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Ce procédé, dont on ne niera pas la simplicité, me parait applicable, non-seulement à la guerre, mais encore aux temps d'épidémies: il obvie à la nécessité des inhumations précipitées.

En médecine légale, il rendra de grands services en atténuant le danger des autopsies tardives. Quel est le garde champêtre qui ne pourrait recourir à ce procédé en attendant l'arrivée du médecin légiste? Un navigateur succombe-t-il pendant la traversée, il sera possible de le garder à bord et de rendre sa dépouille à sa famille.

M. le Président : Je remercie M. Guillery, au nom de l'Académie, de la communication qu'il a bien voulu nous faire.

2. RAPPORT de M. CROCQ sur l'observation de laryngite phlegmoneuse, soumise à l'Académie par M. le docteur

LEGROS.

Messieurs,

Le sujet de cette observation fut pris d'une fièvre typhoïde grave, suivie du développement d'une laryngite aiguë, qui amena, au bout de trois jours, une asphyxie imminente. La laryngotomie cricoïdienne fut pratiquée le 19 mars 1869, et une canule métallique double fut introduite et maintenue à demeure dans la plaie. Le gonflement inflammatoire du larynx devint chronique et ne fit qu'augmenter, à tel point que six mois après l'opération on ne pouvait retirer la canule sans produire immédiatement des phénomènes d'asphyxie. L'isthme du gosier, les amygdales, le pharynx étaient enflammés, et ce dernier rempli de mucosités abondantes. La région du larynx était énormément tuméfiée.

De concert avec notre honorable collègue, M. Graux, M. Legros fit faire deux applications de sangsues et prescrivit des gargarismes émollients d'abord, et ensuite astringents. Sous l'influence de ces moyens, l'inflammation diminua beaucoup d'intensité, et on put procéder à l'examen laryngoscopique, qui démontra un gonflement considérable étendu à toute la partie supérieure du larynx et des fongosités nombreuses à sa surface. M. Legros tenta de remédier à cet état en procédant à la dilatation par l'éponge préparée et à la cautérisation au moyen du nitrate d'argent. Il dut toutefois se borner à celle-ci, le patient ne supportant pas la dilatation. Il obtint ainsi une. diminution dans les phénomènes qui lui faisait espérer la gué-rison de cette grave maladie. Malheureusement, le 2 février 1870, à peu près un an après l'opération, le malade, ayant retiré la canule interne pour la nettoyer, fut pris subitement d'un violent accès de suffocation, qui cessa après que, par de grands efforts, il fut parvenu à la remettre en place.

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M. Legros, pour se rendre compte de ces phénomènes, retira les deux canules et vit avec stupéfaction que l'interne avait enterne perdu son tube et qu'il n'en restait plus que le pavillon. Où était donc le tube? On ne le retrouva nulle part; l'instrument n'avait pas quitté le cou du malade, le tube devait donc avoir passé dans les voies aériennes. MM. Graux et Legros pratiquèrent, en conséquence, la trachéotomie et allèrent à la recherche du corps. étranger, mais sans parvenir à le toucher. Le malade se rétablit assez bien, une nouvelle canule ayant été placée; seulement il ne pouvait plus se coucher sur le côté gauche sans être étouffé et sans ressentir de la douleur à la partie supérieure gauche de la poitrine. La percussion et l'auscultation ne fournis. saient aucun résultat. M. Legros crut dès lors à la présence du tube dans la bronche gauche, opinion qui, toutefois, ne fut pas partagée par la plupart des médecins qui virent le malade.

Le 10 février, une bronchite se déclara et il s'en produisit successivement quatre, depuis cette époque jusqu'au mois d'août. Toutes étaient unilatérales, accompagnées d'un peu d'expectoration sanguinolente et de râles limités au sommet du poumon gauche. La dernière donna lieu à une pneumonie qui passa rapidement à suppuration et amena la formation d'une caverne. Le malade succomba dix mois plus tard, au milieu des phénomènes de la consomption pulmonaire.

L'autopsie révéla deux faits principalement intéressants : la présence de la canule dans la bronche gauche, et la formation de tubercules miliaires dans les deux poumons.

La canule est engagée tout entière dans les bronches, de manière à pouvoir s'y déplacer facilement et à laisser passer l'air par sa cavité, remplissant ainsi l'office du tuyau bronchique. C'est ce que vous pouvez constater sur la pièce anatomique que j'ai ici sous la main.

Les annales de la science nous offrent quelques cas, assez clairsemés toutefois, de corps étrangers qui ont séjourné fort longtemps dans les voies aériennes. Je vous rappellerai ici seulement quelques-uns des principaux.

Louis rapporte un cas où un louis d'or y resta à peu près cinq ans ; il fut, à l'autopsie, trouvé à la première bifurcation des bronches du côté droit; le poumon droit était presque entièrement détruit par la suppuration. Sue présenta à l'Académie de chirurgie de Paris une jeune fille qui avait avalé, à l'âge de 8 à 9 ans, un os du croupion d'un pigeon, lequel passa dans la trachée artère. A 16 ans survint une hémoptysie, et quoique le corps étranger eût été rejeté dix ans plus tard, à l'âge de 26 ans, après dix-sept ans de séjour dans la poitrine, la patiente succomba à la consomption pulmonaire dix-huit mois plus tard. Dupuytren raconte qu'il a vu une pièce de 50 centimes séjourner pendant dix ans dans les bronches, et amener

aussi la mort par consomption pulmonaire; la pièce fut retrouvée au milieu d'une caverne. Royer-Collard présenta, en 1826, à la Société anatomique de Paris deux cas intéressants. Dans le premier, un clou d'un pouce et demi de longueur était engagé dans la bronche gauche. Dans le second, un fragment d'os de côtelette était resté pendant dix ans dans un tuyau bronchique. Ces corps étrangers paraissent n'avoir provoqué aucun accident. Brodie, en 1845, Delasiauve, en 1856, produisirent des faits analogues. Toutefois, la plupart du temps, les corps étrangers engagés dans les bronches ne restent nullement inoffensifs; au bout d'un temps plus ou moins long, ils amènent une pneumonie qui passe à l'état chronique et qui peut conduire ultérieurement au développement de la phthisie pulmonaire. C'est ce que nous avons vu survenir dans les cas de Sue et de Dupuytren; c'est encore ce qui fut noté dans le cas rapporté par Rose, en 1844, dans le Provincial medical Journal. Il s'agit dans ce cas d'un enfant de 6 ans, chez lequel un fruit de hêtre s'introduisit dans les voies aériennes. Seulement un an et demi plus tard survinrent des accidents consistant en une toux intense accompagnée d'une expectoration purulente abondante. Au bout de quelque temps, ces accidents cessèrent, mais ils se reproduisirent à différentes reprises, jusqu'à ce qu'un beau jour le fruit, cause de tous ces désordres, fut expulsé par un violent accès de toux, après quoi l'enfant se rétablit définitivement. Le corps étranger était resté dans les bronches pendant dix ans. Le fait relaté par M. Legros offre des circonstances spéciales qui le rendent unique dans son genre et tout particulièrement intéressant. C'est d'abord la nature et l'origine du corps étranger, une canule trachéale détachée de son pavillon. Ce détachement est dû à un vice de construction de la canule, trop amincie à l'endroit où elle s'unit au pavillon et susceptible par là d'une usure facile. Ce vice de

construction mérite à coup sûr la plus sérieuse attention de la part des opérateurs et des fabricants d'instruments. C'est ensuite le fait même de cette canule encastrée dans le tube bronchique de manière à laisser l'air librement circuler dans. sa cavité on comprend que, dans ces conditions, lorsqu'il n'y avait pas de phénomènes inflammatoires, la percussion et l'auscultation, pratiquées même avec la plus grande attention, ne devaient fournir aucun résultat; c'est ce qui a été constaté plusieurs fois.

Quant à cette pneumonie traumatique, due à une cause. locale que les observateurs ont vu souvent amener à sa suite la tuberculisation miliaire étendue aux deux poumons, elle est due évidemment à la résorption des produits de l'inflammation et à leur transport dans le système vasculaire. A ce point de vue, ces faits viennent confirmer de la façon la plus éclatante les observations, les expériences et les idées de Buhl, de Lebert, de Niemeyer et de Waldenburg sur l'origine et la genèse de la tuberculose.

Comme vous le voyez, Messieurs, cette observation, recueillie, du reste, avec soin, présente, à de nombreux points de vue, un grand intérêt. J'ai donc l'honneur de vous proposer d'adresser des remerciments à M. le docteur Legros et d'imprimer son travail dans notre Bulletin.

M. Lefebvre ; A propos de la communication extrêmemeut intéressante de M. Legros et du rapport de M. Crocq, je crois que l'Académie ferait bien de demander à l'un de ses membres de lui communiquer le fait d'un de ses enfants qui a été pris d'accidents graves à la suite de l'introduction d'une plume métallique dans les voies pulmonaires. J'ai observé cet enfant pendant le cours des accidents.

Ce membre est M. Cousot.

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