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à Schiras, dans un lit, toute couverte de fueur, & prefque morte de faim.

Je demandai à manger. On m'en donna fi fobrement, que je vis bien qu'on s'imaginoit que j'étois malade. Mon père, ma foeur, & le médecin, qui étoient préfens, m'affurèrent que j'avois été trois jours fans. mouvement & pref que fans pouls. Je leur dis qu'apparemment quelque fantôme qui avoit paru à ma place les avoit trompés; & je leur racontai bien au long mes aventures. Les foupirs de mon père, les branlemens de tête de ma fœur, & un certain air fouriant que le médecin affectoit, me firent concevoir qu'ils ne les trouvoient guère vraifemblables. La barbe de ma fœur auroit pu me fervir à les convaincre, mais ma foeur n'avoit plus de barbe. Je demandai inutilement l'habit changeant. J'appelai en vain Lutfallah. Au moins, leur dis-je, vous ne nierez pas que le fils du bacha n'ait été bleffé dangereusement par le jeune Ajoub. Ils me foutinrent qu'aucun des enfans du bacha n'avoit été bleffé. Il fallut fe réfoudre à fouffrir l'incrédulité, non-feulement de ma famille, mais auffi de toute la ville. Fatiguée d'une obftination fi générale, dès qu'on me crut guérie, j'obtins de mon père la permiffion d'aller demeurer à Ormus chez une tante que j'y ai encore. Ajoub vint m'y retrouver

lorfque je ne penfois prefque plus à lui. Nous eûmes d'abord un peu de peine à nous reconnoître; mais il répondit fi bien aux interrogations que je lui fis, que mes doutes s'évanouirent. Je le preffai de me raconter comment il étoit forti de l'île Détournée.

Continuation de l'hiftoire d'Ajoub. J'EN fuis forti, comme vous, madame, me dit-il: une goutte d'eau qui tomba fur moi, de la voûte du cimetière, me glaça. Quand mes efprits recommencèrent à faire leurs fonctions, je m'apperçus que j'étois étendu fur un lit de feuilles sèches, dans le fond d'une grotte. C'étoit celle du fage de Babu, mais elle étoit vuide, & fi déferte, qu'il fembloit que perfonne n'y eût jamais habité. Je trouvai feulement dans le réduit qui avoit fervi de cabinet au fage, un papier où je lus ces paroles:

Ajoub, votre témérité qui méritoit un châtiment exemplaire, vous a peut-être caufé un grand bonheur; peut-être auffi qu'une malheureufe indocilité vous ramenera ici. Si vous y revenez, l'état des lieux vous fera fouvenir de votre faute. C'est à quoi Je borne la vengeance d'un fage, qui, loin de porter fon reffentiment jufqu'où le porteroit un homme

ordinaire, veut bien vous avertir que celui que vous avez bleffé à Schiras, eft à préfent le meilleur de

vos amis.

La lecture de cet écrit me fit un grand plaifir. Je fortis de la grotte, & ayant, contre mon attente, retrouvé mon cheval attaché à un arbre, je montai deffus, & je repris, avec précipitation, le chemin de Schiras. Etant arrivé, je descendis chez un Imana (1) de mes amis, & j'écrivis un billet au fils du Bacha, qui fur le champ m'envoya prier d'aller le voir. Quand je fus près de fon lit, il fe mit sur son féant, & me ferrant la main : j'ai pris de fi bonnes précautions, me dit-il, que mon père ne fait pas que je fuis bleffé. Mes bleffures, quoique grandes, ne font pas périlleufes. Ainfi il n'y a rien à craindre, ni pour vous, ni pour moi. Je le priai de ne pas me laiffer ignorer plus longtems les caufes de fa haine. La jaloufie, repritil, avoit allumé la fureur où vous m'avez vu, & qui m'auroit été fatale fans votre générofité.

J'avois un rendez-vous le même foir dans la maifon où vous allâtes; & je devois m'annoncer moi-même en jouant du flageolet dans la rue; c'eft le fignal que j'avois donné à la belle Gauher,

(1) Curé mahométan.

dans un billet que je lui avois écrit. Vous ayant vu paffer fous mes fenêtres, je vous fuivis. Vous entrâtes chez ma maîtreffe; vous y demeurâtes affez long-tems; je crus qu'elle m'avoit trahi, & que vous m'aviez enlevé le bien le plus précieux que j'euffe au monde. La rage s'empara de mon cœur, je courus après vous, je vous attaquai, vous savez avec quel fuccès. Mon innocence, repartis-je, méritoit cette faveur du fort. Je le fai, reprit-il; hier une efclave de Gauher m'apprit que mon dernier billet avoit été furpris par fes freres, & me dépeignit la cruelle avanture qui vous étoit arrivée à mon occafion. J'en fus touché, mais je penfai mourir quand l'efclave ajouta que ma maîtreffe alloit être la victime de notre amour, & qu'elle n'avoit pas deux heures à vivre. Sans perdre un feul moment j'écrivis à fon père que mon deffein avoit toujours été d'époufer Gauher, & que je la lui demandois inftamment. Ce billet, figné de mon nom, a eu tout l'effet que je pouvois défirer. Ajoub, continua-t-il, foyons toujours amis, & fi vous m'accordez cette grace, allez tout-à-l'heure confirmer de ma part la parole que j'ai donnée. Je m'acquittai de cette agréable commiffion avec autant de joie qu'en reffentirent ceux qui quelques jours auparavant avoient voulu me maffacrer. La nuit fuivante il

me furvint une fièvre violente, caufée par les agitations & les fatigues des jours précédens. Je fus long-tems fans voir perfonne. Je n'étois pas même encore hors de danger, lorsque les nouvelles tardives de votre retour pénétrèrent enfin jufqu'à moi. Hélas! celles de votre départ pour Ormus ne furent pas fi lentes. Elles m'auroient fans doute fait defcendre dans le tombeau, fi mon père pour me guérir n'eût employé que fes propres remèdes. Connoiffant mon plus grand mal, que je ceffai alors de lui cacher, il eut recours à votre père, adorable Roufchen; & après quelques conférences, voici ce qu'il en tira, & qui me rendit la vie. Ajoub me présenta une lettre de mon père, où je lus, avec un contentement que je ne pus diffimuler, qu'il l'avoit agréé pour gendre. Il eft aifé de fe foumettre au devoir quand il eft d'accord avec l'inclination. Après notre mariage, Ajoub s'adonna au commerce. Dispensez-moi, Seigneur, de paffer outre; je l'aifuivi par-tout, & je ne fai comment la mort a pu nous féparer.

Loulou, par une petite faillie qui lui vint, ou qui étoit de commande, fit diverfion aux larmes de fa mère. Ma chère mère, lui dit-elle, l'esclave portugaife, me voyant pleurer ce matin, m'a raconté une fable qui m'a appaifée, & que j'ai apprife; voulez-vous que je vous la répète ? La

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