Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

dès que l'arrêt fut exécuté. Les hommes & les troupeaux guérirent : les bêtes venimeuses, qui défoloient le royaume, vinrent d'elles-mêmes chercher la mort. Le déteftable Becolhan, qui ne fortoit plus de fa maison, fut proclamé dieu de Gor. On chantoit par-tout des hymnes à fon honneur, par-tout on lui adrefsoit des vœux; il étoit charmé du fuccès de fa malice.

leur

Cela ne dura pas long-tems. Il favoit que les maux qu'il avoit faits étoient plus réels que guérifon; & que bientôt ceux qui croyoient avoir recouvré la fanté, retomberoient dans un état beaucoup plus déplorable que le premier. Cette confidération le contraignit, à fon grand regret, de fonger à la fuite. Mais le jour de fon départ il voulut prendre congé de Fion. Ce prince dormant en public à fon ordinaire, Becolhan lui apparut, & lui dit : roi de Gor, tu m'a dreffé une ftatue, ton peuple m'a honoré, je fuis content, il faut que je te récompense. Ce n'eft pas affez pour moi d'avoir coníervé tes fujets & leurs troupeaux, il eft jufte que tu te reffentes toi-même de ma bienveillance & de ma libéralité. Ton royaume eft puiffant en hom mes, & fertile en pâturages; mais tu manques d'or & d'argent ; fuis-moi, je veux t'enseigner un trésor que les dieux m'ont indiqué. Il sembla à Fion que le prétendu fage fe mettoit en chemin

pour lui fervir de guide, & qu'il le fuivoit; & qu'après avoir paffé bien des montagnes, des rivières & des bois, ils arrivoient l'un & l'autre dans un champ tout couvert de grenadiers. Quand ils furent entré bien avant dans ce champ, Becolhan lui montra de la main un grénadier, & lui dit que fous cet arbre le trésor étoit caché. Comment pourrai-je le reconnoître, répondit Fion, ce champ eft grand, & tous les autres grenadiers reffemblent à celui-là? Coupez cette branche, repliqua Becolhan, en lui en donnant une; cela vous fervira de fignal. Fion prit la branche, tira fon couteau, la coupa; le magicien fit de grands éclats de rire & difparut.

Dans l'inftant même le roi de Gor fentit une douleur très-aigue: la falle du fommeil retentit d'un cri horrible qu'il pouffa en s'éveillant. Tous les courtisans ouvrirent les yeux, & virent, avec une surprise extrême, leur maître couvert de fang, tenant d'une main son couteau, & de l'autre fon nez qu'il venoit de fe couper luimême. Perfide, s'écria-t-il, tu te flattes d'éviter le châtiment de ton crime. Qu'on cöure, qu'on vole chez Becolhan, qu'on s'affure de ce traître, qu'on me l'amène. Les princes & les officiers coururent fur le champ à la maison du magicien, mais il étoit parti. Ils firent monter à cheval cent jeunes hommes qu'ils envoyèrent par-tout avec

ordre d'arrêter ce criminel. L'évafion de Becolhan augmenta la douleur & la colère du roi. Après avoir raconté fa funefte aventure, il fit appeller la reine, qui feule avoit eu mauvaise opinion du magicien. La reine ne se trouva ni dans fon appartement, ni dans tout le palais : nouveau fujet de défespoir pour le malheureux prince, qui la foupçonna de la plus noire trahison. Il penfa perdre l'efprit, on fut obligé de le garder à vue le reste du jour & la nuit fuivante, de peur qu'il ne se tuât dans l'excès de fureur qui l'agitoit. Le lendemain il fit abattre, traîner par les rues, & réduire en cendres la ftatue de Becolhan. Il commanda auffi qu'on démolît toute la rue où ce facrilège avoit habité, & il voulut luimême être préfent à cette dernière exécution.

On commença par rafer la maison du magi

1

cien, mais avant qu'on paffât aux autres, on entendit en l'air un grand bruit, & on en vit defcendre un gros nuage noir qui fe pofa fur les démolitions, & qui s'entr'ouvrit pour laiffer paroître la plus belle créature qu'on eût jamais vue. Reconnois mes traits, dit-elle, en s'adresfant au roi, reconnois-les, quoique tu les aies Ivus moins beaux. A ce moment le roi & le peuple reconnurent la reine de Gor, & furent fi troublés qu'ils ne purent marquer leur admiration que par un profond filence. Je m'étois

réduite, pourfuivit-elle, à la condition d'une femme ordinaire pour te rendre heureux; mais tu t'es rendu indigne des carreffes d'une pérife. C'étoit peu d'avoir méprisé mes confeils; il falloit encore écouter de honteux foupçons. Tu vas juger s'ils étoient bien fondés. Je te venge d'un impofteur; & pour me venger moi-même d'un ingrat, je te condamne à ne me plus voir. Elle fe déroba en effet aux yeux des affiftans, le nuage fe diffipa, & on apperçut, avec un nouvel étonnement, le magicien enfermé & brûlant dans une cage de fer enflammée. Le roi Fion paffa le refte de fes jours dans la trifteffe, fans nez & fans femme ; & le fupplice du magicien dura autant que la vie de ce prince. ScheikhAlfem ajoutoit à cette histoire, qu'on montre encore aujourd'hui à Gor la place & les décombres de la maifon de Becolhan.

Cette aventure, dit Roufchen, mériteroit d'être écrite en lettres d'or. Que j'y reconnois bien les caractères oppofés des péris & de divs! Mais, Almoraddin, votre Scheikh-Alsem ne vous auroit-il pas fait le portrait de la reine de Gor après fa victoire fur les divs qui fervoient Becolhan? Non, madame, repartit Almoraddin. J'en fuis fâchée, reprit Roufchen, car affurément je dois avoir vu cette admirable pérife, & je dois la connoître. Vous devez la connoître,

madame, interrompîmes-nous, vous devez la connoître! Mon hiftoire, repliqua-t-elle, vous tirera du grand étonnement où je vous vois.

Hiftoire de la Dame Perfane, & fon voyage dans l'ile détournée.

ON

On dit que l'amitié eft rare entre les frères,

N

je crois qu'elle l'eft encore plus entre les fœurs; je n'en ai jamais eu qu'une, & il m'a été impoffible de vivre tranquille avec elle. Un an qu'elle avoit plus que moi, lui faifoit prendre un air de fupériorité qui m'étoit infupportable. Elle étoit toujours de mauvaise humeur; mais fa mauvaise humeur n'avoit jamais fi fortement paru que la veille de fes noces. Laffe de fouffrir; j'éclatai de mon côté, & afin de la piquer jufqu'au vif; Koutai, lui dis-je, fi les injures pouvoient me maigrir, tu en ferois encore plus libérale; eft-ce ma faute fi les deftins ne veulent pas que je te reffemble? On ne fauroit exprimer la rage que ces paroles excitèrent dans fon ame. Elle fe jeta fur moi pour m'arracher les yeux; mais je me fauvai de fes mains, & je m'enfuis dans un grenier qui étoit au-deffus de fa chambre. Elle faifoit un bruit fi étrange, que toute la maison en fut émue. Père, mère, esclaves, tout courut

« VorigeDoorgaan »