Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

Romain, très raffiné même en grammaire, savant au style du BasEmpire et à toute l'ornementation byzantine.

Dans quelques vers écrits sur la première page d'un Pétrarque, M. Hugo a bien mieux apprécié l'auteur des sonnets et sa forme élégamment ciselée; mais, par suite du défaut signalé tout-à-l'heure, il s'est glissé, dans les vingt-deux vers consacrés à la louange du mélodieux amant de Laure, deux mots criards qui rompent toute l'harmonie du ton:

Je prends ton livre saint qu'un feu céleste embrase,

Où si souvent murmure à côté de l'extase

La résignation au sourire fatal.

Ce mot fatal est une note fausse; c'est tout le contraire de fatal qu'il faudrait dire. Cette résignation au sourire fatal n'est pas de la religion espérante et clémente de Pétrarque; elle appartiendrait plutôt à la religion dure de Frollo. A quelques lignes plus bas, on voit les nobles et pudiques élégies de Pétrarque opposées aux bruits du monde et aux sombres orgies, comme si, dans vingt vers sur Pétrarque, le mot d'orgie pouvait trouver place. Ces deux mots malencontreux sont deux taches à la bordure d'une robe blanche et gracieuse. Un poète, qui aurait senti tout-à-l'heure Anacréon dans la pureté grecque, n'aurait pas ici commis pareille faute.

Presque toutes les fautes de détail, qu'on peut reprocher à M. Hugo, viennent du même principe violent qui méconnaît le prix d'une convenance heureuse et d'une harmonie ménagée. Nous avons noté à regret les images suivantes : Napoléon qui va glanant tous les canons, une charte de plâtre qu'on oppose à des abus de granit, des écueils aux hanches énormes, Rome qui n'est plus que l'écaille de Rome, etc. Le poète, par manque de ce tact que j'appellerai grec ou attique, ne recule jamais devant le choquant de l'expression, quand il doit en résulter quelque similitude matérielle plus rigoureuse qu'il pousse à outrance. Dans la pièce xxxIII, sur une vue d'église le soir, il montre l'orgue silencieux :

La main n'était plus là, qui, vivante et jetant

Le bruit par tous les pores,

Tout-à-l'heure pressait le clavier palpitant
Plein de notes sonores,

Et les faisait jaillir sous son doigt souverain
Qui se crispe et s'alonge,

Et ruisseler le long des grands tubes d'airain
Comme l'eau d'une éponge.

Qu'on me démontre, tant qu'on le voudra, l'exactitude de la comparaison, et l'harmonie coulant le long des tuyaux, comme ferait l'eau d'une éponge dans un lavage général de l'orgue, l'impression que j'en éprouve est déplaisante, désobligeante, et, loin de l'augmenter, elle amoindrit tout l'effet des beaux vers précédens. Ailleurs, dans la petite pièce XIV, Oh! n'insultez jamais une femme qui tombe! on lit:

Quand le vent du malheur ébranlait leur vertu,
Qui de nous n'a pas vu de ces femmes brisées
S'y cramponner long-temps de leurs mains épuisées,
Comme au bout d'une branche on voit étinceler
Une goutte de pluie où le ciel vient briller, etc.

En lisant cela, l'esprit n'a pas eu le temps de se détacher de ce mot si rude, cramponner, qu'il lui faut déjà passer à ce qu'il y a de plus fluide et mobile, à la goutte d'eau qui tremble au bout de la branche. Cette critique de détail, quoique depuis long-temps on ait perdu l'habitude d'en faire, nous a paru indispensable en présence d'une production aussi importante de la maturité d'un poète de génie. Ces sortes de fautes, qu'on peut passer à une rude et vigoureuse jeunesse, auraient dû disparaître avec les crudités inhérentes à cet âge. Il nous semble, si le souvenir ne nous abuse pas, que les Feuilles d'Automne en contenaient moins et annonçaient un travail d'élaboration que les Chants du Crépuscule ne réalisent qu'en partie; ou peut-être, ces fautes ne nous choquent-elles ici davantage que par le caractère plus élégiaque des morceaux qui les entourent et les font ressortir, et aussi par la susceptibilité d'un goût malheureusement plus difficile et plus rebuté avec l'àge. Nous n'en sommes pas moins sensible, qu'on veuille nous croire, à tout ce qui s'y trouve à profusion d'images

riches, de traits inattendus et heureusement pittoresques, d'observations naturelles et domestiques de promeneur et de père, soit que le poète nous indique du doigt dans la plaine le sentier qui se noue au village, la vallée toute fumante de vapeurs au soleil comme un beau vase où brûlent des parfums, soit qu'il se montre lui-même éveillé avec ses soins et ses doutes rongeurs, dès avant l'aube,

Même avant les oiseaux, même avant les enfans!

Charmante observation prise à la vie de famille! car les enfans, com me on sait et comme l'a dit un autre poète, ont

Un gai sommeil qui sent l'aurore

Et qui s'enfuit dans un rayon.

Les douze ou treize pièces amoureuses, élégiaques, qui forment le milieu du recueil dans sa partie la plus vraie et la plus sincère, sont suivies de deux ou trois autres, et surtout d'une dernière, intitulée Date Lilia, qui a pour but, en quelque sorte, de couronner le volume et de le protéger. Littérairement, ces pièces finales, prises en elles-mêmes, sont belles, harmonieuses, pleines de détails qui peuvent sembler touchans. En admirant dans le voile l'éclat du tissu, il nous a paru toutefois qu'il y a eu parti pris de le broder de cette façon pour l'étendre ensuite sur le tout. Cette mythologie d'anges qui a succédé à celle des nymphes, les fleurs de la terre et les parfums des cieux, un excès même de charité aumônière et de petits orphelins évoqués: tout cela nous a paru, dans ces pièces, plus prodigué qu'un juste sentiment de poésie domestique n'eût songé à le faire. On dirait qu'en finissant l'auteur a voulu jeter une poignée de lis aux yeux. Nous regrettons que l'auteur ait cru ce soin nécessaire. L'unité de son volume en souffre; son titre de Chants du Crépuscule n'allait pas jusqu'à réclamer cette dualité. Le même manque de tact littéraire (au milieu de tant d'éclat et de puissance!) qui plus haut, nous l'avons vu, lui a fait comparer l'harmonie de l'orgue à l'eau d'une éponge, et parler du sourire fatal de la résignation à propos de Pétrarque, lui a inspiré d'introduire dans la composition de son volume deux couleurs qui

se heurtent, deux encens qui se repoussent. Il n'a pas vu que l'impression de tous serait qu'un objet respecté eût été mieux honoré et loué par une omission entière.

Au résumé, et malgré nos critiques, qui se réduisent presque toutes à une seule, à un certain manque d'harmonie parfaite et de délicate convenance, les Chants du Crépuscule non-seulement soutiennent à l'examen le renom lyrique de M. Hugo, mais doivent même l'accroître en quelque partie. Mainte pièce du recueil décèle chez lui des sources de tendresse élégiaque plus abondantes et plus vives qu'il n'en avait découvert jusqu'ici, quoique, même en cela, le grave et le sombre dominent. On suit avec un intérêt respectueux, sinon affectueux, ce front sévère, opiniâtre, assiégé de doutes, d'ambitions, de pensées nocturnes qui le battent de leurs ailes. On contemple cet homme au flanc blessé, comme il s'appelle quelque part, saignant, mais debout dans son armure, et toujours puissant dans sa marche et dans sa parole. On le voit, rôdeur à l'œil dévorant, au sourcil visionnaire, comme Wordsworth a dit de Dante, tour à tour le long des grèves de l'Océan, dans les nefs désertes des églises au tomber du jour, ou gravissant les degrés des lugubres beffrois. Ce beffroi altier, écrasant, où il a placé la cloche à laquelle il se compare, représente lui-même à merveille l'aspect principal et central de son œuvre de toutes parts le vaste horizon, un riche paysage, des chaumières riantes, et aussi, plus l'on approche, d'informes masures et des toits bizarres entassés.

SAINTE-BEUVE.

DE

L'ÉMANCIPATION

DANS NOS COLONIES.

Les protestations des habitans de la Louisiane, des deux Carolines et des autres états du Sud contre les sociétés abolitionistes, et le refus du gouvernement des Etats-Unis d'accéder aux mesures communes prises par l'Angleterre et par la France pour empêcher la traite des noirs, sont des évènemens qui choquent singulièrement nos habitudes morales et nos préjugés politiques, et qui nous font voir, d'un côté, que nous avons pris étrangement les devans en fait d'idées libérales et de civilisation, de l'autre que nous ne devons pas être bien au courant des faits qui se passent en Amérique, puisque des hommes auxquels nous ne pouvons pas refuser d'ailleurs de grandes lumières et de grandes vertus, résolvent tout au rebours de nos croyances et de nos sympathies les questions qui se rattachent à l'esclavage et à l'émancipation des noirs.

Tout bien considéré, il nous semble que c'est sous l'influence de ce double enseignement qui ressort si bien, selon nous, de ce qui se passe aujourd'hui en Amérique à l'occasion des esclaves, c'est-à-dire, c'est en nous défiant de nos opinions libérales et de la connaissance imparfaite que nous avons des choses d'outre-mer, que nous devrions peut-être envisager les affaires de nos colonies, affaires que l'intérêt

« VorigeDoorgaan »