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loigna de la perfection: on voulut la rendre plus composée, plus sonore, plus gaie, plus brillante; à force de vouloir élever l'édifice, on le renversa: on y ajouta des passages de roulades, de volades; on fit beaucoup de crômes, de semi-crômes. Après qu'on eut bien coupé les notes, il fallut faire couper les hommes qui les pussent chanter; on eut recours à l'art pour faire chanter la nature : c'étoit la gâter dans son principe. Les Italiens furent les seuls qui imaginèrent d'exercer la musique aux dépens de la nature; les autres nations aimèrent mieux avoir moins de voix et plus d'hommes. Les François ne voulurent pas se séparer d'eux-mêmes; mais dans l'état romain. les chirurgiens devinrent des bourreaux, d'autant plus cruels qu'ils tuoient, d'un seul coup, des générations entières. Ces hommes ainsi mutilés tout exprès pour chanter, s'appeloient soprani. En Angleterre, en Hollande, et par-tout où ils se montrèrent d'abord, ils causèrent une espèce de révolution; on eut de la peine à se faire à leur figure: ils avoient en général la taille gigantesque, leur visage étoit blême, sans poil au menton, avec des jambes longues et les genoux gros. Étonnés de trouver des individus qui n'étoient ni hommes ni femmes, on les regarda d'abord comme des êtres d'un autre monde, puisqu'ils n'avoient rien à laisser après eux dans celui-ci; mais leur voix claire ne tarda pas à leur faire des admirateurs.

Le premier coup porté par la corruption à la musique se fit ressentir dans le récitatif théâtral; il devint monotone, sans goût, sans génie : l'acteur ne chanta plus, il parla, et parla mal. Cette première partie de

DICT. DE MUSIQUE. T. I.

b

la représentation de l'opéra perdit insensiblement tout son intérêt; elle ne tint ni à la tragédie par l'expression, ni à la musique par ses accents. La musique des ariettes fut encore plus vicieuse; on quitta cette heureuse simplicité qui en faisoit tout le mérite: on corrompit la nature à force d'art; il ne fut plus question de chanter, mais de gazouiller: l'expression théâtrale se perdit dans un murmure de notes. Chaque ariette devint une sonate de violon, que l'acteur exécuta sur l'instrument de son gosier. La volade à l'octave prit le dessus, elle dirigea l'empire de l'opéra; la partie instrumentale étouffa la vocale; un opéra fut formé de seize sonates et de deux grands concerto, exécutés par il primo uomo et la prima donna; le tambour, les timbales, les trompettes, les cors de chasse, furent substitués au clavecin; chaque ariette annonça un bruit de guerre semblable au tonnerre qui se fait entendre le jour d'une bataille : au milieu de ce tintamarre militaire, l'acteur put détonner tant qu'il voulut. Il ne fut plus question de mélodie, mais de faire du bruit. Le compositeur qui sut agiter l'air avec le plus de force fut regardé comme le plus habile. La scène fut changée en un bosquet peuplé d'oiseaux où chacun fit entendre son ramage; les tons aigus prévalurent: celui qui ne sut pas détonner ne sut pas chanter. L'acteur ne sembla plus occupé qu'à courir après la note qui lui échappoit, qu'à la prendre, pour ainsi dire, à la volée. Il n'y eut plus d'expression théâtrale, toute l'action fut réduite en roulades.

Le même désordre s'introduisit dans la musique d'église; les quatre hôpitaux ou conservatoires de

Venise firent chorus à cette corruption. L'Émilie et la Polonia firent autant de bruit dans leur cloître que la Faustina en faisoit sur le théâtre d'Angleterre ou de Pologne; le Salve, Regina, le Tantum ergò, furent sur le ton des ariettes. La répétition de ces spectacles se faisoit le samedi; et le dimanche, qui étoit le grand jour de l'opéra, l'église, changée en parterre, étoit remplie de spectateurs, la plupart étrangers. Le billet qu'on prenoit à la porte ne coûtoit que due soldetti; ce qui faisoit que la salle étoit toujours pleine. Le violon, la flûte, le hautbois, le tympanon, l'orgue, le chalumeau, tout étoit du genre féminin; c'étoit toujours sur le ton d'un rigodon, d'un menuet, qu'on prioit Dieu. Les actrices de ce spectacle spirituel n'étoient vues qu'au travers d'une grille. La musique des églises ordinaires ne manqua pas de participer à cette nouvelle corruption. Une messe chantée devint un spectacle pour les fidèles; on y trouva toutes les ariettes à la mode : le Kirie fut composé d'une kirielle de notes, et il n'y eut rien de plus gai qu'une élévation. Le plain-chant n'osa plus se montrer devant cette musique brillante; il se réfugia dans quelques cloîtres, où il fut comme enseveli. Hasse, Jumelli, Polli, Galuppi, et quelques autres, firent de vains efforts pour soutenir l'ancien goût; entraînés euxmêmes dans les volades et les passages, ils virent se multiplier d'une manière effrayante les notes dans les opéra le seul David Perez ne se laissa point aller à ce mauvais goût; sa musique tint constamment de celle de Vinci.

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L'Italie est, de tous les pays, celui où les femmes

b.

s'adonnent le plus à la musique théâtrale; elles apprennent par cœur une douzaine d'ariettes qui leur servent pour tous les opéra : ce magasin postiche de musique s'appelle, en termes de l'art, il quaresimale, nom qui a quelque analogie avec ces sermons de prédicateurs qui sont prêchés de ville en ville et qui paroissent toujours nouveaux parcequ'ils sont prononcés devant des auditeurs toujours nouveaux. Les plus célébres virtuoses eurent aussi leur quaresimale. Pour leur laisser le champ libre, et qu'elles pussent placer à volonté leurs ariettes favorites, les compositeurs se virent obligés de donner des opéra à fragments, où chacun plaçoit ses airs. L'Italie se peupla de théâtres; chaque capitale, chaque ville, chaque village voulut avoir le sien; et tandis que la France, que l'Angleterre, n'en avoient encore qu'un, Alexandrie, Bergame, Bologne, Brescia, Crémone, Ferrare, Florence, Gênes, Livourne, Lodi, Mantoue, Milan, Modène, Naples, Novarre, Parme, Pavie, Plaisance, Pise, Rome, Sienne, Turin, Trieste, Venise, Vérone, Rimini, Ancône, Pesaro, Reggio, etc., etc., avoient leur théâtre. Le pays du pape ouvrit lui-même vingt-quatre théâtres : c'étoit ouvrir une porte bien large à la débauche. Les compositeurs italiens s'étoient fait une manière expéditive d'écrire leurs opéra: il est rare qu'ils fassent eux-mêmes le récitatif, ils en abandonnent le soin à quelque subalterne; sur les quinze ou seize ariettes qui restent à faire, ils en travaillent trois, l'aria cantabile, l'aria di bravura, et il duetto; les autres ne sont que de petits menuets, des rondeaux ou autres bagatelles. en musique, qui ne signifient rien: lorsqu'on dit que

Boranello a fait cinquante opéra, cela veut dire qu'il a fait cent ariettes et autant de duo.

Il n'étoit permis qu'au primo uomo et à la prima donna de chanter dans un opéra; tout le reste devoit psalmodier: c'étoit une règle établie, et un compositeur qui l'auroit violée, eût été regardé comme un ignorant. Il devoit travailler avant tout à faire briller ces deux personnages; si le second soprano s'avisoit par hasard de mieux chanter que le premier, ou qu'une troisième actrice montrât plus de talent que la première, c'étoit une dissonance en musique capable de ruiner l'opéra : les deux premiers acteurs, qui ne veulent jamais être comparés aux seconds, se croyoient déshonorés par cette comparaison. La seconde actrice de l'opéra du théâtre du Cocombre, à Florence, ayant mieux chanté que la première, cette licence causa une révolution dans le spectacle : la prima donna se plaignit amèrement à l'entrepreneur de la violation de ses droits; il y eut des factum imprimés à ce sujet : S'il est permis, disoit-on, à une seconde actrice de chanter aussi bien que la première, qui voudra s'engager pour première chanteuse? Un étranger qui voyage en Italie court risque de faire deux cents lieues en entendant chaque soir le même opéra joué par des compagnies différentes. Un Anglois et un Italien qui s'étoient connus à Londres se rencontrent passé Turin; ils alloient à petites journées ; en arrivant à Milan, l'Italien méne l'Anglois au spectacle; on représentoit la Frascatana : à Bologne, c'est la Frascatana qu'on leur donne; à Ferrare on jouoit la Frascutana; à Venise ils entendent la

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