniste tire ses idées du néant ou d'un sentiment vague, le compositeur dramatique les trouve dans les paroles qu'il exprime. Le premier, il est vrai, a la liberté de créer au gré de son imagination, tout est bon, s'il forme un bel ensemble; mais le compositeur dramatique est assujetti au genre, à l'acteur, à la prosodie, qui lui défend souvent une note d'expression qui donneroit la vie à un trait de chant. Toutes ces difficultés rendent son travail plus important. En s'unissant avec la parole, il peint d'après nature; sa production est immuable comme elle, tandis que le langage de la symphonie est vague comme le sentiment qui la produit.

Les effets prodigieux que faisoit la musique chez les anciens provenoient sans doute de la différence marquée des modes, des tons et des modulations, et sur-tout du rhythme qu'on employoit scrupuleusement pour chaque genre: mais aujourd'hui le luxe règne par-tout. De même que l'on rassemble les productions des quatre parties du monde pour orner un salon, ou pour donner un repas, la poésie a forcé la musique d'accumuler tous les genres dans une même composition dès l'ouverture d'un opéra, et dans presque tous les morceaux de force, on emploie timballes, trompettes, cors, hautbois, clarinettes, flûtes, petites flûtes, bassons, violes, basses et violons,et dès qu'une

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