Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

ne détourne pas du bien, ceux qui ne sont pas tellement occupés des fautes, qu'ils comptent pour rien ce qui les rachète; ceux enfin qui voudront bien chercher ici de quoi compenser les miennes, y trouveront peut-être assez de bons articles pour tolérer les mauvais, et, dans les mauvais même, assez d'observations neuves et vraies pour valoir la peine d'être triées et choisies parmi le reste. Les musiciens lisent peu, et cependant je connois peu d'arts où la lecture et la réflexion soient plus nécessaires. J'ai pensé qu'un ouvrage de la forme de celui-ci seroit précisément celui qui leur convenoit, et que, pour le leur rendre aussi profitable qu'il étoit possible, il falloit moins y dire ce qu'ils savent que ce qu'ils auroient besoin d'apprendre.

Si les manœuvres et les croque-notes relèvent souvent ici des erreurs, j'espère que les vrais artistes et les hommes de génie y trouveront des vues utiles dont ils sauront bien tirer parti. Les meilleurs livres sont ceux que le vulgaire décrie, et dont les gens à talent profitent sans en parler.

Après avoir exposé les raisons de la médiocrité de l'ouvrage, et celles de l'utilité que j'estime qu'on en peut tirer, j'aurois maintenant à entrer dans le détail de l'ouvrage même, à donner un précis du plan que je me suis tracé, et de la manière dont j'ai tâché de le suivre. Mais à mesure que les idées qui s'y rapportent se sont effacées de mon esprit, le plan sur lequel je les arrangeois s'est de même

* Dans une lettre à de Lalande, du mois de mars 1768 (t. xxvI.), ct dans le premier de ses Dialogues, Rousseau indique spécialement comme dignes d'une attention particulière et comme n'appartenant qu'à lui seul les articles de ce Dictionnaire se rapportant aux mots Accent, Consonnance, Dissonance, Expression, Fugue, Goût, Harmonie, Intervalle, Licence, Mode, Modulation, Opéra, Préparation, Récitatif, Son, Tempérament, Trio, Unité de mélodie, Voix, et sur-tout l'article Enhurmonique, dans lequel, dit-il, ce genre, jusqu'à présent très mal entendu, est mieux expliqué que dans aucun livre.

effacé de ma mémoire. Mon premier projet étoit d'en traiter si relativement les articles, d'en lier si bien les suites par des renvois, que le tout, avec la commodité d'un dictionnaire, eût l'avantage d'un traité suivi : mais pour exécuter ce projet il eût fallu me rendre sans cesse présentes toutes les parties de l'art, et n'en traiter aucune sans me rappeler les autres ; ce que le défaut de ressources et mon goût attiédi m'ont bientôt rendu impossible, et que j'eusse eu même bien de la peine à faire au milieu de mes premiers guides, et plein de ma première ferveur. Livré à moi seul, n'ayant plus ni savants ni livres à consulter; forcé, par conséquent, de traiter chaque article en lui-même, et sans égard à ceux qui s'y rapportoient, pour éviter des lacunes j'ai dû faire bien des redites. Mais j'ai cru que dans un livre de l'espèce de celui-ci, c'étoit encore un moindre mal de commettre des fautes que de faire des omissions.

Je me suis donc attaché sur-tout à bien compléter le Vocabulaire, et non seulement à n'omettre aucun terme technique, mais à passer plutôt quelquefois les limites de l'art que de n'y pas toujours atteindre, et cela m'a mis dans la nécessité de parsemer souvent ce dictionnaire de mots italiens et de mots grecs : les uns, tellement consacrés par l'usage, qu'il faut les entendre même dans la pratique; les autres, adoptés de même par les savants, et auxquels, vu la désuétude de ce qu'ils expriment, on n'a pas donné de synonymes en françois. J'ai tâché cependant de me renfermer dans ma règle, et d'éviter l'excès de Brossard, qui, donnant un dictionnaire françois, en fait le vocabulaire tout italien, et l'enfle de mots absolument étrangers à l'art qu'il traite. Car qui s'imaginera jamais que la vierge, les apôtres, la messe, les morts, soient des termes de musique, parcequ'il y a des musiques relatives à ce qu'ils expriment; que ces autres mots, page, feuillet, quatre, cinq, gosier,

raison, déja, soient aussi des termes techniques, parcequ'on s'en sert quelquefois en parlant de l'art?

Quant aux parties qui tiennent à l'art sans lui être essentielles, et qui ne sont pas absolument nécessaires à l'intelligence du reste, j'ai évité, autant que j'ai pu, d'y entrer. Telle est celle des instruments de musique, partie vaste, et qui rempliroit seule un dictionnaire, sur-tout par rapport aux instruments des anciens. M. Diderot s'étoit chargé de cette partie de l'Encyclopédie; et comme elle n'entroit pas dans mon premier plan, je n'ai eu garde de l'y ajouter dans la suite, après avoir si bien senti la difficulté d'exécuter ce plan tel qu'il étoit.

J'ai traité la partie harmonique dans le système de la basse fondamentale, quoique ce système, imparfait et défectueux à tant d'égards, ne soit point, selon moi, celui de la nature et de la vérité, et qu'il en résulte un remplissage sourd et confus, plutôt qu'une bonne harmonie: mais c'est un système enfin ; c'est le premier, et c'étoit le seul, jusqu'à celui de M. Tartini, où l'on ait lié par des principes ces multitudes de règles isolées qui sembloient toutes arbitraires, et qui faisoient de l'art harmonique une étude de mémoire plutôt que de raisonnement. Le système de M. Tartini, quoique meilleur à mon avis, n'étant pas encore aussi généralement connu, et n'ayant pas, du moins en France, la même autorité que celui de M. Rameau, n'a pas dû lui être substitué dans un livre destiné principalement pour la nation françoise. Je me suis donc contenté d'exposer de mon mieux les principes de ce système dans un article de mon Dictionnaire; et du reste j'ai cru devoir cette déférence à la nation pour laquelle j'écrivois, de préférer son sentiment au mien sur le fond de la doctrine harmonique. Je n'ai pas dû cependant m'abstenir, dans l'occasion, des objections nécessaires à l'intelligence

des articles que j'avois à traiter : c'eût été sacrifier l'utilité du livre au préjugé des lecteurs; c'eût été flatter sans instruire, et changer la déférence en lâcheté.

J'exhorte les artistes et les amateurs de lire ce livre sans défiance, et de le juger avec autant d'impartialité que j'en ai mis à l'écrire. Je les prie de considérer que, ne professant pas, je n'ai d'autre intérêt ici que celui de l'art; et, quand j'en aurois, je devrois naturellement appuyer en faveur de la musique françoise, où je puis tenir une place, contre l'italienne, où je ne puis être rien. Mais cherchant sincèrement le progrès d'un art que j'aimois passionnément, mon plaisir a fait taire ma vanité. Les premières habitudes m'ont long-temps attaché à la musique françoise, et j'en étois enthousiaste ouvertement. Des comparaisons attentives et impartiales m'ont entraîné vers la musique italienne, et je m'y suis livré avec la même bonne foi. Si quelquefois j'ai plaisanté, c'est pour répondre aux autres sur leur propre ton; mais je n'ai pas, comme eux, donné des bons mots pour toute preuve, et je n'ai plaisanté qu'après avoir raisonné. Maintenant que les malheurs et les maux m'ont enfin détaché d'un goût qui n'avoit pris sur moi que trop d'empire, je persiste, par le seul amour de la vérité, dans les jugements que le seul amour de l'art m'avoit fait porter. Mais, dans un ouvrage comme celui-ci, consacré à la musique en général, je n'en connois qu'une, qui, n'étant d'aucun pays, est celle de tous; et je n'y suis jamais entré dans la querelle des deux musiques que quand il s'est agi d'éclaircir quelque point important au progrès commun. J'ai fait bien des fautes, sans doute, mais je suis assuré que la partialité ne m'en a pas fait commettre une seule. Si elle m'en fait imputer à tort par les lecteurs, qu'y puis-je faire? ce sont eux alors qui ne veulent pas que mon livre leur

soit bon.

Si l'on a vu, dans d'autres ouvrages, quelques articles peu importants qui sont aussi dans celui-ci, ceux qui pourront faire cette remarque voudront bien se rappeler que, dès l'année 1750, le manuscrit est sorti de mes mains sans que je sache ce qu'il est devenu depuis ce temps-là. Je n'accuse personne d'avoir pris mes articles; mais il n'est pas juste que d'autres m'accusent d'avoir pris les leurs.

Motiers-Travers, le 20 décembre 1764.

« VorigeDoorgaan »