Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

La musique italienne ne s'étoit pas bornée à l'opéra, en Angleterre, elle étoit descendue du théâtre, et s'étoit retirée dans les jardins et les concerts publics, où elle étoit mise à nouveau prix. On voyoit une femme, un homme, et plus souvent encore un demi- ́ homme, exiger une somme considérable pour lire harmoniquement un papier qu'il tenoit à la main, en se dandinant: le spectateur ne payoit plus pour l'opéra, il achetoit l'ariette seule, qui, séparée de l'action et des agréments de la scène, étoit monotone, insipide et froide; et tandis que le chapitre de SaintPaul ne donnoit à un professeur en théologie que cinquante schellings, le dimanche au matin, pour expliquer à son auditoire quelques passages de la Bible, un professeur de musique recevoit, le lundi, cent livres sterling pour quelques instants de sa soirée. J'ai laissé un bras et une jambe en Amérique, disoit un officier, et ma journée ne m'a valu que cinq schellings, tandis que celle du musicien que je viens d'entendre, qui n'a laissé que deux ariettes autour du clavecin, lui vaut cinquante livres sterling.

Après la destruction des grandes républiques on ne chanta plus, car les barbares qui conquirent l'empire romain n'étoient pas de grands musiciens. Ce peuple ne cherchoit qu'à détruire; il ne pouvoit même subsister qu'en détruisant : voilà la cause première de ces ténébres épaisses qui se répandirent sur toute la terre. Ce ne fut point le hasard qui changea le système de l'univers; il y a toujours une cause première qui dirige les événements de ce monde. Nous ne parlerons point ici de la musique hébraïque,

grecque, et romaine, dont le P. Martini a savamment écrit l'histoire : il y a du chant des anciens au nôtre la même différence que de nous aux anciens. D'où est donc venue la musique moderne? Elle tire son origine du sacerdoce, qui tient toujours aux mœurs, aux manières et aux usages de chaque peuple. Lorsqu'une religion s'établit, il faut en adorer la divinité, sans quoi son culte finiroit d'abord. Cette adoration forme une espèce de chant, plus ou moins composé, selon le génie du peuple qui établit la croyance. La religion chrétienne s'étant élevée sur les ruines du paganisme, ses sectateurs chantèrent, ou, pour mieux dire, psalmodièrent les louanges du Seigneur; car c'est toujours la première musique d'un dogme nouveau : cette musique s'appela plain-chant. On ne sait point si le clergé chrétien, au moment de son établissement, éleva la voix vers le ciel par des cantiques, ou s'il attendit jusqu'au troisième siècle. Quoi qu'il en soit, s'il chanta, ce fut tout bas, de crainte que les empereurs ne l'entendissent. On sait les persécutions qu'éprouva cette Église naissante; les fidéles se retirèrent dans les souterrains, ou se cachèrent dans les caves, pour prier Dieu : or, si elle eut une musique, elle resta ensevelie dans ces antres sombres et obscurs où elle fut chantée. Les arts sont détruits tout d'un coup, et ne se rétablissent que par degrés: cependant le plain-chant vient de plus loin que la naissance du Fils de Dieu; les premiers chrétiens le tenoient des Grecs, comme nous le tenons des premiers chrétiens: c'est un reste précieux de la meilleure musique qui ait été chantée par des hommes, et qui, toute défigurée qu'elle est,

a des endroits très touchants pour ceux qui ont conservé quelque goût pour la belle nature. Comme l'Église grecque étoit différente de l'Église romaine, cette différence en a mis dans le plain-chant moderne; car on chante toujours comme on prie Dieu: il étoit impossible que ce chant ne dégénérât pas lorsqu'on l'employa à un idiome qui n'étoit pas celui pour lequel on l'avoit créé. Règle générale : toutes les fois qu'on fera passer une musique dans une langue étrangère, on affoiblira la musique et la langue. Le chant ayant été gâté, toute l'Église romaine psalmodia à-peu-près comme les capucins chantèrent depuis vêpres et complies. Ce mauvais goût ne fut pas universel; les prêtres prirent soin que tout ce qui restoit de ce chant ne pérît pas entièrement. C'est à eux que nous devons ces fragments précieux qui nous restent de cette mélodie. On croit qu'Ambroise, archevêque de Milan, en fut le premier restaurateur. Il est étonnant que l'histoire ecclésiastique, qui a ramassé tant de petites choses, ne nous ait pas conservé une des plus grandes. Il ne seroit pas indifférent pour les annales catholiques de connoître le nom de celui qui, le premier, apprit aux nations chrétiennes à prier Dieu à l'unisson. Le pape Grégoire acheva ce qu'Ambroise n'avoit fait que commencer; il n'éleva point l'édifice, il ne fit que mettre chaque pierre à sa place: ce chant d'église prit son nom; c'est qu'il y a des restaurateurs plus utiles que les fondateurs.

Lorsqu'un art reste dans sa première simplicité, on n'en parle point; dès qu'il se perfectionne, les disputes commencent. Les François ne voulurent pas

chanter comme les Italiens; les choses étoient fort irritées quand Charlemagne parut. Ce prince décida la question, et jugea le procès. L'acte qui contient sa sentence se trouve dans une lettre latine; on y lit que, Charles étant venu à Rome pour faire ses pâques, il s'éleva une guerre entre les Italiens et les François pour savoir qui chantoit le mieux. L'affaire fut portée devant le roi, qui leur fit d'abord cette question: Ditesmoi quelle est l'eau la plus claire et la plus pure? est-ce celle que l'on prend à la source d'une fontaine, ou celle des rigoles, qui n'en découle que de loin? Tous répondirent que c'étoit l'eau de source. Remontez donc, dit Charles, à la fontaine de saint Grégoire, dont vous avez altéré le chant. Le roi demanda des maîtres de musique au pape, pour redresser le chant françois. L'histoire a conservé le nom des deux maîtres de musique que le saint-père donna au roi de France, ce furent Théodore et Benoît: l'un fut envoyé à Metz et l'autre à Soissons.

Il est une autre musique d'église, antérieure au plain-chant, c'est celle des cantiques; le premier qu'on chanta et qu'on dansa tout ensemble fut sans doute le Cantique des cantiques. Les théologiens nous disent que cette pièce contient l'union de Jésus-Christ avec l'Église. L'abbé Cahusac mettoit le Cantique des cantiques au rang des meilleurs opéra de l'antiquité; il en admiroit le récitatif, les scènes, les ariettes, les duo et les chœurs. C'étoit une de ces visions qui finirent par aliéner entièrement son esprit. Cependant on ne connoissoit encore que le chant d'église, quand un essaim de troubadours, répandu dans les provinces

du midi de la France, fit entendre d'autres paroles et d'autres accords; les Provençaux parcoururent l'Europe avec leur musique et leur poésie. Ces nouveaux maîtres firent par-tout des élèves, et ces élèves devinrent eux-mêmes de nouveaux guides: les Siciliens sur-tout se distinguèrent, soit qu'ils dussent aux Provençaux la mélodie qu'ils donnoient à leurs chants, soit qu'ils l'eussent trouvée dans les inspirations du climat qui avoit échauffé le génie de Théocrite. Les Anglois notèrent les accents de cette première musique, et établirent ce que nous avons appelé depuis le contre-point; ainsi nous devons à cette nation les principes du chant. Les Flamands, peuples froids, comme les Allemands, furent les premiers maîtres des Italiens, quoique ceux-ci n'en conviennent pas. Leur musique étoit beaucoup moins avancée dans les quinzième et seizième siècles que celle des autres peuples de l'Europe; rien n'annonçoit qu'elle dût un jour servir à son tour de modèle. Le premier opéra qu'on vit sortir des débris du moyen âge fut donné à Florence. Il n'y a rien de plus absurde que cette composition; les Tartares feroient de meilleure musique : le contrepoint, la partie instrumentale, le chant, les récitatifs, tout y est mauvais. C'étoit cependant au temps des Médicis, dans le siècle où les arts jetèrent un si vif éclat. On a lieu d'être surpris que des souverains qui accordèrent aux arts une protection si éclairée aient négligé celui-ci au point qu'il portoit l'empreinte des âges barbares. L'esprit philosophique avoit pourtant éclairé le genre humain. Galilée enseignoit aux hommes le chemin du ciel; son génie s'élevoit jus

« VorigeDoorgaan »