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que le choléra peut, dans certaines circonstances, se transmettre par contagion; mais ce que je ne puis admettre, c'est

qu'il serait importé par la voie de la contagion de l'Orient dans nos contrées. En effet, vous voyez quelquefois une ville entière sous l'influence de l'épidémie; vous y constatez des centaines de cas de diarrhée, de vomissements et d'embarras dans les voies digestives; il répugne à ma raison d'admettre que toutes ces personnes aient été à la fois en rapport avec d'autres qui y auraient apporté le choléra des contrées voisines. Sans doute, les déjections peuvent développer le poison cholérigène et déterminer le choléra; il en est de cette épidémie, comme de toutes les autres maladies infectieuses le typhus apparaît dans une localité et il n'est pas rare de voir les personnes qui soignent les typhisés être atteints du typhus; mais je le répète, l'importation du choléra dans notre pays ne me paraît pas se faire par la contagion, mais bien par des circonstances atmosphériques encore mal définies.

Je partage complètement l'avis de M. Gluge: il y aurait les plus graves dangers à inculquer dans l'esprit du public l'idée que le choléra se transmet par contagion; quel avantage pourrait-on en retirer? Parviendrez-vous à isoler lout le monde? Ne craignez vous pas qu'on laisse sans secours les malheureux qui seraient atteints du choléra? Établirez-vous aux frontières des cordons sanitaires? Défendrez-vous aux médecins qui ont soigné des cholériques de pratiquer leur art? En effet, qui peut, par les vêtements, etc., transporter dans les maisons le cholera avec plus de promptitude que le médecin? mais qu'on se rassure, si le choléra est contagieux, il ne l'est qu'exceptionnellement; car, bien peu de médecins et bien peu de prêtres ont succombé à cette maladie dans les diverses épidémies que nous avons traversées. Je ne vois pas

l'utilité qu'il pourrait y avoir à déclarer que le choléra est contagieux ou n'est pas contagieux; mais ce qui me paraît important, c'est de rechercher les moyens propres à procurer l'immunité des individus pour le choléra. Ces moyens existent-ils? Je vous ai lu dans une des dernières séances une note sur l'immunité dont les ouvriers qui travaillent dans les usines où se développe de l'acide sulfureux, ont joui dans toutes les épidémies de choléra. L'expérience a constaté, du reste, que l'acide sulfureux est l'agent le plus efficace pour détruire les microphytes et les infusoires qui déterminent, suivant Pasteur, les fermentations et la putréfaction.

Je vais vous donner lecture d'un rapport du gouverneur de la province de Namur, qui constate que jamais, dans les fabriques de produits chimiques qui y sont assez nombreuses, on n'a observé aucun cas de choléra. Je ne vois pas pourquoi on ne ferait pas faire une enquête dans cette province à l'effet de vérifier si les faits avancés par les documents officiels sont exacts ou ne le sont pas. La question fondamentale qui est aujourd'hui sur le tapis, c'est de rechercher les moyens propres à empêcher le poison cholérigène de produire ses effets et de déterminer le choléra. Peu importe après cela que le choléra se développe par infection ou par contagion.

L'honorable M. Crocq se plaçant à un point de vue purement théorique, a rangé tous les antiseptiques sur la même ligne; il a attribué leur efficacité à la faculté qu'ils possèdent tous de coaguler l'albumine des matières organiques. Un chimiste français, M. Lacretelle, a avancé la même opinion. Suivant lui, les acides empêcheraient les fermentations en coagulant l'albumine dont les microphytes sont composés et les rendraient impropres à déterminer les fermentations.

Je n'ai, dans ces questions, qu'une confiance relative dans les théories et j'aime mieux m'en rapporter à l'observation:

il est possible que tous les antiseptiques agissent de la même manière; mais ce que je sais bien, c'est que l'acide sulfureus préserve mieux la viande de la putréfaction que d'autres agents qu'on a préconisés; ce que je sais encore, c'est que les établissements où il se dégage de l'acide sulfureux ou sulfurique, mettent les ouvriers qui y travaillent à l'abri du choléra. Or, je n'aime pas beaucoup à raisonner les faits, et à étendre leur signification à d'autres faits analogues, mais qui peuvent ne pas être semblables. Toujours est-il que l'emploi de l'acide sulfureux est plus facile et moins dangereux que celui des autres acides.

Je vous ai signalé, messieurs, dans une de vos dernières séances, le danger que présentent les vapeurs aqueuses: il n'y a, suivant moi, aucune circonstance aussi active que celle-là pour développer le choléra. En effet, on a constaté dans tous les pays, que le choléra suivait les cours d'eau. Le fait est exact et si quelquefois il se développe dans des localités élevées, cherchez bien et vous trouverez dans ces localités des sources d'émanations aqueuses abondantes.

Il en est de même pour les maisons; qu'une maison se trouve en face d'un regard d'égout ou bien en face d'un cana! à eau chaude, vous devez craindre que le choléra ne s'y manifeste. J'ai vu des maisons d'ouvriers où l'on faisait la cuisine dans les lieux où l'on dormait, être décimées par le choléra. Je ne tarirais pas, si je voulais vous exposer tous les fails de cette nature qui ont été soumis à mon observation; mais remarquez-le bien, c'est la vapeur d'eau plus ou moins échauffée, qu'il faut craindre par-dessus tout, et je suis disposé à attribuer à l'eau qui s'évapore des poumons dans l'acte de la respiration, les cas de choléra qui se développent à la suite des grandes réunions ou dans les maisons encombrées. Pour mon compte, je crains plus là vapeur d'eau que

les matières stercoralés qui ne sont pas putréfiées. On sait du reste que la vapeur d'eau jouit de la propriété de bâter la putréfaction des matières organiques.

Vous allez, messieurs, faire une instruction. C'est bien; mais faites-là aussi brève que possible pour qu'on la lise et pour qu'on s'y conforme, cherchez à n'y introduire que les points les plus essentiels et non à fixer l'attention du lecteur sur ceux qu'il ne pourra discerner si vous lui étalez une une longue pancarte de préceptes d'hygiène.

(M. Gouzée remplace M. Vleminckx au fauteuil.)

M. Vleminckx : Je crois que la discussion continuera à la prochaine séance, puisque M. Lefebvre s'est fait inscrire et que M. Lequime a aussi un discours à prononcer. Je pense également que vous voudrez nommer le plus tôt possible. la Commission chargée de reviser les instructions données naguères, relativement au choléra, tant par l'Académie que par le Conseil supérieur d'hygiène, mais je préviens M. Craninx qu'il y aurait un certain danger à inscrire en tête de ces instructions: « Le choléra est contagieux. » Je ne crois même pas que vous ayez le droit de le faire. Il a été admis de tous temps que les Académies sont sans mission pour proclamer des principes ex cathedra. Vous ne pouvez, si je suis de la minorité, engager mon vote. La majorité ne peut pas proclamer que le choléra est contagieux, quand il y aura peut-être à côté d'elle, une grande minorité qui ne partagera pas cet avis..

Ce n'est pas la première fois que des questions semblables se présentent. Dans certaines circonstances, nous avons été conduits à juger des doctrines; l'homoeopathie, par exemple; mais personne n'a osé proposer de proclamer que c'était une nullité, quoique la plupart fussent de cet avis.

Je pourrais vous citer, comme preuve du danger de pro

clamer des doctrines, des faits remontant au siècle dernier, notamment le fait de l'ancienne Académie de Paris proscrivant certains médicaments qui sont devenus plus tard des médicaments usuels.

J'engage la Commission qui aura à examiner les instructions à donner au peuple et au Gouvernement, à peser ces considérations. Quant à moi, je la combattrais, si elle venait nous proposer de poser des principes. Je persiste à croire qu'une Académie n'a pas le droit de dire: « Voilà un fait scientifique par excellence; là est la vérité. »

M. Laussedat: Les observations que vient de nous soumettre M. le Président sont d'un ordre supérieur et d'une importance qu'on ne saurait trop signaler. Mais ce n'est pas sur ce terrain que je veux appeler l'attention de l'Académie. Comme je vois qu'il s'agit de nommer une Commission chargée de réviser les instructions au point de vue sanitaire, j'appellerai l'attention de cette Commission surtout sur l'examen des questions des cas d'immunité. Car si l'on pouvait arriver à être certain que des conditions bien déterminées constituent l'immunité, il vaudrait mieux étudier et indiquer ces conditions, que de se jeter dans un domaine un peu hypothétique peut-être.

On a cité des individus, des ouvriers se livrant à certaines industries et qui avaient joui de l'immunité. Il y a eu à Paris, dans l'épidémie de 1832, un fait remarquable. Le quartier du Gros caillou fut infecté du choléra, et les cigariers travaillant à l'établissement de ce quartier ont en général été exempts. Les égoutiers, qui sont dans des conditions d'insalubrité notoire, ont généralement aussi joui de l'immunité. Un de nos collègues faisait observer que certains gaz, notamment les gaz sulfuriques, étaient des désinfectants. Voyez comment ces idées se lient et les choses également.

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