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dite. L'absence de ces éruptions varioliformes nous a d'autant plus étonné que nous savions par tradition et par expérience qu'elles accompagnent souvent la variole et la varioloïde dont elles semblent être des modifications, et que, vers le même temps à peu près, nous les observâmes en grand nombre sur des enfants de notre ville, au milieu de l'épidémie de scarlatine, de miliaire et de varioloïde qui sévit dans le courant de l'année 1858. Nous n'en dirons pas davantage ici, nous réservant de donner une relation complète de cette épidémie, aussitôt que nos devoirs professionnels nous en laisseront la faculté.

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TOPOGRAPHIE. Dans l'étude de l'épidémie de variole, qui a sévi dans les communes de Saint-Jouin et de Coulimer, je me suis entouré de tous les documents et de tous les détails les plus circonstanciés, pour arriver à une connaissance complète des causes de la maladie et des influences qui pouvaient y prédisposer. Ce sont ces recherches topographiques et statistiques que j'expose ici dans le plus grand détail. Peut-être trouvera-t-on que ce paragraphe est un peu long, et qu'il aurait pu être diminué; mais je crois que dans ces recherches on ne peut pécher par excès, et on y verra, j'espère, une preuve du soin que j'ai mis dans l'étude de l'épidémie qui fait le sujet de ce travail. Du reste, je suis persuadé que des détails qui, aujourd'hui, semblent peu importants, peuvent acquérir plus tard un intérêt et une portée que l'on est loin de prévoir.

Les communes de Saint-Jouin et de Coulimer, canton de Pervenchères, arrondissement de Mortagne, sont situées à 10 kilomètres au sud-ouest de Mortagne, à une distance presque égale du chef-lieu du canton et du chef-lieu d'arrondissement.

Réunies, ces deux communes présentent une forme allongée, d'une étendue de 6 kilomètres environ et d'une largeur de 4 kilomètres : leur population s'élève à 1,783 habitants.

Le sol est ondulé et présente une alternative de côteaux plantés de céréales ou de bois et de vallées couvertes de riches herbages. En général, le sol est cultivé avec soin et d'une grande fertilité; les terres vaines et incultes sont rares; la bruyère ne paraît qu'autour de quelques taillis.

La population du chef-lieu de chacune de ces communes s'élève à 250 habi

tants.

Les cimetières, dont le sol est argileux, s'élèvent environ de 1m,50 au-dessus de la chaussée qui traverse les villages; ils sont encore situés, malgré les règlements, autour des églises et au centre même des habitations: cependant l'administration supérieure a décrété leur déplacement.

Les communes de Saint-Jouin et de Coulimer sont arrosées par quelques ruisseaux qui les sillonnent dans plusieurs directions; ces cours d'eau peu importants ne sont point utilisés pour l'industrie.

Outre les villages dont nous venons de parler, il existe, soit sur les côteaux, soit dans les vallées, des fermes isolées et des hameaux composés cependant d'un nombre assez considérable de maisons et d'habitants.

En général, les lois de l'hygiène et de la salubrité sont loin d'y être respectées

comme dans les deux chefs-lieux, parce que les constructions sont anciennes et que les habitants, pour la plupart, sont moins riches.

La constitution géologique des communes de Saint-Jouin et de Coulimer est peu variée; le sol, presque partout dans les vallées et sur les côteaux, est argileux, il s'imbibe assez difficilement, et conserve à sa surface, après les pluies, des traces d'humidité très-appréciables. Le sous-sol est formé genéralement de carbonate de chaux, que l'on emploie pour construire les habitations et pour marner les terres. Dans quelques parties on trouve une espèce de sable noir, et nulle part on ne rencontre de silex.

Il n'existe ni étangs ni eaux stagnantes.

Les eaux potables sont fournies par des sources à fleur de terre, par des puits et des ruisseaux; elles sont limpides, inodores et d'une saveur agréable. Il nous est impossible de rien préciser quant aux substances salines et aux quantités d'acide carbonique qu'elles renferment, n'ayant point à notre disposition l'ingénieux instrument, inventé par M. Boudet.

STATISTIQUE. Nous avons annoncé que la population totale s'élevait à 1,785 habitants.

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Le perfectionnement est remarquable sous le rapport des habitations, des vêtements et de la nourriture.

APPAUVRISSEMENT.

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La cause doit en être attribuée à l'habitude du jeu, à l'abus des liqueurs alcooliques, aux dépenses exagérées en bijoux, en vêtements de luxe chez les filles et les femmes d'artisans et de cultivateurs; enfin au chômage forcé pendant l'hiver pour quelques professions.

SALAIRE. Le salaire des artisans et des journaliers a subi une augmentation notable depuis trois années; ainsi, avant cette époque il s'élevait en moyenne à 1 fr. 25 c. sans la nourriture; aujourd'hui cette moyenne est de 1 fr. 50 c. à

1 fr. 75 c.

Les gages des domestiques se sont élevés pour le sexe masculin de 90 fr. à 150 et 200 fr., pour le sexe féminin de 60 à 100 et 150 fr.

Déboisement depuis cinq ans : 10 hectares; défrichement : 0 hectares. Culture par assolement quatriennal, blé, méteil, seigle, orge, avoine, pommes de terres, chanvre, trèfles vieux, trèfles et guérets.

La fertilité est au-dessus de la moyenne.

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Cinq individus par an meurent sans recevoir les secours de la médecine. Il n'existe dans ces communes ni hospice ni sœurs de charité, il n'y a point de médecin cantonnal pour le service spécial des pauvres. La commune de Saint-Jouin a droit à un lit dans l'Hôtel-Dieu de Mortagne.

Le nombre des mendiants nécessiteux s'élève à 26, celui des mendiants fainéants à 5.

La prostitution proprement dite n'existe point dans ces communes, mais on compte cinq filles mères; elles élèvent leurs enfants, on leur en confie volontiers d'autres à élever; enfin on les reçoit dans les villes, à Paris notamment, en qualité de nourrice sur lieu.

CONSTITUTION MÉDICALE RÉGNANTE. Dans le cours de l'année 1857, on n'avait pas observé dans les communes de Saint-Jouin et de Coulimer d'autres maladies que celles que l'on rencontre chaque année dans nos localités et que nous désignons sous le nom d'affections saisonnières; ainsi les maladies catarrhales de l'hiver, les rhumatismes qui affectent pour ainsi dire indistinctement tous les âges, les fièvres éruptives, ne s'étaient fait remarquer par aucun caractère particulier. Pendant les grandes chaleurs de l'été, à l'époque des pénibles travaux de la moisson, on avait observé quelques embarras gastriques, quelques fièvres bilieuses bénignes, mais on ne rencontrait aucun cas de dyssenterie, tandis que certaines parties de l'arrondissement étaient cruellement éprouvées par cette affection, qui sévissait avec une intensité véritablement effrayante.

Coulimer était, sur un point seul de son territoire, envahi comme nous l'avons signalé précédemment par une épidémie de fièvres typhoïdes.

On avait également constaté dans cette commune, quelques cas de choléra sporadique et de fièvres intermittentes.

En résumé, l'état sanitaire de ces communes était généralement bon, aucune affection ne paraissait sévir, d'une manière particulière; la mortalité a été la même pendant cette période que pendant les années précédentes.

HISTOIRE DE LA MALADIE.

Saint-Jouin. - Vers les premiers jours du mois de septembre 1857, le nommé Séguret, âgé de trente-trois ans, arrive aux Chaillois, commune de

Saint-Jouin. Cet homme non vacciné arrivait de Mortagne, où il avait été atteint d'une variole confluente. Sa variole parvenue à la période de dessiccation, il venait dans sa famille pour reprendre des forces et se rétablir complétement. Disons tout de suite que c'est au milieu d'une épidémie de varioloïdes atteignant surtout les enfants, que Séguret avait été affecté de variole confluente.

L'habitation des Chaillois est une maison neuve, isolée, construite surle sommet d'un côteau, à 2 kilomètres du bourg de Saint-Jouin dans la direction du sud-est. Au moment où Séguret y arriva, elle renfermait les époux Séguret père et mère, leur sœur, tante du malade, âgée de cinquante à soixante ans, leur fille âgée de vingt ans, et une jeune enfant de onze mois, Alphonsine Louveau, en nourrice dans cette maison. Aucune de ces personnes n'avait été vaccinée. L'enfant Louveau tombe malade; le 20 septembre, ses parents le retirent du domicile des époux Séguret et l'amènent à Saint-Jouin où ils habitent. Le 2 octobre nous sommes appelé pour lui donner nos soins; lorsque nous arrivâmes il venait d'expirer, nous constatâmes sur son cadavre les traces d'une variole confluente, hémorrhagique; les pustules étaient remplies d'un sang noir, et il s'échappait de la bouche et des fosses nasales une sanie sanguinolente. En même temps le corps, siége d'une bouffissure considérable, présentait des pétéchies en grand nombre.

Le 9 octobre, la fille Séguret est prise d'un malaise général, de fièvre, nausées, vomissements, céphalalgie, douleur dorso-lombaire intense; enfin tous les prodromes de la variole se manifestent; les deux cas que nous venions d'observer ne pouvaient nous laisser aucun doute sur le diagnostic. Trois jours après notre visite, l'éruption se manifeste et envahit successivement le visage, le tronc et les membres.

C'est alors que persuadé que ces cas de variole ne resteraient pas isolés, et que le pays était sous l'imminence d'une épidémie, nous cherchâmes à nous procurer du vaccin, et à organiser des vaccinations et des revaccinations en grand; ce ne fut que vers le 15 novembre que nous pûmes opérer sur la première série. Mais avant cette époque la fille Girard Lucile, non vaccinée, qui avait visité la fille Séguret pendant sa maladie, vers la fin de la période de suppuration, était prise des symptômes de la variole, et payait son tribut à l'épidémie. Les frères et les sœurs de cette malade, vaccinės antérieurement et avec succès, sont préservés de la contagion, bien qu'ils n'aient cessé d'habiter sous le même toit. Jusqu'ici nous n'avions affaire qu'à des cas séparés et tout nous faisait présumer qu'avec des précautions et les vaccinations que nous allions organiser nous pourrions arrêter le développement ultérieur de l'affection épidémique. Tout à coup les enfants Cheneau et Ruel et les époux Meleux instituteurs à Saint-Jouin, qui avaient pénétré dans la maison où l'enfant Louveau avait succombé, sont atteints des symptômes précurseurs de la maladie régnante. Tous portaient des cicatrices vaccinales de bonne qualité; ils furent seulement affectés de varioloïde. L'instituteur, homme zélé et laborieux, qui ne se croyait pas assez malade pour renvoyer ses élèves, continua de donner ses leçons jus

qu'au moment où la suppuration était déjà bien établie. Prévenu trop tard, nous lui conseillâmes alors seulement de fermer son école. Mais il y avait eu là un foyer d'infection, au sein duquel les enfants des deux sexes, plus sensibles aux principes contagieux que les adolescents et les vieillards, avaient contracté les germes de la maladie, qui éclata presque simultanément dans les hameaux et villages dépendants de Saint-Jouin, et s'étendit de là dans les fermes et les habitations isolées. C'est à cette existence d'un centre d'infection contagieuse dans la maison d'école, que nous attribuons, ainsi que nous le dirons plus loin, l'intensité plus grande de l'épidémie au mois de novembre et de décembre, ne laissant que très-peu d'influence aux conditions climatériques. Du reste le mode de propagation de la maladie est facile à suivre, et la contagion est évidente et manifeste.

Les époux Meleux, instituteurs, transmettent directement soit la variole, soit la varioloïde:

1o A Cogniard, domestique chez les époux Levallet, qui était venu les voir à Saint-Jouin, vers la fin d'octobre ou au commencement de novembre, alors qu'ils entraient en convalescence. Non vacciné, Cogniard est atteint d'une variole confluente, qui se complique de pneumonie et l'enlève. Nous reparlerons plus tard de ce malade. Il transmet lui-même une varioloïde aux enfants Levallet, qui portaient les traces caractéristiques de vaccine. Les époux Levallet sont vaccinés deux fois sans succès; ils ne contractent pas la maladie. Les sœurs et la mère de Cogniard, qui portent des cicatrices vaccinales apparentes, ne sont point infectées, bien qu'elles lui aient prodigué leurs soins jusqu'à sa mort.

2o A l'enfant Chopin Auguste; non vacciné, il est atteint d'une variole discrète, et transmet à ses frères, non vaccinés comme lui, des varioles confluentes. 5o A l'enfant Tessier; les cicatrices vaccinales ne nous paraissent pas bien caractérisées. Il est emporté par une variole hémorrhagique.

4o A l'enfant Geslain; non vaccinée, elle transmet la variole à sa mère, à son frère. Enfin son père, qui refusait opiniâtrement de se laisser vacciner, est pris lui-même d'une variole confluente grave, le 28 décembre, à l'époque où il se vantait d'avoir échappé à la maladie.

5o A l'enfant Guérin; vaccinée, elle est atteinte d'une variole discrète; elle transmet la maladie à ses frères et à un jeune enfant en nourrice chez ses pa

rents.

6o A l'enfant Scholastique, qui transporte l'épidémie dans la commune de Coulimer. Nous expliquerons tout à l'heure comment cette propagation a eu lieu. L'infection contagieuse est encore manifeste pour la femme Ferrandin, qui contracte une variole confluente, en visitant deux ou trois fois seulement les enfants Chopin, ses voisins, alors qu'ils étaient arrivés à la période de suppuration. Elle-même communique la maladie à deux de ses enfants; le premier, âgé de neuf ans et vacciné, est atteint de varioloïde; le plus jeune est vacciné pendant la période d'incubation, au moment de l'apparition des symptômes prodromiques et de la fièvre. Nous avons pu suivre sur ce dernier le dévelop

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