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LES AVENTURES

D' A B DALLA,

FILS D'HANI F.

Commencement des aventures d'Abdalla fils d'Hanif.

SUR la fin du Ramadan (1) de la fixième année du règne de (2) Chah-Jehan, colomne de la foi, un peu avant le tems de la feconde prière (3), Oglouf kan, capitaine des gardes

(1) Le Ramadan eft le mois du jeûne des mahométans, jeûne folennel, pendant lequel ils fe privent de boire & de manger depuis le lever du foleil, jufqu'à ce que les étoiles paroiffent. Ils s'abftiennent auffi, jufqu'à ce moment-là, de coucher avec leurs femmes.

(2) Chah-Jehan, grand mogol, père d'Aurengzebe & fils de Jehan-Guir, fils d'Ekbar, fils d'Houmayons, feptième des defcendans de Tamerlan.

(3) Les mahométans font obligés de prier cinq fois le

du palais, entra dans ma chambre, & me parla en cette forte : Abdalla, fils d'Hanif, je souhaite que le commandement que j'exécute te foit avantageux: donne - moi ton fabre, & me fuis chez le fultan; c'eft lui qui l'ordonne. Auffi-tôt je me profternai, & après avoir adoré Dieu, Oglouf-kan, répondis-je, mets ta main fur ma tête; le fultan eft le maître de ma vie ; je fuis fon efclave. En même-tems je lui donnai mon fabre; il fortit, & je le fuivis. Au bas de l'escalier, dix gardes qu'il y avoit poftés, m'environnèrent; avec ce cortège je traversai toutes les cours du palais, & je fus conduit devant Chah-Jehan.

Ce monarque n'étoit accompagné que de l'Emir-Gemla, fils de Gabdol, alors général de fes troupes, & du vénérable Fazel-Kan, fils d'Hafam, chef des imans (1). Oglouf-kan qui marchoit devant moi lui préfenta mon cimeterre, & lui dit: lumière des fidèles, Abdalla s'est soumis à ton ordre, fans aucune résistance; puiffent tes ennemis imiter fon exemple. Quoique je ne me fentiffe pas criminel, une frayeur

jour; favoir, un peu après le lever du soleil, un peu après midi, avant le coucher du soleil, lorsque le soleil fe couche, & fort avant dans la nuit.

(1) Eccléfiaftiques mahométans, chargés du foin des mofquées.

extrême s'étoit faifie de mon cœur ; je n'en laiffai pourtant paroître aucune marque, & j'enhardis ma contenance. Le fultan n'avoit pas les yeux irrités, mais cela ne me raffuroit point: faut-il de la colère pour se défaire d'un fe moucheron? Dès qu'il me vit à fes pieds; fils d'Hanif, me dit-il, faifons la prière; abaiffonsnous devant celui qui ne meurt point. Cette parole redoubla mon épouvante. Le fultan, le général, l'iman, le capitaine des gardes, les gardes qui étoient à la porte, plièrent les genoux, & courbés la face contre terre, ils glorifièrent le prophète. Incertain de mon fort, priai ce fidèle interprète des volontés du toutpuiffant, d'être mon protecteur. Mon ame lui dit: envoyé de Dieu, fi j'ai toujours détesté les trois héréfies (1); fi j'ai fincérement résolu d'aller honorer ton tombeau, & arrofer de ma

je

(1) Les trois principales héréfies parmi les mahométans font: 1°. que la grâce fauve indépendamment de la loi ; 2°. que la vérité fauve indépendamment de la grâce & de la loi ; 3°. que toutes les religions font bonnes Ceux qui soutiennent cette dernière opinion font brûlés dès qu'on les découvre. Cependant Mahomet lui-même l'a enfeignée : Tout homme, dit-il, qui fuit la vertu, juif, chrétien ou autre qui abandonne fa religion pour en prendre une nouvelle; tout homme qui adore dieu, & qui fait de bonnes œuvres, fera sauvé. Alc. az. 2.

fueur le faint mont Arafat (1); fi le divin livre a fait jufqu'à préfent les délices de mon esprit, & l'attention de mes yeux; fois mon appui. Le compte de mes jours va peut être finir: je vois déjà les anges (2) farouches & ténébreux: souviens-toi de ma foi; il n'y a qu'un Dieu, & iu es fon prophète.

La prière achevée, le fultan fe leva, & s'étant tourné vers moi; fils d'Hanif, me dit-il, je veux te faire entreprendre un long voyage; baiffe la tête. Pere des Mufulmans, lui répon dis-je d'un ton affez ferme, le voyage fera vraiment long & fans retour; nous le ferons tous à différentes heures. Que dieu très-clément & très-miféricordieux multiplie tes années. En difant ce peu de paroles je m'affermis fur mes genoux, & je tendis le cou. Il tira mon fabre, qui n'étoit pas forti de fes mains, même pendant la prière; il leva le bras; mais au lieu de me trancher la tête, il remit la lame dans le fourreau, & les affiftans pouffèrent de grands cris de joie. J'ouvre les yeux que les fombres avant-coureurs de la mort avoient déjà fermés.

(1) Montagne proche de la Mecque, où Adam & Eve le reconnurent, fuivant les fables mahométanes. Les pélerins de la Mecque la montent en courant.

(2) Monkir & Quarekir, anges noirs auxquels les mahométans font livrés après la mort.

Quelle fut ma surprise! Chah-Jehan, avec un visage riant, me relève lui-même, m'embrasse, me jure qu'il eft charmé de mon courage & de mon obéiffance. Ayant enfuite commandé à Oglouf-kan de fe retirer avec fes gens, il me fit affeoir entre Fazel-Kan & l'émir Jemla, visà-vis de fon fopha, & fit figne à l'émir de parler.

Seigneur, dit l'émir Jemla, j'ai vu & entretenu moi-même l'homme qui étoit âgé de trois cens quarante ans, & qui en avoit encore dix à vivre. Il fut trouvé chargé de chaînes dans le camp du roi de Golkonde après fa défaite, & votre victoire lui procura la liberté. Je le retins trois jours, qui lui fuffirent à peine pour me raconter les révolutions qu'il avoit vues arriver pendant fa longue vie. Ne croyant point le devoir garder plus long-tems, je lui donnai dix roupies (1) d'argent, & je lui permis de fe retirer où il voudroit. Il étoit de Bengale, & il s'appelloit l'Ancien de Bengale. Il avoit les yeux profondément enfoncés dans la tête, la voix claire, la barbe & les cheveux très-déliés & blancs comme la neige. Quoique fon vifage fût plein de rides, la couleur en étoit vermeille; on y appercevoit la gaîté qui accompagne naturellement une santé par

(1) Pièce de monnoie qui vaut environ trente sous.

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