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RICDIN-RICDON,

DANS

CONTE.

ANS un des plus beaux royaumes de l'Europe, dont les hiftoriens cependant ne marquent point le nom, régnoit un prince, qui, par fon équité, la droiture de fon ame, & fon amour paternel pour fes fujets, s'étoit acquis le glorieux furnom de roi Prud'homme, qui, dans ces tems-là, fignifioit parfaitement roi plein de probité & d'honneur. Ce roi étoit uni à une époufe qui avoit auffi beaucoup de vertu; & comme cette princeffe, qui étoit naturellement vive & agiffante, s'occupoit fans ceffe à quelqu'amufant travail, le peuple l'avoit furnommée la reine Laborieufe. Ce roi & cette reine n'avoient qu'un fils unique, dont les inclinations n'étoient pas dans le fond moins portées à la vertu que ceux dont il avoit reçu la naiffance; mais comme ce jeune prince, qui tenoit de la vivacité de la reine fa mère, n'avoit point encore d'occupation, il en cherchoit dans les plaifirs; & il marquoit tant de goût pour le bal, les fpectacles, les caroufels, les magnifiques

parties de chaffe, & en un mot il étoit fi empreffé pour tout ce qui pouvoit contribuer à lui fournir des divertiffemens agréables, qu'on l'avoit furnommé le prince Aimant-joie.

Le roi & la reine, qui voyoient que les plaifirs qui l'amufoient étoient innocens, ne s'oppofoient point au penchant qu'il avoit pour eux, & comptoient que l'empreffement un peu trop ardent qu'il avoit à les faire naître, fe pafferoit avec fa première jeuneffe. Du refte, ce prince étoit d'une figure très-aimable, & faifoit voir par toutes les actions qu'il n'avoit pas l'efprit moins rempli de pénétration que de feu.

Ce qui furprenoit tout le monde, c'est qu'un jeune prince fi vif ne fût point encore amou reux, & ne fit point entrer les amusemens de cœur au nombre de ceux auxquels il étoit fi fenfible. Mais les fêtes galantes & la chaffe faiTM foient feules l'objet de fes défirs; & feules lui fourniffoient de certains plaifirs qui lui paroiffoient fort piquans, par leurs nouveautés fingulières & par leur variété. Quelquefois en courant un cerf, il s'égaroit de fa fuite, & quelquefois avant que de pouvoir retrouver aucuns de fes gens, il fe fentoit fi fortement preffé de la faim, qu'il entroit chez le premier gentilhomme campagnard, ou chez le premier payfan qu'il rencontroit fur fon chemin ; &

comme ordinairement il ne se faïsoit pas connoître, il lui arrivoit fouvent des aventures bizarres qui le réjouiffoient beaucoup, & qu'il. racontoit au roi fon père & à fa cour avec un plaifir extrême.

Un jour qu'il s'étoit ainfi écarté de fes gens, comme il traversoit un hameau qui paroiffoit défert, il vit fortir d'un jardin champêtre une jeune fille d'une beauté à éblouir, qu'une vieille femme, d'une figure fort défagréable, traînoit avec violence vers une maison ruftique, qui étoit vis-à-vis le jardin, de l'autre côté de la route publique.

Cette jeune fille avoit à fon côté une quenouille chargée de lin, & tenoit dans un des pans de fa robe, un amas de fleurs qu'elle venoit de cueillir dans le jardin; la vieille les lui arracha, les jeta dans le milieu de la route, donna à la belle quelques coups affez rudes; & puis la reffaififfant par le bras, lui dit d'un ton plein de fureur: Allons, allons, petite malheureuse, rentrons vîte dans la maifon; c'eft-là que je vous ferai fentir comme il faut ce que c'eft que d'avoir l'infolence de me défobéir.

Le prince, qui s'étoit arrêté tout court pour confidérer ce spectacle, s'approcha de la vieille comme elle étoit prête à rentrer dans fon logis, & lui dit d'un air doux: D'où vient, ma bonne

femme, que vous maltraitez fi fort cette jeune fille? quelle faute a-t-elle faite, pour s'attirer ainfi votre colère? La paysanne, qui, naturellement étoit fort emportée & n'aimoit pas qu'on fe mêlât de fes affaires, s'apprêtoit à répondre infolemment au prince; mais ayant jeté les yeux fur fes habits, & jugeant par leur extrême richeffe, que celui qui les portoit devoit être quelque perfonne d'une grande confidération, elle retint fon emportement, & se contenta de lui répondre d'un ton aigre: Seigneur, je querelle ma fille, parce qu'elle fait toujours le. contraire de ce que je lui dis : je voudrois qu'elle ne filât point, & elle file depuis le matin jufqu'au foir, encore eft-ce avec une diligence qui n'a point fa pareille; & je ne lui fais toutes les réprimandes que vous voyez, qu'à cause qu'elle file trop. Comment, dit le prince, eft-ce là un fujet pour gronder ainfi cette pauvre enfant? Ah! vraiment ma bonne femme, fi vous haïffez les filles qui fe plaisent à filer, vous n'avez qu'à donner la vôtre à la reine ma mère, qui fe divertit fi fort à cet amusement, & qui aime tant les fileufes, la reine fera la fortune de votre fille. Hélas! feigneur, répondit la vieille, fi cette mijorée-là, avec fa belle adresse, vous paroît fi propre pour notre bonne reine, vous n'avez qu'à l'emmener tout-à-l'heure, fi bon

vous femble, car il y a long-tems qu'elle me pèfe fur les épaules, & que j'ai envie d'en être défaite.

Comme elle achevoit ces mots, une partie de la fuite du prince vint le rejoindre il dit à un de ses valets de chambre de mettre la belle en croupe derrière lui. Cette jeune perfonne avoit encore le vifage couvert des larmes que les menaces de la vieille lui avoient fait répandre, mais fes pleurs ne déroboient rien à fes charmes. Le prince cherchoit à la confoler, en l'affurant qu'avec l'adreffe dont elle étoit partagée, elle ne manqueroit pas de s'attirer abondamment les bienfaits de la reine. La pauvre fille cependant, étoit fi éperdue de fe voir entourée de tant d'hommes, qu'elle n'entendoit pas la moitié de ce qu'on lui difoit. Sa mère la vit partir fans témoigner prendre la moindre part à fon fort; mais les habitans du hameau trouvoient qu'ils n'avoient pas d'affez grands yeux pour la confidérer au milieu de tous ces feigneurs couverts d'or : ils furent des petits officiers du prince, qu'on la menoit à la reine, ce qui fit envier son destin par toutes les jeunes payfannes de ce lieu.

Pendant le chemin, le prince apprit que le nom de la belle étoit Rofanie: dès qu'il fut arrivé au palais, il la préfenta à la reine sa mère,

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