Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

tième en dessous du son principal, mais qu'elle est commune à tous ses multiples; d'où il suit que, les intervalles de douzième et de dix-septième en dessous n'étant pas uniques en leur manière, on n'en peut rien conclure en faveur de l'accord parfait mineur qu'ils représentent.

Quand on supposeroit la vérité de cette expérience, cela ne léveroit pas à beaucoup près les difficultés. Si, comme le prétend M. Rameau, toute l'harmonie est dérivée de la résonnance du corps sonore, il n'en dérive donc point des seules vibrations du corps sonore qui ne résonne pas. En effet, c'est une étrange théorie de tirer de ce qui ne résonne pas les principes de l'harmonie; et c'est une étrange physique de faire vibrer et non réson · ner le corps sonore, comme si le son lui-même étoit autre chose que l'air ébranlé par ces vibrations. D'ailleurs le corps sonore ne donne pas seulement, outre le son principal, les sons qui composent avec lui l'accord parfait, mais une infinité d'autres sons, formés par toutes les aliquotes du corps sonore, lesquels n'entrent point dans cet accord parfait. Pourquoi les premiers sont-ils consonnants, et pourquoi les autres ne le sont-ils pas, puisqu'ils sont tous également donnés par la na

ture?

Tout son donne un accord vraiment parfait, puisqu'il est formé de tous ses harmoniques, et

que c'est par eux qu'il est un son: cependant ces harmoniques ne s'entendent pas, et l'on ne distingue qu'un son simple, à moins qu'il ne soit extrêmement fort; d'où il suit que la seule bonne harmonie est l'unisson, et qu'aussitôt qu'on distingue les consonnances, la proportion naturelle étant altérée, l'harmonie a perdu sa pureté.

Cette altération se fait alors de deux manières. Premièrement, en faisant sonner certains harmoniques, et non pas les autres, on change le rapport de force qui doit régner entre eux tous, pour produire la sensation d'un son unique, et l'unité de la nature est détruite. On produit, en doublant ces harmoniques, un effet semblable à celui qu'on produiroit en étouffant tous les autres; car alors il ne faut pas douter qu'avec le son générateur on n'entendît ceux des harmoniques qu'on auroit laissés; au lieu qu'en les laissant tous, ils s'entredétruisent, et concourent ensemble à produire et renforcer la sensation unique du son principal. C'est le même effet que donne le plein jeu de l'orgue, lorsqu'ôtant successivement les registres, on laisse avec le principal la doublette et la quinte; car alors cette quinte et cette tierce, qui restoient confondues, se distinguent séparément et désagréablement.

De plus, les harmoniques qu'on fait sonner ont eux-mêmes d'autres harmoniques, lesquels ne le

sont pas du son fondamental: c'est par ces harmoniques ajoutés que celui qui les produit se distingue encore plus durement; et ces mêmes harmoniques qui font ainsi sentir l'accord n'entrent point dans son harmonie. Voilà pourquoi les consonnances les plus parfaites déplaisent naturellement aux oreilles peu faites à les entendre, et je ne doute pas que l'octave elle-même ne déplût comme les autres, si le mélange des voix d'hommes et de femmes n'en donnoit l'habitude dès l'enfance.

C'est encore pis dans la dissonance, puisque, non seulement les harmoniques du son qui la donnent, mais ce son lui-même n'entre point dans le système harmonieux du son fondamental; ce qui fait que la dissonance se distingue toujours d'une manière choquante parmi tous les autres

sons.

Chaque touche d'un orgue, dans le plein-jeu, donne un accord parfait tierce majeure, qu'on ne distingue pas du son fondamental, à moins qu'on ne soit d'une attention extrême et qu'on ne tire successivement les jeux; mais ces sons harmoniques ne se confondent avec le principal qu'à la faveur du grand bruit et d'un arrangement de registres par lequel les tuyaux qui font résonner le son fondamental couvrent de leur force ceux qui donnent ses harmoniques. Or, on n'observe point

et l'on ne sauroit observer cette proportion continuelle dans un concert, puisque, attendu le renversement de l'harmonie, il faudroit que cette plus grande force passât à chaque instant d'une partie à une autre; ce qui n'est pas praticable, et défigureroit toute la mélodie.

Quand on joue de l'orgue, chaque touche de la basse fait sonner l'accord parfait majeur; mais parceque cette basse n'est pas toujours fondamentale, et qu'on module souvent en accord parfait mineur, cet accord parfait majeur est rarement celui que frappe la main droite; de sorte qu'on entend la tierce mineure avec la majeure, la quinte avec le triton, la septième superflue avec l'octave, et mille autres cacophonies, dont nos oreilles sont peu choquées, parceque l'habitude les rend accommodantes; mais il n'est point à présumer qu'il en fût ainsi d'une oreille naturellement juste, et qu'on mettroit pour la première fois à l'épreuve de cette harmonie.

M. Rameau prétend que les dessus d'une certaine simplicité suggèrent naturellement leur basse, et qu'un homme, ayant l'oreille juste et non exercée, entonnera naturellement cette basse. C'est là un préjugé de musicien démenti par toute expérience. Non seulement celui qui n'aura jamais entendu ni basse ni harmonie ne trouvera de luimême ni cette harmonie ni cette basse, mais

elles lui déplairont si on les lui fait entendre, et il aimera beaucoup mieux le simple unisson.

Quand on songe que, de tous les peuples de la terre, qui tous ont une musique et un chant, les Européens sont les seuls qui aient une harmonie, des accords, et qui trouvent ce mélange agréable; quand on songe que le monde a duré tant de siècles, sans que, de toutes les nations qui ont cultivé les beaux arts, aucune ait connu cette harmonie; qu'aucun animal, qu'aucun oiseau, qu'aucun être dans la nature ne produit d'autre accord que l'unisson, ni d'autre musique que la mélodie; que les langues orientales, si sonores, si musicales; que les oreilles grecques, si délicates, si sensibles, exercées avec tant d'art, n'ont jamais guidé ces peuples voluptueux et passionnés vers notre harmonie; que sans elle leur musique avoit des effets si prodigieux; qu'avec elle la nôtre en a de si foibles; qu'enfin il étoit réservé à des peuples du Nord, dont les organes durs et grossiers sont plus touchés de l'éclat et du bruit des voix que de la douceur des accents et de la mélodie des inflexions, de faire cette grande découverte et de la donner pour principe à toutes les règles de l'art; quand, dis-je, on fait attention à tout cela, il est bien difficile de ne pas soupçonner que toute notre harmonie n'est qu'une invention gothique et barbare, dont nous ne nous fussions jamais

« VorigeDoorgaan »