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les unissant par le sens commun qu'elles doivent former, et en mettant la chose à la place du signe. C'est ainsi que la mémoire du lecteur ne l'aide pas moins que ses yeux, et qu'il liroit avec peine une langue inconnue, quoique écrite avec les mêmes caractères, et composée des mêmes mots qu'il lit couramment dans la sienne.

EXPRESSION, s. f. Qualité par laquelle le musicien sent vivement et rend avec énergie toutes les idées qu'il doit rendre, et tous les sentiments qu'il doit exprimer. Il y a une expression de composition et une d'exécution, et c'est de leur concours que résulte l'effet musical le plus puissant et le plus agréable.

Pour donner de l'expression à ses ouvrages, le compositeur doit saisir et comparer tous les rapports qui peuvent se trouver entre les traits de son objet et les productions de son art; il doit connoître ou sentir l'effet de tous les caractères, afin de porter exactement celui qu'il choisit au degré qui lui convient; car, comme un bon peintre ne donne pas la même lumière à tous ses objets, l'habile musicien ne donnera pas non plus la même énergie à tous ses sentiments, ni la même force à tous ses tableaux, et placera chaque partie au lieu qui convient, moins pour la faire valoir seule que pour donner un plus grand effet au tout.

Après avoir bien vu ce qu'il doit dire, il cherche

comment il le dira; et voici où commence l'application des préceptes de l'art, qui est comme la langue particulière dans laquelle le musicien veut se faire entendre.

La mélodie, l'harmonie, le mouvement, le choix des instruments et des voix, sont les éléments du langage musical; et la mélodie, par son rapport immédiat avec l'accent grammatical et oratoire, est celui qui donne le caractère à tous les autres. Ainsi c'est toujours du chant que se doit tirer la principale expression, tant dans la musique instrumentale que dans la vocale.

Ce qu'on cherche donc à rendre par la mélodie, c'est le ton dont s'expriment les sentiments qu'on veut représenter; et l'on doit bien se garder d'imiter en cela la déclamation théâtrale, qui n'est elle-même qu'une imitation, mais la voix de la nature parlant sans affectation et sans art. Ainsi le musicien cherchera d'abord un genre de mélodie qui lui fournisse les inflexions musicales les plus convenables au sens des paroles, en subordonnant toujours l'expression des mots à celle de la pensée, et celle-ci même à la situation de l'ame de l'interlocuteur: car, quand on est fortement affecté, tous les discours que l'on tient prennent, pour ainsi dire, la teinte du sentiment général qui domine en nous, et l'on ne querelle point ce qu'on aime du ton dont on querelle un indifférent.

son,

La parole est diversement accentuée selon les diverses passions qui l'inspirent, tantôt aiguë et véhémente, tantôt remisse et lâche, tantôt variée et impétueuse, tantôt égale et tranquille dans ses inflexions. De là le musicien tire les différences des modes de chant qu'il emploie et des lieux divers dans lesquels il maintient la voix, la faisant procéder dans le bas par de petits intervalles pour exprimer les langueurs de la tristesse et de l'abattement, lui arrachant dans le haut les sons aigus de l'emportement et de la douleur, et l'entraînant rapidement, par tous les intervalles de son diapadans l'agitation du désespoir ou l'égarement des passions contrastées. Sur-tout il faut bien observer que le charme de la musique ne consiste pas seulement dans l'imitation, mais dans une imitation agréable, et que la déclamation même, pour faire un si grand effet, doit être subordonnée à la mélodie; de sorte qu'on ne peut peindre le sentiment sans lui donner ce charme secret qui en est inséparable, ni toucher le cœur si l'on ne plaît à l'oreille. Et ceci est encore très conforme à la nature, qui donne au ton des personnes sensibles je ne sais quelles inflexions touchantes et délicieuses que n'eut jamais celui des gens qui ne sentent rien. N'allez donc pas prendre le baroque pour l'expressif, ni la dureté pour de l'énergie, ni donner un tableau hideux des passions que vous

voulez rendre, ni faire, en un mot, comme à l'Opéra françois, où le ton passionné ressemble aux cris de la colique bien plus qu'aux transports de l'amour.

Le plaisir physique qui résulte de l'harmonie augmente à son tour le plaisir moral de l'imitation, en joignant les sensations agréables des accords à l'expression de la mélodie par le même principe dont je viens de parler. Mais l'harmonie fait plus encore; elle renforce l'expression même en donnant plus de justesse et de précision aux intervalles mélodieux; elle anime leur caractère, et, marquant exactement leur place dans l'ordre de la modulation, elle rappelle ce qui précède, annonce ce qui doit suivre, et lie ainsi les phrases dans le chant, comme les idées se lient dans le discours. L'harmonie, envisagée de cette manière, fournit au compositeur de grands moyens d'expression, qui lui échappent quand il ne cherche l'expression que dans la seule harmonie; car alors, au lieu d'animer l'accent, il l'étouffe par ses accords, et tous les intervalles, confondus dans un continuel remplissage, n'offrent à l'oreille qu'une suite de sons fondamentaux qui n'ont rien de touchant ni d'agréable, et dont l'effet s'arrête au

cerveau.

Que fera donc l'harmoniste pour concourir à l'expression de la mélodie et lui donner plus d'effet?

il évitera soigneusement de couvrir le son principal dans la combinaison des accords; il subordonnera tous ses accompagnements à la partie chantante; il en aiguisera l'énergie par le concours des autres parties; il renforcera l'effet de certains passages par des accords sensibles; il en dérobera d'autres par supposition ou par suspension, en les comptant pour rien sur la basse; il fera sortir les expressions fortes par des dissonances majeures; il réservera les mineures pour des sentiments plus doux: tantôt il liera toutes ces parties par des sons continus et coulés; tantôt il les fera contraster sur le chant par des notes piquées; tantôt il frappera l'oreille par des accords pleins; tantôt il renforcera l'accent par le choix d'un seul intervalle : par-tout il rendra présent et sensible l'enchaînement des modulations, et fera servir la basse et son harmonie à déterminer le lieu de chaque passage dans le mode, afin qu'on n'entende jamais un intervalle ou un trait de chant sans sentir en même temps son rapport avec le tout.

A l'égard du rhythme, jadis si puissant pour donner de la force, de la variété, de l'agrément à l'harmonie poétique, si nos langues, moins accentuées et moins prosodiques, ont perdu le charme qui en résultoit, notre musique en substitue un autre plus indépendant du discours dans l'égalité de la mesure, et dans les diverses combinaisons

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